Pour bien comprendre la Loi Santé et son impact sur les pratiques de partage d’informations

Entre novembre 2015 et janvier 2016 deux lois ont été votées visant à faciliter le partage d’informations en particulier entre les champs médicaux et sociaux. Avec un objectif affirmé : la continuité de la prise en charge des personnes qu’elles soient malades, âgées ou en perte d’autonomie.

Il faut dire qu’une certaine méfiance a pu ici ou là marquer les relations entre professions sociales et professions médicales. Chacune relevant de son Code, de son éthique ou de sa déontologie.

La loi Kouchner avait, en mars 2002, permis pour la première fois le partage d’informations au sein des établissements de santé mais seulement entre professionnels soignants. Notion qui n’avait au demeurant pas été définie.

Les lois récentes, les décrets d’application et le dernier arrêté du 25 novembre 2016 visent à faciliter ce partage dans une logique d’accompagnement global. Un « parcours » pour reprendre un lexique aujourd’hui à la mode.

Après avoir étendu le secret professionnel (1) les lois en question prévoient aussitôt le partage (2) plus ou moins facilité selon que les professionnels sont membres ou non d’une même équipe de soins (3).

1. L'extension du secret professionnel

Afin de faciliter le partage la démarche suivie –paradoxale- consiste à étendre les personnes soumises au secret. Afin d’éviter que les uns se voient opposer un secret auquel ils ne seraient pas soumis quand les autres le sont. 

Ainsi l’article 1110.4 du Code de santé publique qui jusqu’alors assujettissait au secret l’ensemble du personnel des établissements de santé étend depuis janvier 2016 cette obligation à tout « professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ». Pour le dire autrement a ceux qui relèvent de la loi de janvier 2002 rénovant l’action sociale.

De la même manière la loi de novembre 2015 modifie l’article 113.3 du Code de l’action sociale et des familles pour prévoir que « les professionnels prenant en charge une personne âgée dans le cadre de la méthode mentionnée au I [MAIA] sont tenus au secret professionnel, dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Au départ limitée aux malades d’Alzheimer et expérimentale, cette méthode reposait sur une Maison pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer, chargées d’orienter, d’accueillir et d’offrir à toute personne âgée en perte d’autonomie la meilleure prestation en cohérence avec les dispositifs existants (guichets d’accueil, de conseil et d’orientation « CLIC », réseau de santé, hôpital…). Etendu par la loi du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale et par un décret du 2 décembre 2013, ce dispositif partenarial s’applique à toute personne en perte d’autonomie. Désormais tous les « professionnels » (ce qui pose la question en suspens des bénévoles) qui participent à cette prise en charge sont soumis au secret quels que soient leurs métiers. 

2. Le partage d’informations : principes généraux 

Une fois le secret posé comme principe les deux lois précitées invitent aussitôt au partage. 

Pour les personnes en perte d’autonomie il est précisé : «toutefois, ils peuvent échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, dans les conditions prévues à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ». Le Code de l’action sociale renvoie donc au Code de santé publique et à ce qui est désormais l’article de référence en matière de partage d’informations.

Dans cet article justement le principe général suivant est posé : « un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu'ils participent tous à sa prise en charge et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social ».

Détaillons :

-« un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés». Jusqu’alors le texte parlait de professionnels de Santé. Désormais cette disposition est plus large puisqu’elle s’applique au social comme au médical. On peut regretter toutefois en termes de compréhension que cette disposition n’ait pas été reprise in extenso dans le CASF. Notons également que les bénévoles sont implicitement exclus du partage. 

« des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu’ils participent tous à sa prise en charge ». Evidemment il s’agit ici d’éviter des curiosités malveillantes. Par une lecture restrictive une telle écriture pourrait empêcher que des professionnels puissent échanger sur une situation sur laquelle ils n’interviennent pas, par exemple dans le cadre d’analyse de pratiques. La seule solution est alors, faut-il le rappeler, l’anonymisation des échanges. 

-« que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social ». Dans une formule désormais éprouvée appelant à la prudence (« strictement ») il s’agit d’échanger non plus dans un seul objectif médical (loi kouchner) mais également social.

Evidemment et heureusement les « nécessaires informations » ne sont pas listées. N’en déplaise à quelques angoissés qui voudraient que la loi définisse toutes les pratiques professionnelles faisant fi de la singularité des situations mais aussi des partenariats. 

