Réduire encore le secret professionnel : une proposition de loi mal motivée

Le 19 avril 2018, une proposition de loi a été déposée au Sénat par Madame Brigitte LHERBIER, Sénatrice, et plusieurs de ses collègues. Elle vise « à obliger toute personne ayant connaissance d'un crime ou de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personne vulnérable à en informer les autorités judiciaires ou administratives ». 

Ce texte vise à supprimer une des marges de manœuvre des professionnels autorisée actuellement par le législateur. L’examen de l’exposé des motifs présenté par ces sénateurs est éclairant car, partant d’une intention louable,  il recèle plusieurs points de méconnaissance des pratiques professionnelles, une lecture des textes de droit trompeuse, ou encore le recours à une interprétation contestable de la jurisprudence. Par conséquent, une seule question n’est pas vraiment traitée : celle de l’intérêt des victimes et de la nécessaire marge de manœuvre dont ont besoin les professionnels, là où la systématisation de la réponse voulue par ces sénateurs serait en fait maltraitante pour certaines d’entre-elles.

Je propose de parcourir l’argumentation des signataires de la proposition de loi LHERBIER en suivant son déroulé. Le texte intégral de la proposition est disponible en fin de cette analyse ou sur le site du Sénat (https://www.senat.fr/leg/ppl17-453.html ).

La proposition LHERBIER vise le secret professionnel en général

L’exposé des motifs débute (§ 1 à 3) par un rappel de ce que prévoient les articles 226-14, 434-1 et 434-3 du code pénal concernant les professionnels soumis au secret. Il résume donc la situation actuelle du professionnel soumis au secret qui a connaissance de mauvais traitements infligés à une personne vulnérable ou un mineur : il est autorisé à en informer les autorités compétentes sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

C’est en effet le cas. Autorisé, cela signifie que, parmi toutes les actions qu’il peut faire et parmi lesquelles il devra choisir la plus pertinente au regard de la situation, il peut signaler à l’autorité compétente une situation ou ne pas la signaler. Nous rappelons sur notre site comment cette marge de manœuvre laissée par les articles 226-14, 434-1 et 434-3 permet d’agir au mieux.

Cette entrée du texte ne laisse aucun doute sur l’objectif. Même si le terme de secret professionnel n’apparaît pas dans le titre de la proposition de loi, c’est bien l’objectif de cette proposition que d’en modifier les contours

Car voilà, la situation actuelle ne convient pas à ces sénateurs…

De fortes motivations mais très faiblement fondées

Le texte bascule (§ 4) immédiatement après ce rappel du cadre législatif par un énoncé abrupt : « Cependant, l’ordre public et l’éthique commandent à toute personne qui aurait connaissance d’un crime ou de violences commises sur des personnes vulnérables d’en informer les autorités compétentes afin d’en limiter les effets ou de les faire cesser. Le secret professionnel protégé par l’article 226-13 du code pénal ne saurait s’opposer à ce principe. »

Cette phrase est la seule qui motive le changement du cadre légal selon ces sénateurs. La seule ! Elle s’impose comme une évidence, ne prend pas le temps d’un développement minimal. C’est donc « évident ». Il convient pourtant de bien comprendre ce que cette absence d’argumentation suppose… 

L’appel à la notion « d’ordre public », tout d’abord. Qu’entendent les sénateurs par cette notion complexe d’ordre public ? Au moins auraient-ils pu l’expliciter ? Car si, au-delà de la simple affirmation, l’on ne peut justifier que le secret professionnel est contraire à l’ordre public, c’est toute la proposition de loi qui s’effondre. La charge de la démonstration revient aux sénateurs qui proposent ce changement, et force est de constater que de démonstration il n’y a pas. Ironiquement nous pouvons tout de même rappeler que le secret professionnel est effectivement d’ordre public. Cela signifie qu’il s’impose au professionnel de manière transcendante en toute situation au contraire d’une disposition d’ordre contractuel qui elle dépend d’accords situés entre deux partis. 

Ce que l’on peut percevoir, c’est une vision simple, voire simpliste : si on dénonce un acte de maltraitance ou crime sur une personne aux autorités, on protège la victime et la société puisque l’on pourra arrêter les auteurs. Nous verrons plus loin en quoi c’est un raisonnement insuffisant.

