Le Code de déontologie des infirmiers : un entre-deux étonnant

Vient d’être publié au JO du 25 novembre le premier Code de déontologie des infirmiers (décret n°2016-1605). Certaines dispositions figuraient déjà dans le Code de santé publique depuis 1993. Elles sont donc désormais intégrées dans un Code à valeur réglementaire.  

Diverses dispositions ont précisément trait au secret professionnel. 

Code de déontologie des infirmiers et secret professionnel

Ainsi le principe général est posé à l’article R. 4312-5 du Code de Santé publique ;  «Le secret professionnel s'impose à tout infirmier, dans les conditions établies par la loi. L'infirmier instruit les personnes qui l'assistent de leurs obligations en matière de secret professionnel ».

Ce principe est confirmé indépendamment du mode d’exercice. 

Ainsi en est-il dans le cadre de l’exercice salarié : « Art. R. 4312-63.-L'infirmier, quel que soit son statut, est tenu de respecter ses devoirs professionnels et en particulier ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions ». 

Mais aussi dans le cadre de l’exercice libéral : Art. R. 4312-67. «L'infirmier dispose, au lieu de son exercice professionnel, d'une installation adaptée et de moyens techniques pertinents pour assurer l'accueil, la bonne exécution des soins, la sécurité des patients ainsi que le respect du secret professionnel." 

Le secret doit également être respecté dans le cadre des publications scientifiques : Art. R. 4312-49. «Lorsqu'il utilise son expérience ou des documents à des fins d'enseignement ou de publication scientifique, l'infirmier fait en sorte que l'identification des personnes ne soit pas possible ».

Par contre, pour certains « faits utiles à l’instruction», le secret peut être levé devant les instances ordinales : Art. R. 4312-26 «Dans le cas où un infirmier est interrogé au cours d'une procédure disciplinaire ordinale, il est tenu, dans la mesure compatible avec le respect du secret professionnel, de révéler les faits utiles à l'instruction parvenus à sa connaissance ». 

Curieusement aucune disposition n’évoque par contre les exceptions au secret, ni les hypothèses de plus en plus fréquentes de partage d’informations.  

70 ans après les médecins ou les sages-femmes, les infirmiers se dotent donc de leurs propres règles d’exercice professionnel.

Selon l’article R. 4312-1 ces dispositions s'imposent à tout infirmier inscrit au tableau de l'ordre, à toute personne donnant des soins infirmiers ainsi qu'aux étudiants : « Les infractions à ces dispositions sont passibles de sanctions disciplinaires, sans préjudice des poursuites pénales qu'elles seraient susceptibles d'entraîner ».

Au plus tard dans un délai de six mois, les infirmiers en fonction et inscrits au tableau de l'ordre sont tenus de déclarer sur l'honneur au conseil départemental dont ils relèvent qu'ils ont pris connaissance du code de déontologie et qu'ils s'engagent à le respecter.

Reste que le caractère réglementaire et opposable de ce décret est marqué par une fragilité qui en réduit considérablement la portée

Un code de déontologie pour quelques infirmiers seulement ?

Le Conseil national de l'ordre des infirmiers est chargé de veiller au respect de ces dispositions « par tous les infirmiers inscrits à son tableau ». Cependant, l’inscription au Conseil national de l’ordre des infirmiers n’est pas obligatoire.

L’Ordre est en effet très contesté parmi la profession, et ce depuis sa création par la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006. Une intersyndicale a été créée afin de demander sa suppression. Cette dernière avait même été votée en première lecture à l’Assemblée nationale en 2015 avant que l’Ordre ne soit sauvé en seconde lecture. Il faut dire que sa représentativité reste faible. Fin octobre 2015 177.290 infirmiers étaient inscrits sur une population estimée à environ 600.000 infirmiers. Et leur non-inscription n’a pas de conséquences professionnelles à la différence d’autres métiers (avocat, médecin, etc..). Quant aux élections ordinales, elles connaissent une forte abstention puisque seuls 22% des inscrits ont participé aux scrutins départementaux de 2014. 