Une fois ces principes établis se pose la question de la place de l’usager-patient dans ce système de partage. Trois schémas sont prévus mais ne dépendent non pas du type d’informations échangées, ni même de leur forme (écrites ou orales) mais de l’identité des interlocuteurs. 1ere question : Font-ils ou non partie d’une équipe de soins ? 2ème question : à quelle catégorie de professionnels appartiennent-ils ?

3. Qui peut échanger ? 

A. La notion d'équipe de soins

Jusqu’alors non définie l’équipe de soins est établie par l’article L.1110.12 du CSP et ses textes d’application. 

Une équipe de soins suppose deux conditions cumulatives : 

1) Il s’agit d’un « ensemble de professionnels qui participent directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes ». Sans grande surprise il faut donc soigner ou coordonner des soins pour faire partie d’une équipe de soins.

2) Mais qui dit équipe dit trois modes d’exercice. 

• a) Ce peut être au sein d’un même établissement de santé, dans le même établissement ou service social ou médico-social. Ainsi un médecin et une infirmière d’un IME ou d’un Ehpad font partie d’une équipe de soins. Ce peut être dans le cadre d'une structure de coopération, d'exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale. Un décret du 20 juillet 2016 codifié à l’article D1110-3-4 du CSP nomme ainsi les équipes pluridisciplinaires intervenant au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie, les maisons de santé, les centres de santé, etc….

• b) ce peut être parce que le professionnel s’est vu reconnaître la qualité de membre de l'équipe de soins par le patient qui s'adresse à lui pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge. Définition ici large car le fait d’intervenir sur la base d’une prescription médicale donne d’emblée la qualité de membre d’une équipe de soins. 

• c) enfin on parlera d’équipe de soins si des professionnels exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé. Pour le dire autrement on parlera de réseau formalisé et encadré. Un arrêté du 25 novembre 2016 est venu définir ces « organisations formalisées ». Même si elles n’ont pas la nécessité de prendre la forme d’une personne morale ad hoc cela suppose trois pratiques cumulatives. 

- ces professionnels mettent en œuvre des protocoles communs relatifs à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes. Le terme de protocole désigne un ensemble de consignes formalisées à suivre ou de techniques à utiliser dans différentes situations clairement identifiées ; 

- ils conduisent ensemble des actions d'amélioration des pratiques professionnelles, en particulier au cours de réunions périodiques de suivi (par exemple, pour analyser des prises en charge complexes, des événements indésirables associés aux soins, etc.) ; 

-l'échange ou le partage des données de santé entre les membres de l'équipe de soins s'appuient sur un système d'information conforme à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 dite loi informatique et libertés.

Sont donc par exemple considérés comme équipe de soins au sens de la loi précitée les réseaux de santé mentale, les Resad (réseau d’évaluation des situations d’adultes en difficultés) ou les Centres Locaux d'Information et de coordination (CLIC) dès lors qu’un professionnel de santé fait partie du réseau et qu’ils se sont dotés –et c’est souvent le cas- de chartes ou protocoles.

B. Deux catégories de professionnels

L’article R.1110.2 du CSP nous invite à distinguer deux catégories de professionnels susceptibles d'échanger ou de partager des informations relatives à la même personne prise en charge. 

D’un côté les professionnels de santé. Ce qui renvoie formellement à la 4e partie du code de la santé publique (livre Ier : Professions médicales ; livre II : Professions de la pharmacie ; livre III : Auxiliaires médicaux, aides-soignants, auxiliaires de puériculture, orthophonistes, psychomotriciens, etc…). 

De l’autre… les autres. C’est-à-dire les assistants de service social, les ostéopathes, chiropracteurs, psychologues et psychothérapeutes, les aides médico-psychologiques et accompagnants éducatifs et sociaux, les assistants maternels et assistants familiaux, les éducateurs, les particuliers accueillant des personnes âgées ou handicapées, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et délégués aux prestations familiales, ou encore des non-professionnels de santé mettant en œuvre la méthode MAIA ou participant à la gestion de l’APA. 

Une fois cette double distinction effectuée (équipe de soins ou pas, même catégorie ou pas) les droits des usagers-patients varient. 

C. Les conséquences de ces distinctions

Première hypothèse

Le partage d'informations hors équipe de soins

Lorsqu’il s’agit de partage d’informations entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, le consentement préalable de l’intéressé est requis. Il est recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, dans les conditions définies par les articles D.1110.3.1 et D.1110.3.3 du CSP. Seules l’impossibilité et l’urgence permettent de se dispenser de ce recueil. Le consentement suppose que l’intéressé soit informé, selon ses capacités :

-des catégories d'informations ayant vocation à être partagées, 

-des catégories de professionnels fondés à en connaître, 

-de la nature des supports utilisés pour les partager et des mesures prises pour préserver leur sécurité, notamment les restrictions d'accès ;

Deuxième hypothèse 

Le partage d’informations entre professionnels de catégories différentes au sein d’une équipe de soins.