L’appel à « l’éthique » ensuite. Notons d’abord l’implicite de cette affirmation qui laisse penser que les professionnels qui ne signalent pas systématiquement n’ont pas d’éthique… mais de quelle éthique parle-t-on ici ? Car une éthique, tout le monde en a une. Et l’éthique de l’un, au regard d’une situation concrète, peut aboutir à une conclusion différente de celle de l’autre. “Il n'y a d'éthique que lorsqu'il y a liberté” écrivait fort à propos Jacques Ruffié (De la biologie à la culture, Ed. Flammarion, 1976).  L’éthique est employée ici comme synonyme de morale, ce qu’elle n’est pas. Elle renvoie à une décision en situation face à des valeurs en tension là où la morale commande d’agir de manière descendante en référence à un principe supérieur. On notera d’ailleurs la formulation utilisée par ces sénateurs : « l’ordre public et l’éthique commandent ». 

L’appel à « l’ordre public et l’éthique » ressemble plus ici à l’appel à des mots creux.

Leur raisonnement omet en effet au moins trois questions essentielles : afin de protéger une personne, ce qui est la fonction de nombreux professionnels du médical et du social qui reçoivent des confidences, le signalement est-il la seule solution ? Est-il toujours la solution la plus efficace pour protéger la société ? Est-il la solution qui va systématiquement améliorer la situation de la personne concernée ? 

A ces trois questions, la réponse par la négative est la seule possible en rappelant que la fonction de « confident nécessaire » est une nécessité démocratique. Prenons un exemple concret et bien réel : une mineure de 17 ans confie à son médecin qu’elle a été violée il y a quelques mois et lui demande conseil pour du soutien psychologique sans vouloir déposer plainte de peur que sa famille l’apprenne. Ces sénateurs pensent-ils que si la loi impose aux professionnels soumis au secret de révéler systématiquement ce type d’informations, cette mineure parlera aussi aisément à un de ces professionnels ? Pensent-ils que, si cette mineure ne peut plus se confier, la société sera mieux protégée ? Pensent-ils que cette mineure se sentira mieux si elle ne peut pas se confier alors qu’elle pense avoir besoin de soutien ? Et pensent-ils qu’une fois sa situation signalée, cette mineure confirmera toujours les faits lorsque des enquêteurs l’auditionneront ? 

On le mesure, le contexte est essentiel pour chercher la réponse de la part du professionnel soumis au secret. Si cette mineure a 12 ans, sa situation sera évidemment différente, et la réponse du professionnel probablement aussi. D’où l’intérêt pour une société que certains de ses membres soient soumis à un statut juridique particulier qui permet que l’on puisse parler de choses difficiles avec la sécurité de ne pas être trahi. L’alignement du statut juridique des professionnels sur celui des simples citoyens est par conséquent une erreur qui, de façon générale, ne protégera pas mieux la société et mettra plus à mal les personnes victimes, qu’elles soient mineures ou majeurs vulnérables.

Le secret professionnel n’est pas en opposition avec l’ordre public et les marges de manœuvre que la loi autorise permettent au professionnel d’agir au plus juste de la situation, de faire ce que leur éthique leur recommande, en signalant parfois et en choisissant d’autres alternatives d’autres fois. 

Au lieu d’insister sur des motivations autres que morales, ces sénateurs choisissent de s’en prendre notamment aux médecins, quitte à se prendre les pieds dans certaines interprétations…

Une présentation erronée du droit et de la jurisprudence

Une phrase de liaison constitue le § 5. Elle sème la confusion, confusion probablement présente chez certains (tous ?) des signataires du texte. Ce chapitre, qui tient en une phrase, est un rappel au premier abord étonnant à ce stade du texte. On comprendra par la suite qu’il semble avoir pour objectif de préparer le lecteur à la stigmatisation des médecins qui va venir après. Le paragraphe est le suivant : « Il convient de rappeler qu’en cas de mauvais traitements un médecin ne saurait rester passif sans encourir les peines prévues à l’article 223-6 du code pénal réprimant la non-assistance à personne en danger. » 

