Quel fonctionnement entre assistant social du travail et Commission sociale de CE ? La question de l’assistant social face aux dispositifs d’aide internes à l’entreprise

L’assistant social du travail est bien souvent amené à intervenir en lien avec le Comité d’Entreprise, ou la commission « sociale » de celui-ci lorsqu’il en est doté, lorsqu’un salarié sollicite un soutien financier auprès de cette instance.

En effet, les CE proposent dans un certain nombre d’entreprises des prêts ou des subventions pour les salariés. Les « critères d’attribution » ainsi que les priorités données à tel ou tel type d’aide sont définis par le CE, donc par les représentants du personnel et des représentants de la direction de l’entreprise.

Nous pourrions penser cette question comme toutes celles qui touchent au positionnement professionnel de l’assistant social face aux dispositifs d’aide et en particulier aux demandes d’aide financière en tous genres. Seulement, ce serait occulter deux éléments majeurs : le CE est un espace de pouvoir et les membres du CE ou de la commission en charge ne sont pas des professionnels du travail social.

Le Comité d’entreprise : un espace de pouvoir

Au sein d’un comité d’entreprise, au minimum deux pouvoirs s’affrontent : celui de la direction qui dispose d’un pouvoir hiérarchique qui leur permet de prendre des décisions et donc d’exercer une contrainte sur les salariés et de limiter leur liberté pour le fonctionnement de l’entreprise ; celui des représentants du personnel et/ou syndicaux qui ont un mandat de représentation des salariés et qui, à ce titre, peuvent peser dans les négociations avec l’employeur. 

Nous pouvons ajouter que les représentants du personnel doivent rendre des comptes aux salariés sur leur action et ce qu’ils ont fait en faveur des salariés qui l’ont élu, sans quoi ils risquent fort de ne pas être réélus. De son côté, la direction peut s’appuyer sur ces aides du CE pour justifier qu’elle prend en compte le bien-être de ses salariés.

Nous comprenons donc que le CE et sa potentielle « commission sociale » sont traversés par des enjeux multiples, pour les acteurs (1) de l’entreprise, à la fois individuels (mon mandat d’élu, ma place dans l’entreprise) et collectifs (rapport de force entre direction et élus, moyen détourné d’exercice du pouvoir). Bien entendu, des principes et des règles de fonctionnement sont institués au sein du groupe chargés de délibérer sur les demandes des salariés mais cela n’empêche en rien les stratégies d’acteur inhérentes à tout système.

A partir de là, il est indispensable d’interroger la place de l’assistant social dans un tel système et l’impact pour le salarié des informations qu’il pourrait ainsi transmettre.

Les membres de la « commission sociale » ne sont pas des professionnels du travail social

La question de la légitimité des membres de la commission à décider l’attribution ou non d’une aide financière à un salarié est également importante. S’ils sont légitimes en tant que membre du CE pour décider d’engager de l’argent pour telle ou telle action, le sont-ils pour évaluer la situation personnelle d’un salarié et la pertinence d’un soutien financier ?

Le fait est que, bien souvent, ils prennent cette décision mais ressentent le besoin de s’appuyer sur l’évaluation de l’assistant social du travail de l’entreprise.

Ainsi, nous pouvons observer que l’assistant social du travail se retrouve en position d’évaluer la demande du salarié voire d’émettre un avis favorable ou défavorable et de transmettre cette évaluation à la commission. Dans d’autres configurations, la commission sociale donne une suite favorable à la demande tout en préconisant au salarié de solliciter de l’aide auprès de l’assistant social du travail. Nous voyons donc surgir deux écueils potentiels à partir du moment où l’assistant social est positionné dans le circuit de demande d’une aide financière au CE : la transmission d’informations à caractère secret par l’assistant social aux membres du CE en dehors de tout cadre légal ; la relation entre l’assistant social et le salarié, fondée sur un rapport de pouvoir (cf. article « entre autorité et pouvoir en service social du travail ») : celui de permettre par son évaluation l’octroi d’une aide financière.

Essayons désormais d’analyser les marges de manœuvre de l’assistant social face à ces deux écueils. Précisons qu’il ne s’agit pas de dire quelle serait la « bonne pratique à adopter » mais plutôt d’analyser le système d’intervention dans lequel se situe le professionnel afin d’en dégager les leviers d’une intervention porteuse de sens.