Le décret (R.11110.3) prévoit un cas intermédiaire que la loi ne prévoyait pas. Il s’agit de l’hypothèse de partage d’informations entre professionnels lorsqu’ils n’appartiennent pas à une même catégorie de professionnels tels que définis plus haut. C’est l’exemple du partage entre le médecin et l’assistante sociale ou le psychologue. Dans ce cas le texte prévoit une information préalable de l’usager, de la nature des informations devant faire l'objet de l'échange, d'autre part, soit de l'identité du destinataire et de la catégorie dont il relève, soit de sa qualité au sein d'une structure précisément définie. Là aussi seule l'urgence ou l'impossibilité d'informer cette personne peut dispenser le professionnel ou la personne participant à sa prise en charge de l'obligation d'information préalable. 

Par contre, alors que la loi Kouchner prévoyait expressément la possibilité pour la personne concernée de s’opposer à un échange entre soignants et non soignants, la loi nouvelle et son décret ne prévoit pas cette hypothèse. 

Troisième hypothèse

Le partage d’informations au sein d’une équipe de soins. 

Enfin, hypothèse la plus simple, lorsque ces professionnels appartiennent à une même équipe de soins et à une même catégorie (médecin-médecin par exemple), ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Dans ce cas les informations sont réputées confiées par la personne à l'ensemble de l'équipe. La loi ne prévoit ici aucune information donnée à l’usager-patient. En ce sens cette disposition reprend le schéma en vigueur dans la loi Kouchner au terme de laquelle en acceptant sa prise en charge dans un établissement de santé le malade acceptait tacitement le partage entre soignants. 

D.Le partage et le Dossier médical partagé 

Nous avons eu ici l’occasion de commenter la mise en place du DMP (dossier médical partagé). Rappelons que ce carnet de santé numérique ne peut être créé qu’avec l’accord du patient. S’il a accepté la mise en place du DMP, les modalités d’accès sont définies par l’article R.1111.41 du CSP. 

Elles ne font que décliner les principes posés plus haut. 

-Lorsque le professionnel de santé est membre d'une équipe de soins, l'autorisation d'accès au dossier médical partagé est délivrée dans les conditions prévues plus haut. L’autorisation est donc réputée donnée à l'ensemble des professionnels de santé membres de l'équipe de soins.

-Lorsque le professionnel de santé ne fait pas partie de l'équipe de soins, le consentement est exigé et est recueilli dans les conditions évoquées plus haut. Cas particulier : un professionnel de santé bénéficiant de l'accès peut recueillir ce consentement pour le compte d'un autre professionnel de santé. A cet effet, le titulaire est informé des raisons qui motivent le recueil de son consentement et des règles qui s'appliquent à la consultation de son dossier médical partagé par le professionnel de santé concerné.

4 le droit d’opposition au partage d'informations

L’article L.1110.4 reconnait un droit d’opposition au partage d’informations. Il est ainsi précisé que « la personne est dûment informée de son droit d'exercer une opposition à l'échange et au partage d'informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment ». 

Au regard des trois hypothèses évoquées plus haut il nous semble que par définition ce droit d’opposition ne s’applique pas lorsque le partage repose sur le consentement express au partage. Il s’applique principalement dans l’hypothèse 2 évoquée plus haut : dans le cas où le partage suppose l’information préalable de l’intéressé. 

La loi ne prévoit aucun formalisme à cette opposition. Seule la formalisation du consentement est prévue : "Art. D. 1110-3-2.-L'information préalable de la personne est attestée par la remise à celle-ci, par le professionnel qui a recueilli le consentement, d'un support écrit, qui peut être un écrit sous forme électronique, reprenant cette information." Pour autant l’intéressé aura intérêt à l’exprimer formellement –par écrit- pour obliger au respect de sa volonté. Ce qui permettra de faire sanctionner le non respect de sa volonté. Plutôt que de renvoyer expressément à l’article 226.13 relatif au secret professionnel dans cette hypothèse de violation de sa volonté, l’article L.1110.4 prévoit des sanctions spécifiques mais un quantum de peines identiques. Il est ainsi précisé que « Le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

Christophe DAADOUCH