Cette simple phrase sème le trouble. Elle ramène la question de la réaction du médecin devant la connaissance de l’existence d’une maltraitance. Il ne peut en effet rester passif, devant travailler à aider la personne à sortir de cette situation, par un signalement aux autorités et/ou d’autres voies. Mais l’article 223-6 du code pénal ne réprime pas la non-assistance à personne en danger comme l’écrivent ces sénateurs, mais la non-assistance à personne en péril. Or, toutes les situations de maltraitance ne relèvent pas d’une situation de péril ! On peut être maltraité et en danger sans pour autant être en péril. Les conditions du péril, énoncées par la jurisprudence, font que les situations qui en relèvent sont une part seulement des situations de danger (voir notre analyse sur article 223-6 commenté). 

Ce rappel semble donc signifier : ils devraient agir mais ils ne le font pas. 

L’appel à une décision de justice qui suit (§6 et 7) confirme cette impression. On y raconte la condamnation d’un médecin d’une façon un peu particulière…  Ces sénateurs mentionnent donc un arrêt du 23 octobre 2013 (N° de pourvoi : 12-80793) de la chambre criminelle de la Cour de Cassation concernant la situation d’un médecin en institution qui avait connaissance de comportements maltraitants par certains membres du personnel sur des personnes âgées et dépendantes. Ils résument l’affaire en affirmant que le médecin a été condamné pour le délit d’omission d’empêcher une infraction, du fait de s’être abstenu de signaler à une autorité compétente les faits de maltraitance dont il avait connaissance. La lecture de cet arrêt nous apprend que ce n’est pas directement l’absence de signalement à une autorité compétente qui est reprochée à ce médecin, mais le fait qu’il aurait pu dans un premier temps agir auprès du personnel infirmier en saisissant son encadrement « afin que soient prises des dispositions, telles qu'une meilleure surveillance, tendant à prévenir le renouvellement de faits constituant des atteintes à l'intégrité de personnes hospitalisées » et que « en cas d'échec de cette démarche, il lui appartenait de s'entretenir de la situation avec la direction de l'hôpital afin que la qualité des soins prodigués aux pensionnaires soit préservée par des mesures appropriées ». Ces faits se sont déroulés de 1999 à 2004, et une action était possible de la part du médecin, le signalement au directeur de l’établissement ne devenant nécessaire que si l’action auprès des infirmiers ne suffisait pas à modifier les comportements maltraitants. 

Contrairement à ce que prétendent ces sénateurs, cette jurisprudence ne dit donc pas qu’il est obligatoire de signaler,  mais simplement qu’il est obligatoire d’agir. Et le secret professionnel n’est ni un frein à cette obligation d’agir, ni une invitation à la passivité devant des situations de maltraitance.

Une mise en accusation infondée de l’ordre des médecins

Le paragraphe qui suit (§8) poursuit dans la confusion et l’erreur. Il est reproché au conseil national de l’ordre des médecins, « en dépit d’une jurisprudence constante condamnant les personnes s’abstenant de signaler une maltraitance indique sur son site que le médecin est autorisé à signaler au procureur de la République (avec l’accord des victimes adultes) des sévices constatés dans son exercice et qui permettent de présumer de violences physiques, sexuelles ou psychiques. » (cf https://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-4-secret-professionnel-913)

La confusion ? Parler de condamnations pour les personnes s’abstenant de signaler une maltraitance ne dit pas que ces condamnations concernent des professionnels soumis au secret. Le cadre juridique de ces derniers n’est pas celui des personnes qui n’y sont pas soumises et qui ont, elles l’obligation de signaler ces maltraitances. En vertu du 434-3 du code pénal, le médecin (et tout professionnel soumis au secret) est autorisé à signaler alors que le citoyen est lui obligé.

La contradiction ? Ces sénateurs veulent changer le cadre légal qu’ils jugent inadapté et reprochent au conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) de le respecter… Car ce qui est indiqué sur le site est juste et cohérent avec la jurisprudence en la matière. Ces sénateurs allant trop vite dans leur lecture de l’arrêt  du 23 octobre 2013 reprochent donc au CNOM de ne pas se tromper avec eux. 