Option 1 : Accompagner le salarié dans la compréhension de son problème et la formalisation de sa demande

Si la demande du salarié est nominative, l’assistant social ne peut donc pas transmettre une évaluation de la situation du salarié. Cependant, une fois expliqué cela au CE, un positionnement possible pour l’assistant social peut être d’engager avec le salarié une démarche de co-analyse de la situation posant problème afin d’interroger la pertinence d’une aide financière et d’identifier toutes les ressources internes et externes à l’entreprise qui peuvent être mobilisées. La mobilisation de ces ressources constitue un socle intéressant pour un processus de changement car il peut permettre une remise en question de certains aspects de son environnement professionnel et personnel.

A partir de là, si la demande au CE apparaît pertinente, et/ou si elle est toujours souhaitée par le salarié, l’assistant social peut accompagner le salarié dans la formulation et la constitution de sa demande : quelles informations il souhaite transmettre ? A-t-il identifié les personnes membres du CE qui vont étudier sa demande ? Quels risques ? Quelle stratégie par rapport à la « politique » du CE ?

- Bénéfices  espérés de ce positionnement : L’assistant social ne transmet aucune information à caractère secret au CE ; le salarié conserve la maîtrise des informations qui le concerne et pense les ressources qu’il peut mobiliser dans son environnement ; l’assistant social n’est pas positionné comme intermédiaire ayant les clefs d’octroi d’une aide par le CE mais comme un soutien face à un problème donné.

- Risques potentiels de ce positionnement : Perte de crédibilité face au CE qui attend une sécurisation de sa prise de décision par l’évaluation de l’assistant social  et, face au salarié, qui attend de l’assistant social de faire en sorte que l’aide lui soit octroyée ; Perte de visibilité au sein de l’entreprise

Option 2 : Etablir, en concertation avec le CE, un fonctionnement traduit dans le règlement interne de la commission et garantissant l’anonymat des demandes des salariés

La construction avec le CE d’un mode de fonctionnement répondant à la fois à la volonté de sécuriser les prises de décision par la transmission d’une évaluation de l’assistant social et à l’obligation de se taire liée au secret professionnel est une autre option. En effet, un mode de fonctionnement fondé sur l’anonymat des demandes et de l’évaluation de l’assistant social est possible légalement que ce soit pour l’AS ou pour le CE. Ainsi, seul le trésorier ou le secrétaire du CE ou de la commission aurait connaissance du nom du salarié, peut ne pas participer aux décisions et ne pas être destinataire du rapport d’évaluation.

L’assistant social reçoit donc les salariés souhaitant déposer une demande, analyse avec le salarié les différentes ressources mobilisables et instruit la demande.

- Bénéfices espérés de ce positionnement : Renforcement du lien et du travail de collaboration avec le CE ; Renforcement de la place de l’AS au sein de l’entreprise ; repérage par les salariés du rôle de l’AS.

- Risques potentiels de ce positionnement : Risqué dans une petite entreprise avec peu de salariés car anonymat biaisé ; Relation fondée sur un rapport de pouvoir avec le salarié ; Cadre d’aide contrainte si le salarié est dans l’obligation de rencontrer l’assistant social et de lui exposer sa situation afin de déposer une demande ; Image biaisée de l’assistant social auprès des salariés

Ces deux options ne sont bien évidemment pas les seules possibles mais ouvrent des pistes et visent à susciter la réflexion, la controverse et donc la construction d’un positionnement professionnel.

Cette réflexion met en lumière la nécessité d’un positionnement construit et appuyé sur un socle de valeurs dont le travail social est porteur mais aussi stratégique en lien avec le contexte particulier de l’entreprise.

Bien souvent, l’assistant social -intervenant au sein d’un service social inter-entreprises ou embauché directement par l’entreprise- doit engager une démarche éthique singulière prenant en compte deux dimensions en tension : l’intérêt propre du salarié et la nécessaire intégration de son rôle et de son intervention au sein de l’entreprise.

En effet, l’affirmation simple et franche de valeurs et de règles déontologiques ne suffit pas au positionnement professionnel en entreprise. Cela sert de boussole et de fondement mais doit s’articuler au contexte spécifique d’intervention, au cadre légal et à la singularité de la situation du salarié.

C’est à travers l’analyse de ce système complexe et l’engagement de l’AS (ainsi que de son encadrement et de ses pairs) dans un processus de construction/déconstruction permanent que peuvent émerger des pistes innovantes et pertinentes.

 

Note :

1 Selon Philippe BERNOUX (La sociologie des organisations, Points Essais, 2014), l’acteur est « l’individu qui réalise des actions, joue un rôle, remplit des fonctions selon des motivations et pour des fins qui leur sont, en tout ou partie, personnelles ».

 

Antoine GUILLET