Crash de l'A320, protection de l'enfance : Haro sur le secret médical, réflexe simpliste

Après le drame de l'A320, et dans le champ de la protection de l'enfance, le secret professionnel des médecins, souvent nommé secret médical, se trouve aujourd'hui mis en cause. Une fois de plus, La pseudo-évidence des solutions proposée s'impose : il suffirait de lever le secret médical pour qu'enfants et passagers de l'aviation civile soient protégés de dangers tels que parent maltraitant ou pilote suicidaire. Quelques commentaires sur ces deux affaires, apparemment éloignées et pourtant en lien avec le travail social : le secret professionnel des médecins a préexisté au secret professionnel en travail social, la qualité du cadre législatif concernant le premier a des conséquences, tôt ou tard, sur le second. Et il se trouve que dans la modification de loi souhaitée par les sénateurs, la responsabilité de tous les professionnels soumis au secret est interrogée.

Affaiblir le secret professionnel en protection de l'enfance ? Danger pour les enfants !

Antoine Guillet présente et analyse la proposition de loi votée en première lecture par le Sénat. Il en montre les risques et illusions. Deux points me paraissent essentiels, car ils changeraient la nature du rapport professionnel/public. Le premier consiste dans la création d'une déresponsabilisation professionnelle qui touche tous les professionnels soumis au secret. Le professionnel ne risquerait plus rien à dire n'importe quoi... puisque sa responsabilité civile ou pénale ne serait pas engagée. Actuellement, le 226-14 du code pénal édicte que le professionnel ne risque rien au plan disciplinaire, donc en interne de sa structure. Cela permet de transmettre une information vers une autorité, quand bien même elle déplait à son institution. Cette dimension est nécessaire pour, par exemple, faciliter la révélation de maltraitances institutionnelles.

Créer une "exonération de responsabilité" civile et pénale, c'est produire un professionnel en partie lobotomisé. C'est bien parce qu'une information concernant une situation de risque ou de danger porte en elle des conséquences qui peuvent s'avérer graves que le professionnel doit agir en conscience, compétence et... responsabilité. Créer une possibilité sans risque aucun de signalement, c'est aller vers un professionnel qui ne mesure plus la portée destructrice possible contenue dans son acte, acte dont il est protégé des effets. Certes, il sera objecté que la possibilité de signaler sans risque a une limite : "ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi. " dit le texte voté... Question pratique : dans quel cas (au singulier) pourra t-il être établi que le signalant n'a pas agi de bonne foi ? Disons-le tout net : dans le seul cas où le signalant conviendra qu'il a voulu agir dans une volonté de nuire. Encore aura t-il fallu que le ou les parents déposent plainte et qu'une enquête soit menée...

Avec autant de conditions, c'est l'immunité que l'on "offre" aux professionnels. Un cadeau empoisonné tant pour eux (moins on est considéré comme responsable, moins on est considéré et reconnu) que pour la relation avec le public (tout parent est en "danger" face à un médecin ou travailleur social qui peut vous signaler sans risque au moindre bobo de son enfant : combien s'abstiendront d'aller vers les services sociaux ou de soins ?), et donc les enfants eux-mêmes... que le législateur souhaite pourtant protéger. 

Cette nouvelle modification législative traduit une orientation inquiétante du législateur. Après l'arrivée du secret professionnel dans les CHRS... pour protéger de poursuite les professionnels, c'est une nouvelle fois cette logique de protection du professionnel qui prime. Une pente dangereuse sur laquelle le législateur glisse un peu trop actuellement. 

Les médecins ne signalent pas assez, c'est le postulat de cette proposition de loi. Or, le cadre légal offre différentes possibilités de signalement vers une autorité judiciaire ou administrative. La vraie difficulté apparaît dans la solitude de l'exercice professionnel, face à une situation qui pose question. C'est en terme de ressources et possibilités de soutenir leurs réflexions que l'on pourrait utilement discuter pour améliorer les pratiques de ces professionnels essentiels de la prévention et de la protection de l'enfance. Las, le législateur pense simple, comme d'autres pensent simple. 

Penser simple est une voie séduisante et immédiatement disponible lorsque l'on cherche une solution à une situation pourtant complexe. Ceci est vrai en protection de l'enfance comme après le crash apparemment volontaire (enquête non-terminée à l'heure où j'écris) d'un A320 par un co-pilote suicidaire...

Affaiblir le secret médical concernant les métiers à risque, c'est limiter certains facteurs de danger et en augmenter d'autres !

Avec l'affaire de l'A320, terrible notamment pour les familles des 150 personnes qui sont mortes dans les conditions que nous savons, nous avons tous été impactés. La somme de détails que nous avons appris via les médias dans un temps extrêmement court a condensé dans une même séquence l'émotion de la nouvelle, la compréhension des conditions dans lesquelles elle est survenue, la recherche de responsables, fautifs voire coupables désignés par tel ou tel vrai ou faux spécialiste et la recherche de solutions pour empêcher que cela se reproduise... En quelques jours seulement. Même s'il est moins dense, nous connaissons cet enchainement dans les affaires de drame où des enfants sont victimes de maltraitances graves, voire létales.

Se pose alors l'hypothèse invérifiable, donc a-scientifique, mais apparemment imparable : si le médecin avait dit que ce copilote était suicidaire à une autorité (sous-entendu : s'il n'en avait pas été empêché par son secret professionnel), le pilote n'aurait pas pu voler et les passagers auraient été encore vivants aujourd'hui. On pourrait d'ailleurs élargir cette question du secret médical à tous les "métiers à risque pour autrui", ceux dont un acteur suicidaire pourrait potentiellement mettre en danger un grand nombre de personnes : conducteurs de bus (scolaires notamment), conducteurs de train (un TGV contient plus de passagers qu'un A320...) ou de tramway (qui peut aussi contenir plus de passagers qu'un A320), de camions contenant des produits inflammables ou chimiques, certains techniciens dans une centrale nucléaire, tous les professionnels détenant une arme de service... La liste est longue.

Imaginons que ces professionnels ne puissent plus dire un sentiment de malaise, une déprime qui s'installe, une anxiété qui s'impose sans que cette info sorte du cabinet médical et ait pour conséquence de perdre la possibilité d'exercer son emploi... La question devient double. La première est "combien de drames seraient évités par un tel dispositif ?". La seconde est "combien de drames seraient provoqués en raison de ce dispositif et de ce qu'il induit : l'impossibilité pour des personnes en difficulté de santé de les dire sans risque à leur médecin ?". C'est bien dans cette tension que doivent se poser les questions pour éviter les pièges de la pensée simple.

Je ne peux que rejoindre la position exprimée par Dominique Huez, médecin du travail, sur le site de Santé et Travail, lorsqu'il dit : "En conséquence, il est illusoire de penser que l’élaboration de la sécurité dans les transports (...) ou dans les centrales nucléaires peut reposer sur la seule sélection de candidats indemnes de pathologies psychiques et sur la détection de sujets présentant des risques de décompensation. Penser que c’est en levant le secret médical que l’on y parviendra risque au contraire d’augmenter la dissimulation par les salariés de leurs difficultés psychiques. C’est au contraire en misant sur la confiance envers le médecin du travail et sur la coopération dans les équipes que la sécurité progressera. " 

En protection de l'enfance comme en sécurité des transports, nous avons besoin de décisionnaires qui résistent à la tentation des lois émotionnelles et démagogiques. Le secret médical, parce qu'il ouvre la possibilité de mieux protéger en permettant la parole vraie, doit être soutenu par les travailleurs sociaux. Le fondement du secret pour ces deux types de professionnels est en effet le même. 

Laurent Puech