Un « obstacle » qui n’existe pas

Ces sénateurs proposent donc de lever les exceptions prévues aux articles 434-1 et 434-3 du code pénal concernant les professionnels tenus au secret lorsque les faits concernent des mineurs et personnes vulnérables. Ils induisent en erreur le lecteur lorsqu’ils affirment :

« Le dernier alinéa de l’article 434-3 du code pénal dispose : « Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. ». Cette disposition fait ainsi obstacle à la dénonciation de mauvais traitements ou d’agressions sexuelles infligés à un mineur ou à une personne en état de faiblesse, lorsque la personne qui en a connaissance est astreinte au secret. »

Le fait que les professionnels soumis au secret soient exceptés du caractère obligatoire du signalement aux autorités signifie… qu’ils peuvent parfaitement le faire. Si cet acte n’est pas obligé, il est absolument possible. Il n’y a donc aucun obstacle posé par la loi et cette partie du texte cité. C’est d’ailleurs sur la base de cet article que de nombreux professionnels soumis au secret signalent à des autorités judiciaires ou administratives des situations de maltraitance sur les mineurs ou personnes vulnérables. 

Des faits que ces sénateurs pourraient regarder aussi

Vouloir faire une loi ou modifier celle qui est en vigueur nécessite d’en cerner les enjeux et de pouvoir améliorer la situation. Quand le sujet est sensible, et qu’il touche à la protection des personnes en situation de fragilité, on doit s’efforcer de mesurer les effets que la modification va favoriser.

Alors rappelons quelques points importants pour nourrir à notre tour la réflexion initiée par ces sénateurs

Même si ce n’est pas le cas de tous, des personnes vulnérables et des mineurs peuvent énoncer leur volonté et peuvent agir dans le sens de leur protection. Des personnes vulnérables et des mineurs peuvent aussi refuser de manière fondée d’avoir à répondre à une enquête, en craindre les effets et/ou le  résultat… ou l’absence de résultat. 

Nombre de formes de maltraitances ne sont pas accompagnées d’éléments objectifs qui contribuent à les matérialiser.  Dans ce cas, la solidité de la parole de la personne victime peut être essentielle, car elle est parfois le seul élément qui peut permettre de cerner ce qu’elle vit concrètement. Cela nécessite donc parfois du temps pour évaluer et travailler avec la personne, ce que balayerait la proposition de loi des sénateurs.

Dans certaines formes de maltraitance, il existe des moyens d’agir efficacement qui ne relèvent pas de la réponse pénale, voire pour lesquelles la procédure pénale porte potentiellement un risque de ne plus pouvoir travailler avec la personne à des solutions la concernant.

Le fait que la personne puisse se confier sur la maltraitance qu’elle subit est essentiel. La réponse systématisée (signalement) amènerait des personnes à se taire, à masquer certains aspects, à lisser leur situation… Si elle se replie dans le silence, ce qui est souvent le cas, personne ne gagne rien. Dans certains cas, la personne y perd et la société y perd aussi. 

Pour qu’elle puisse se confier, elle a besoin d’être suffisamment en sécurité. Ce qu’elle dit ne doit pas se retourner contre elle. Le professionnel soumis au secret offre cet espace de sécurité pour qu’elle puisse parler.

Le professionnel soumis au secret doit agir au mieux, selon le contexte et la singularité de la situation. Il doit prendre en compte le niveau des maltraitances rapportées, leur impact en fonction de l’âge et de l’état de la personne, des voies possibles pour faire cesser ces maltraitances. Cela suppose qu’il a plusieurs choix possibles. 

Le changement légal voulu par ces sénateurs amènerait aussi des professionnels devant des choix impossibles : d’un côté, certains signalements dont l’effet le plus probable est la mise à mal de la personne victime et, de l’autre, le non-signalement qui se traduirait par de potentielles poursuites contre le professionnel qui a pourtant pris soin de la victime en lui proposant une autre aide plus adaptée et acceptable par elle.

