Positionnement Professionnel et Secret Professionnel : Utiliser nos marges de manœuvre pour une intervention créative

Extrait de l’intervention d’Antoine GUILLET lors de la Conférence du Réseau National des Assistants Sociaux des Personnels des Etablissements d’Enseignement Supérieur et de Recherche / 3 juillet 2015 à l’Université Lyon 1, intitulée :

Positionnement Professionnel et Secret Professionnel : Utiliser nos marges de manœuvre pour une intervention créative

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La confidentialité mise à mal

Le secret professionnel et le partage ou non des informations ainsi couvertes posent une question de société et la manière dont cette question évolue nous renseigne sur les évolutions sociétales à l’œuvre.

En effet, les professionnels soumis au secret sont à la jonction entre les sphères privée et publique, dépositaires d’informations relevant de la vie privée mais exerçant une mission pouvant nécessiter la révélation ou la transmission de certains de ces éléments. L’équilibre entre l’intérêt général et la liberté individuelle, question au combien démocratique, est aussi en tension lorsqu’il s’agit de protection de l’enfance, de prévention de la délinquance ou, pour coller à l’actualité, de lutte contre « la radicalisation religieuse » et le terrorisme.

Nous ne pouvons malheureusement que constater que l’effervescence du modèle sécuritaire conduit à un affaiblissement, dans les textes et dans les pratiques professionnelles, du secret professionnel et par la même de la place de confident nécessaire jusque-là occupée par certaines professions.

Les évolutions législatives ajoutant des possibilités de dérogations au secret professionnels sont nombreuses : loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance, loi Perben II, et plus récemment la proposition de loi « tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé ». Sans compter le projet de refonte des diplômes de travail social, qui, s’il était adopté, viendrait supprimer le secret par profession en travail social par la disparition pure et simple du DEASS.

Une question de positionnement et non une simple application du Droit

Mais le secret professionnel évolue également en fonction des pratiques professionnelles de ceux qui y sont soumis. Il ne suffit pas qu’un cadre légal soit posé. Les professionnels ont à se positionner, dans des situations toujours singulières, entre ce cadre légal, son institution d’appartenance et ses directives, la déontologie et ses valeurs associées et ce qui apparaît être l’intérêt de la personne. C’est à partir de là, dans ces espaces de tension, qu’une démarche éthique se construit et que le secret professionnel prend vie. C’est en interrogeant nos actes, nos choix, notre positionnement que nous le faisons évoluer et lui donnons tout son sens.

Le secret professionnel vu comme un frein alors qu’il s’agit d’un levier

Le modèle sécuritaire et la logique gestionnaire d’application des politiques publiques ont entraîné des mutations importantes dans le champ du travail social et notamment la multiplication des dispositifs et leur complexification ainsi qu’un développement de l’aide contrainte dans le champ administratif.

Ainsi, un modèle d’intervention basé sur la logique de « un problème=un dispositif=une réponse » s’est développé progressivement. En voulant développer de cette manière les politiques publiques sur les territoires, nous avons finalement réduit les marges de manœuvres des professionnels et ainsi leur autonomie, donc leur responsabilité, donc leur crédibilité ainsi que la part créative de ce qu’on appelle couramment la « co-construction » avec la personne.

L’autre logique particulièrement présente dans le champ de la protection de l’enfance et de la prévention de la délinquance, mais pas uniquement, est celle d’un modèle basé sur le triptyque suivant « repérer, signaler, prendre en charge » qui convient parfaitement aux adeptes du principe de précaution. Ce modèle présenté comme bienveillant et voulant « aider » le plus grand nombre même s’ils ne sont pas demandeurs ou même librement consentants est fondé sur un partage d’informations généralisé et une pratique d’abaissement du seuil d’alerte face à l’acte de signalement ou de transmission d’informations face à un potentiel danger.

Dans ces deux logiques que je viens de vous présenter, le secret professionnel est un problème, un frein au bon déroulement du processus de « prise en charge » de la problématique de la personne. En effet, pour repérer, il faut partager ; pour signaler, il faut transmettre les éléments dûment récoltés ; pour prendre en charge, il faut « travailler en partenariat ». Donc, le secret tend à devenir l’exception et le partage, la règle. Cet inversement implicite de la règle est dangereux et signifierait qu’on ne peut plus travailler avec une personne dans le cadre duel, confidentiel permettant la confiance et la maîtrise de l’information par la personne.

On perçoit donc très clairement que la logique sécuritaire cumulée à l’application gestionnaire des politiques publiques tendent à créer des citoyens-objets des institutions et des politiques sociales et non des sujets pleinement associés et à même de faire des choix libres et éclairés. »