La consécration de ce Code de déontologie pourra peut-être relégitimer l’Ordre et augmenter le taux d’adhésion. En tout cas, la situation ne pourra longtemps rester dans cet entre-deux atypique d’un Code de déontologie dont le respect dépend du fait que le professionnel décide d’adhérer ou non à l’Ordre. On connaissait jusqu’alors des Codes de déontologie opposables (médecins, avocats etc…) et d’autres ayant plutôt une valeur morale (psychologues, assistants de service social). Il y a désormais les infirmiers au milieu du gué. 

Intérêts et limites d’une déontologie réglementaire en travail social 

Cette évolution constitue-t-elle un modèle à suivre pour les autres professions disposant d’un code de déontologie non-réglementé ? Loin de tout enthousiasme ou rejet, il s‘agit de réfléchir en tentant de repérer les avantages et les limites d’un texte ayant force réglementaire.

Tout d’abord, il est aisé de constater qu’un code de déontologie non-réglementé reste un texte possédant une valeur essentiellement symbolique. Nous n’avons ainsi pas connaissance d’une quelconque sanction pour un membre de l’ANAS du fait du non-respect du code de déontologie des assistants de service social. De fait, le code est un point de repère non-contraignant servant essentiellement à repérer l’écart entre la pratique réelle et celle qui serait une forme de pratique « suffisamment bonne ».

Cela offre plusieurs avantages. Le premier est l’absence d’une instance exerçant une fonction ordinale, avec possibilité de sanction de ceux qui ne respectent pas le code. Cette sanction impossible et la liberté qu’elle confère aux professionnels est intéressante. Elle comporte cependant une limite : l’impossibilité pour le public d’opposer le respect de la déontologie dans la relation professionnel/usager. En effet, un code réglementé et l’instance qui veille à son respect  sont un atout pour les personnes reçues. Elles peuvent, comme cela se fait régulièrement auprès du Conseil de l’Ordre des Médecins, se plaindre d’un traitement qu’elles jugent non-déontologique de la part d’un professionnel. C’est un autre type de rapport public/professionnels que favoriserait donc un code réglementé. Aujourd’hui, la déontologie professionnelle est très peu utilisée de façon explicite comme médiatrice de la relation connue et reconnue par les deux parties : un usager est très rarement informé de ce qu’est la déontologie du professionnel, ce qui est un vrai problème.

Le deuxième avantage de la situation actuelle est la libre détermination du texte déontologique par la seule corporation concernée, sans avoir à satisfaire a priori une quelconque autorité autre que le respect de la loi. Le passage à la réglementation ouvrirait sur une nouvelle période : celle de devoir produire un texte qui puisse être publié par l’Etat. Or, à une période où, sous des formes de référentiels, procédures et autres « bonnes pratiques »,  des tendances à la normalisation de l’action sociale irriguent le secteur, ce n’est pas une question neutre que celle de la production d’une nouvelle forme de norme publiable par un Etat. D’un autre côté, cela pourrait constituer un renforcement de la crédibilité professionnelle de cette corporation, justement en raison de la reconnaissance de ses pratiques déontologiques.

Le débat ne se résume pas à une version avec ordre/code réglementé ou la version actuelle pour les assistants de service social ou les psychologues. Une alternative à ces deux voies est peut être celle du Québec. L’adhésion à l’ordre des travailleurs sociaux n’a pas un caractère obligatoire mais représente une forme de label de qualité pour ceux qui y adhèrent. Ils acceptent par exemple d’être l’objet d’une inspection professionnelle menée par cet ordre. L’objectif est de « protéger le public ». C’est une proposition intéressante qui pourrait finalement permettre une meilleure lisibilité pour le public et les employeurs de qui est référé à une déontologie forte et reconnue, et qui ne l’est pas, avec les risques que cela comporte tant pour les institutions que pour les personnes accueillies.

Finalement, voilà qui pourrait répondre à la situation des infirmiers et infirmières comme à celle des travailleurs sociaux dont la déontologie peut difficilement rester une simple revendication sans vérification possible par personne, et qui doivent cependant garder une marge d’autonomie forte dans leurs pratiques professionnelles.

Voici un vaste et intéressant débat à poursuivre.

Christophe DAADOUCH

Laurent PUECH