Enfin, pas d’illusion à avoir. Regardons la réalité en face : l’obligation de signalement, qui existe déjà pour les personnes non-soumises au secret, pourtant parfois des professionnels, ne crée pas de signalement systématique alors que le droit l’impose. Par exemple, dans nombre d’associations de soutien aux femmes victimes de violences, on a connaissance de situations d’enfants maltraités ou de femmes victimes de viols conjugaux. Fort heureusement, les professionnels de ces organismes, plutôt que d’appliquer « bêtement » la loi, font au mieux pour faire évoluer la situation et aller vers la sortie de la maltraitance. Que l’on se demande pourquoi ! La raison en est simple : c’est que, comme pour les professionnels soumis au secret, ils cherchent la meilleure solution dans le contexte de la personne adulte ou mineure. La réponse par l’obligation ne les aide pas, eux qui sont déjà obligés, car ils mesurent que parfois elle n’aide pas la personne. Par contre, quand le signalement est un moyen d’aide, ils l’utilisent. C’est cela la bonne utilisation de cet outil parmi d’autres.

Regardons aussi la réalité en face du côté des réponses institutionnelles : qui croit que la réponse pénale ou protectrice aboutit toujours à ce résultat ? Si les effets étaient toujours positifs, si des victimes ne se sentaient jamais mises à mal par certains enquêteurs et actes de procédure, ou fragilisées par la révélation « publique » des faits, ou encore par certaines décision judiciaire, au point d’avoir la conviction qu’elles auraient « dû » se taire, alors cette réponse systématique aurait un sens. En l’état actuel, seule une réponse adaptative aux particularités des situations l’est, quand bien même elle est imparfaite. 

Retenons ces aspects : c’est la marge de manœuvre dont il dispose, évitant les pièges de la réponse systématique, qui permet au professionnel d’être le confident d’une vérité difficile à énoncer pour la victime. Et c’est cette marge de manœuvre qui favorise la définition de la forme d’aide la plus pertinente. Il faut globalement se méfier de toute forme d’obligation d’agir, de tout process professionnel qui automatise les réponses sous peine d’une « afnorisation » du travail social. Pourquoi d’ailleurs ne pas pousser le bouchon plus loin et obliger le parquet ainsi saisi à poursuivre les dites infractions ?  

Ces professionnels ont donc besoin de pouvoir être formés et soutenus dans leurs réflexions devant ces situations complexes, plutôt que d’être placé sous obligation de signalement sous peine de sanction. Cette menace permanente est particulièrement déresponsabilisante et témoigne finalement d’une défiance envers les professionnels. 

L’argumentaire proposé par ce groupe de sénateur souffre de trop de fragilités pour un débat à la mesure des enjeux sur le sujet abordé. La « réponse » qu’ils proposent n’en est une ni pour toutes les victimes, ni pour la société. Ce n’est qu’une illusion de réponse.

Le cadre légal actuel respecte l’ordre public et  favorise une éthique de responsabilité de la part des professionnels, qui ne manquent pour la plupart pas de conviction. Toucher au secret professionnel ne peut se faire qu’après mûre et riche réflexion, et dans le but de créer de réelles améliorations pour les personnes et la société. Nous n’en sommes pas là. 

Laurent Puech

 

N° 453


 

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018


Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 avril 2018

PROPOSITION DE LOI

visant à obliger toute personne ayant connaissance d'un crime ou de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personnevulnérable à en informer les autorités judiciaires ou administratives,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Brigitte LHERBIER, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Patrick CHAIZE, Gilbert BOUCHET, Mme Christine LANFRANCHI DORGAL, MM. René-Paul SAVARY, François BONHOMME, Charles REVET, Michel MAGRAS, Serge BABARY, Mme Pascale GRUNY, M. Marc-Philippe DAUBRESSE, Mme Élisabeth LAMURE, MM. Marc LAMÉNIE, Jean-Jacques PANUNZI, Mmes Viviane MALET, Anne-Marie BERTRAND, M. André REICHARDT, Mme Claudine THOMAS, M. Michel SAVIN, Mmes Corinne IMBERT, Annie DELMONT-KOROPOULIS, Jacky DEROMEDI, M. Bruno GILLES et Mme Frédérique GERBAUD,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 226-14 du code pénal dispose que les règles liées au respect du secret professionnel ne sont pas applicables à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

Les articles 434-1 et 434-3 du code pénal excluent les personnes soumises au secret professionnel de l'obligation d'informer les autorités judiciaires ou administratives lorsqu'elles ont connaissance d'un crime ou de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger.

