Secret professionnel et protection de l'enfance : la méconnaissance d'un député ?

Guy Delcourt, député du Nord, donnait il y a quelques jours sa traditionnelle conférence de presse de rentrée. Le quotidien La Voix du Nord en publiait le 11 septembre 2015 quelques extraits. Jusque-là, peu de raison pour moi de m'intéresser aux propos de ce député que je ne connais pas car j'habite fort loin de son fief. Mais quand un député, donc un homme qui propose, discute et vote les lois, se met à parler du secret professionnel, j'examine avec attention ses propos.

Horreur : Le secret professionnel empêcherait l'ASE d'agir !

Après avoir annoncé son retrait à l'horizon 2017 de la vie politique, puisqu'il aura alors 70 ans, Guy Delcourt sait déjà ce qu'il compte faire ensuite : "Le député a exprimé son souhait, dès lors, de se consacrer pleinement à la cause des enfants maltraités via l’associatif. « Il y a encore beaucoup à faire. Il faut réformer l’aide sociale à l’enfance, car il y a trop de cas pour lesquels les services sociaux sont alertés et pour qui il ne se passe rien derrière, au nom du secret professionnel » tempête t-il, ajoutant qu’« il faut une conjugaison des rapports entre les services sociaux, l’éducation et le médecin de famille, ce dernier devant avoir le droit d’exiger que l’enfant se déshabille pour vérifier qu’il n’est pas victime de sévices »."

Le propos est placé entre guillemets par la journaliste. Gardons cependant un peu de distance par rapport à cet extrait. Les journalistes sont parfois inexacts dans leurs retranscriptions. Mais partons d'un présupposé de confiance envers la qualité du travail journalistique et examinons la déclaration tempétueuse du député. Quelle ineptie est ici proférée... Au nom du secret professionnel, les services de l'aide sociale à l'enfance... ne feraient rien quand ils sont alertés sur des situations d'enfant en danger ? Monsieur Delcourt, député qui a été élu en juin 2007, n'a pas examiné ni voté la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et portant création des articles L226-2-1 et L226-2-2. Il a donc une excuse à ne pas connaître apparemment le fait que le partage d'information entre professionnels ou le fait d'adresser une information préoccupante à la Cellule de Recueil départementale est parfaitement autorisé par la loi, même pour les professionnels soumis au secret. Dans la mesure où, en tant que député, il est président du groupe d'études Droits de l'enfant et de l'adolescent et protection de la jeunesse, on pourrait espérer qu'il connaisse cependant cette loi du 5 mars 2007 et aussi le fonctionnement réel des services de l'aide sociale à l'enfance. Pas seulement les regards de quelques acteurs. 

Le partage d'informations non-pertinentes : voilà une vraie question

Alors, expliquons à Monsieur Delcourt, député qui s'intéresse à la question de la protection de l'enfance : un service ASE n'est jamais bloqué dans une action de protection par la législation sur le secret professionnel. La loi permet lorsque cela est nécessaire que le service de l'ASE recueille les informations du service social, de l'éducation nationale ou du médecin. Des milliers de réunions de concertation ou synthèse, regroupant différents professionnels intervenant dans une situation, sont organisées chaque semaine. La loi n'est en rien un problème pour partager une information en protection de l'enfance aujourd'hui. Précisons aussi que l'action ne passe pas non plus forcément par le grand partage d'informations que souhaite apparemment instaurer systématiquement le député. Dans nombre de situations, les professionnels peuvent agir tout à fait efficacement sans pour autant mobiliser tous les acteurs. Cela permet tellement de réussites silencieuses qu'un député peut mesurer s'il prend connaissance au plus près du travail effectué par les professionnels de l'enfance.

Ajoutons enfin un élément que ne veulent pas voir nombre de personnes pourtant sincèrement engagée dans le combat pour la protection de l'enfance : vouloir que tout se dise systématiquement, entre tous les acteurs, crée un phénomène de repli pour une part du public, et amène à rendre de moins en moins visible la situation réelle dans laquelle vivent les enfants. Un juste et efficace système de protection est un système qui ne propose pas que le contrôle et le partage systématique de la moindre information. 

Ce qui peut figer une action, c'est parfois... le partage d'informations. Ce partage est de façon dogmatique associé à l'efficacité aujourd'hui : le partage est la "bonne pratique", nous "pensons mieux à plusieurs que seul", "il faut partager pour que nous ayons tous les éléments et agissions au mieux"... C'est souvent vrai. Comme est vraie aussi la nécessité de mesurer le bien-fondé de ce qui est partagé, l'opportunité du moment où le partage est fait et la pertinence de l'interlocuteur à qui l'information est adressée. Sans oublier le contexte de travail dans lequel les professionnels opèrent. Hiérarchiser des informations, mesurer la valeur de chacune, privilégier la qualité de l'analyse qui en découle, voilà des axes d'améliorations possibles qui passent par une réflexion et formation permanente. Des groupes de professionnels qui se trompent après avoir analysé en groupe, cela arrive et il est parfois plus difficile de revenir sur une erreur collective... Si tous les services ASE pratiquent largement le partage d'informations, combien mettent au travail de façon permanente une réflexion sur la circulation des informations au sein du service ? Fort peu en réalité : cette question est tellement évidente qu'elle n'est que peu, voire pas du tout pensée. Dans un système-partageur, la transmission d'information non-pertinente, doit être pensée comme une vraie question. Est-ce une question politiquement incorrecte dans la mesure où elle signifie que la partage tous azimut n'est pas la solution ? Elle va en tout cas contre une forme de pensée dominante actuellement.

Continuer à répandre l'idée que l'on ne partage pas assez d'informations en protection de l'enfance, c'est se tromper et tromper l'opinion publique. On partage en réalité bien souvent beaucoup d'informations, voire trop. 

Accuser le secret professionnel est la grande idée de ceux qui n'en ont pas.

Accuser le secret professionnel est un lieu commun qui ne s'embarrasse jamais de la moindre démonstration. C'est aussi un lieu commun toujours gagnant. Le public pense l'affirmation comme une évidence et suivra doublement celui qui la lance : vous êtes un noble défenseur des enfants et vous semblez dire que vous souhaitez faire cesser les pratiques inhumaines de professionnels et services qui ne diraient et feraient rien alors qu'ils connaissent des enfants maltraités.  L'émotion et la défiance vis-à-vis des institutions, deux éléments d'une forme de démagogie facile et trop fréquemment utilisée dans les débats autour du secret professionnel et de la protection de l'enfance

D'ici deux ans, Guy Delcourt ne votera plus les lois. Avec ce type de propos, nul doute que Monsieur le Député sera le bienvenu dans certaines associations qui, fort légitimement, tentent d'influer sur l'évolution de la législation. Certaines tiennent des propos convergents aux siens, comme Enfance et Partage, propos décryptés et dénoncés sur ce blog dans le billet Le secret professionnel est-il une "chape de plomb" qui pèse sur les professionnels ? L'affirmation déconnectée de la présidente d'Enfance et Partage. D'autres ne tardent jamais à accuser les professionnels et institutions dès qu'un drame se produit, parfois avant même de savoir le fond de l'affaire. Il a donc l'embarras du choix. Mais puisqu'il lui reste deux ans avant de pouvoir se consacrer pleinement à cette nouvelle forme d'engagement, peut-être que Guy Delcourt osera douter de ce qui lui semble aujourd'hui évident ? Et, pourquoi pas, aller vers une analyse différente de ce dossier...