Parents fumeurs et information préoccupante - Une question de temps...

C'est passé inaperçu... Mais pendant quelques semaines, il a été "interdit à tous les occupants d'un véhicule de fumer en présence d'un enfant de moins de dix-huit ans." Créé par LOI n°2016-41 du 26 janvier 2016 - art. 29, l'article L3511-7-2 du code de la santé publique a été abrogé par Ordonnance n°2016-623 du 19 mai 2016 - art. 1

Protection de l'enfance et fumée de cigarette

Il ne s'agit pas ici de discuter des effets réels et potentiellement dangereux à terme du tabagisme passif, notamment sur les organismes des jeunes enfants. Il ne s'agit pas non plus de rire de l'effet d'une telle interdiction chez les jeunes de 16 ou 17 ans qui vont en voiture avec leurs amis. Non-fumeur (et même victime de tabagisme passif :-), je souhaite juste souligner deux choses.

Cette idée vise à provoquer un changement de comportement plus protecteur pour les enfants qui sont exposés à la fumée de cigarettes consommées dans leur entourage. Elle ne vise pas à faire des informations préoccupantes.  Mais avec une telle mesure, combien de temps aurait-il fallu avant que des services sociaux reçoivent des "informations préoccupantes" concernant des enfants en risque de danger ? Devenant illégal, le fait de fumer en voiture avec présence de son enfant serait observé avec attention. Car, il faut bien reconnaître que, parmi tous les risques qui existent dans une vie, celui d'une altération de la santé pour l'enfant du fait de la fumée en est un. Donc, entre la chasse au comportement "déviant" (entre parents séparés, dans le regard de certains professionnels du médical ou du social) et l'exigence de conformité à des normes de plus en plus poussées, combien de temps aurait-il fallu pour qu'une information préoccupante sur le thème "Les parents fument dans la voiture en présence de leurs enfants" déclenche une intervention des services sociaux au domicile familial ? J'imagine la situation et le malaise des professionnels...

J'exagère ? Aujourd'hui, plusieurs départements choisissent de déclencher systématiquement une intervention des travailleurs sociaux lorsqu'ils reçoivent une information dite préoccupante, et ce quelle que soit la teneur de "l'information" reçue. Je n'ai pas de mal à imaginer qu'ils auraient adopté cette ligne de conduite pour un signalement de fumée, fut-elle sans feu.

Partage d'informations fumeuses

Je poursuis cet exercice d'imagination. Quelle belle réunion de concertation-synthèse pourrait être organisée après la rencontre avec la famille ? L'évaluation du taux de nicotine ingéré par l'enfant, pondérée par le niveau de consommation de cigarette du ou des parents par le médecin de PMI ? L'analyse par le psychologue de l'équipe du rapport à la cigarette du parent ? Le poids de l'achat de cigarettes dans le budget familial par les travailleurs sociaux ? Après tout, un tel partage au sein de l'équipe répondrait à tous les critères de l'article 226-2-2 du code de l'action sociale et des familles autorisant le partage d'informations à caractère secret. 

Ce qui m'amène à mon deuxième point : quels effets auraient sur les professionnels et les parents une telle interdiction dont le non-respect serait passible d'une intervention de travailleurs sociaux ? Avec le désir protectionniste de certains professionnels (de premier contact, encadrements, directions, élus), jusqu'où cela amènerait dans la production d'actes de contrôle encore plus poussés sur les fonctionnements familiaux ? Et quels effets sur les parents dans leurs rapports aux services sociaux, pour leur crédibilité face à leurs enfants ? Quant aux enfants, jusqu'où seraient-ils implicitement placés en surveillants de parents qui les "empoisonnent" ? Quels filtres pourraient limiter les dérives possibles ?

 

Quand elle reviendra sur le devant de la scène, cette mesure risque de n'être pensée que sous l'angle santé "diminution de l'exposition à la fumée". Probablement bénéfique sous ce seul angle, cette mesure aurait pourtant des effets collatéraux qu'il convient aussi de penser : la santé, ce n'est pas qu'une question biologique.

Cela vous paraît peut-être étrange de consacrer quelques lignes à ce sujet alors que la nouveauté législative vient d'être abrogée. Mais c'est probablement une question de temps avant qu'elle revienne en proposition : cette mesure est déjà adoptée au Canada et dans plusieurs autres pays...

Alors, à quand la première IP sans filtre ? Chronomètre déclenché...

Laurent Puech