Ainsi le professionnel soumis au secret qui a connaissance de mauvais traitements infligés à une personne vulnérable ou un mineur est autorisé à en informer les autorités compétentes sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

Cependant, l'ordre public et l'éthique commandent à toute personne qui aurait connaissance d'un crime ou de violences commises sur des personnes vulnérables d'en informer les autorités compétentes afin d'en limiter les effets ou de les faire cesser. Le secret professionnel protégé par l'article 226-13 du code pénal ne saurait s'opposer à ce principe.

Il convient de rappeler qu'en cas de mauvais traitements un médecin ne saurait rester passif sans encourir les peines prévues à l'article 223-6 du code pénal réprimant la non-assistance à personne en danger.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a d'ailleurs rappelé dans un arrêt du 23 octobre 2013 (N° de pourvoi : 12-80793) que le praticien, qui s'abstient volontairement de signaler une maltraitance dont il a connaissance, se rend coupable du délit d'omission d'empêcher une infraction nonobstant le secret professionnel auquel il est astreint.

Dans cette affaire, le médecin condamné en appel avait formé un pourvoi en cassation au motif que l'article 434-3 du code pénal exclut les personnes soumises au secret professionnel de l'obligation d'informer les autorités compétentes des mauvais traitements infligés à une personne vulnérable, dont elles pourraient avoir connaissance.

Par ailleurs, le Conseil national de l'ordre des médecins, en dépit d'une jurisprudence constante condamnant les personnes s'abstenant de signaler une maltraitance indique sur son site que le médecin est autorisé à signaler au procureur de la République (avec l'accord des victimes adultes) des sévices constatés dans son exercice et qui permettent de présumer de violences physiques, sexuelles ou psychiques. 

Afin de lever les doutes sur la conduite à tenir en cas de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personne vulnérable et dans un souci de maintien de l'ordre public, cette proposition de loi vise à obliger toute personne qui a connaissance d'un crime ou de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personne vulnérable d'en informer les autorités judiciaires ou administratives.

L'article premier de cette présente proposition de loi oblige toute personne qui a connaissance d'un crime commis sur un mineur d'en informer les autorités judiciaires ou administratives et vient ainsi modifier l'article 434-1 du code pénal.

L'alinéa 1 de l'article 434-1 du code pénal oblige toute personne qui a connaissance d'un crime d'en informer les autorités judiciaires ou administratives. Les alinéas 2 à 4 dispensent le conjoint, les parents en ligne directe, les frères et soeurs et leurs conjoints, de l'auteur ou du complice du crime, sauf pour les crimes commis sur les mineurs.

Cependant, le dernier alinéa de l'article 434-1 du code pénal protège les personnes soumises au secret professionnel sans préciser, contrairement à l'alinéa précédent, si un crime commis sur mineur fait obstacle à l'application de la disposition. Il est par conséquent proposé de préciser, comme au deuxième alinéa, que les crimes commis sur les mineurs ne soient pas concernés par cette disposition.

Par ailleurs, l'article 434-3 du code pénal oblige toute personne qui a connaissance « de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse » à en informer les autorités judiciaires ou administratives.

Le dernier alinéa de l'article 434-3 du code pénal dispose : « Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13. ». Cette disposition fait ainsi obstacle à la dénonciation de mauvais traitements ou d'agressions sexuelles infligés à un mineur ou à une personne en état de faiblesse, lorsque la personne qui en a connaissance est astreinte au secret.

Comme nous l'avons mentionné dans cet exposé des motifs, cette disposition vient contredire l'article 223-6 du code pénal réprimant la « non-assistance à personne en danger », qui punit toute personne qui s'abstient d'agir, alors qu'elle peut empêcher par son action immédiate, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle.

Ainsi l'article 2 supprime le dernier alinéa de l'article 434-3 du code pénal.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le dernier alinéa de l'article 434-1 du code pénal est complété par les mots : « sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs ».

Article 2

Le second alinéa de l'article 434-3 du code pénal est supprimé.

 

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