Interdiction des corrections physiques et travail social : augmentation des IP ou occasion de mieux soutenir les parents ?

[ATTENTION : Depuis la publication de cet article, la proposition de loi a été censurée sur la forme (et non sur le fond) par le Conseil Constitutionnel du fait de sa saisine par des parlementaires "Les Républicains". Le texte qui a été mis en ligne le 6 janvier 2017 est donc caduque dans ses références au 371-1 du code civil tel que le législateur avait prévu de le modifier. Néanmoins, il contient des réflexions et propositions que nous laissons en ligne. Prudence donc dans la lecture : le 371-1 n'est pas modifié.  Laurent PUECH, 27 janvier 2017.]

La Loi Egalité et Citoyenneté a été adoptée définitivement le 22 décembre 2016. Elle a modifié l’article 371-1 du code civil en introduisant pour les détenteurs de  l’autorité parentale « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles » envers l’enfant. 

Le législateur a ainsi voulu donner un signe fort, une norme dorénavant inscrite dans la loi pour accentuer sa portée pédagogique : celle de l’interdiction de la violence envers les enfants, notamment corporelle. Il s’agit par la même de répondre à une décision du Conseil de l’Europe qui considérait en 2015 que la France était en infraction à la Charte européenne des droits sociaux (art 17), en ne prévoyant pas « d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels».

On pourrait discuter de l’opportunité de modifier une seule disposition relative à l’autorité parentale après avoir enterré en 2014 une réforme large de l’autorité parentale aux enjeux au moins aussi importants (statut des beaux parents, etc…).

Mais là n’est pas l’objet de notre propos. Il s’agit modestement de mesurer quelques conséquences éventuelles d’une telle modification pour les professionnels. Nous en analysons certains ci-après, qu’il faut clarifier afin de ne pas nous perdre et de permettre un meilleur soutien des parents.

La loi a en effet pour conséquence recherchée de « désarmer » des parents en grand nombre.  L’utilisation de la fessée ou de la gifle n’est pas chose rare dans les familles. C’est une pratique installée voire revendiquée comme mode éducatif. Un sondage de 2009 donnait comme résultat que « 67% des parents disent donner ou avoir déjà donné la fessée à leurs enfants : 2% souvent, 19% de temps en temps et 46% exceptionnellement. » Elle est un des moyens qu’utilisent nombre de parents soient en réponse à une situation qui les dépassent, soit comme un « outil éducatif » lorsqu’un niveau d’interdit est selon eux transgressé. Néanmoins, une majorité des parents (52%), donc une part aussi de ceux qui utilisent la fessée, disaient qu’il s’agit là d’un geste à éviter et qui banalise la violence.

Cette représentation montre la tension entre une majorité de parents qui utilisent la fessée et une autre majorité qui pensent cet acte comme devant être évité, certains parents se situant dans les deux catégories.

Comment agir alors ? Comment travailler dans cette transition entre une société qui acceptait le recours à cet « outil éducatif » et celle qui refuse l’utilisation de ce qui est considéré maintenant comme une « violence éducative » ? Cette nouveauté législative modifie-t-elle quelque chose en termes de signalement ou information préoccupante et partage d’informations ? Où se situe le risque majeur dans cette évolution ? Et comment soutenir ces parents non-maltraitants qui peuvent se sentir « désarmés » et souhaitent acquérir des outils alternatifs leur permettant de faire autorité auprès de leurs enfants ?

Un article non-punitif

Il convient de noter un point majeur de la volonté du législateur : la modification législative ne prévoit aucune sanction. Ce n’est pas la première fois que des lois récentes ont pour seul objectif que de nommer les choses. En considérant que cet énoncé sera en soi performatif et modifiera la pratique sociale ou éducative. Relisons ainsi la loi du 14 mars 2016 qui fait entrer l’inceste dans le code pénal sans que cet ajout ne modifie en rien les réponses juridiques.

Cet article ne créé aucune une nouvelle infraction pénale, mais simplement un mode de bonne pratique parentale encadrant l’exercice de l’autorité parentale, inscrit dans le code civil.

Les atteintes physiques sur enfant sur enfant continuent à être passibles des peines prévues aux articles 222-7 et suivant du code pénal. Rappelons pour résumer la jurisprudence en la matière que les violences sur enfant par titulaire de l’autorité parentale sont sanctionnées si elles sont cumulativement : 

- lourdes ou humiliantes. Il n’aura échappé à personne que le niveau de tolérance a considérablement évolué en trente ans dans ce pays. Et tout cela sans que la loi n’ait été modifiée. Des objets que l’on trouvait dans les familles (martinet) ne se vendent plus désormais que dans les sex-shops ou les animaleries (au choix de nos lecteurs). 

- répétées. La multiplication de violences légères étant déjà considérée comme de la maltraitance.

- qu’elles ne sont pas une réponse immédiate et proportionnée à une bêtise commise par l’enfant.

La modification de l’article 371-1 du code civil ne fait donc pas entrer dans le champ pénal la fessée ou la gifle donnée par un parent.  

Pour le travail social, aucun changement concernant la levée du secret professionnel

Si l’article 371-1 du code civil crée une nouvelle norme de comportements parentaux interdits, il ne modifie en rien ce qui fait qu’une information préoccupante peut être adressée au Président du Conseil Départemental (via la CRIP) ou un signalement à l’autorité judiciaire.

Les repères ouvrant la possibilité de rédiger une information préoccupante restent les mêmes qu’avant la modification du 371-1 du code civil. Ils sont prévus à l’article L226-2-1 du code de l’action sociale et des familles.

Les faits autorisant la saisine de l’autorité judiciaire, prévus à l’article 226-14 du code pénal, restent aussi inchangés.

L'acte proscrit par la loi ne suffit pas à déterminer qu’il y a mise en danger d’un enfant. Une évaluation professionnelle se construit sur la prise en compte de la globalité des éléments de la situation, ceux portant un préjudice à l'enfant et ceux qui sont des facteurs de sa protection.

Mais si elle ne change rien dans la faculté ou pas de signaler, la nouvelle donne législative pourrait impacter le regard des professionnels.

Un risque de changement du regard sur les parents

Cette inscription bienveillante de la non-violence corporelle sur les enfants dans la loi pourrait provoquer des réactions bienveillantes, comme toujours, mais préjudiciables, comme parfois. Cette nouveauté intervient dans un contexte où la logique de détection de l'incapacité occupe une bonne partie des services sociaux. Les organisations elles-mêmes sont centrées sur le repérage du risque, sa qualification par sa catégorisation et son inscription dans le dispositif de protection de l'enfance, le traçage des interventions dont le système a besoin... pour se rassurer souvent et se couvrir aussi trop souvent.

Alors, comment un parent qui donne une fessée sera t-il regardé après l'adoption de cette loi ? Le sera t-il plutôt de façon compréhensive, non-jugeante, comme le disent les principes éthique du travail social ? Ou plutôt comme un parent défaillant, ne parvenant pas à se maîtriser alors que la loi lui interdisait d'utiliser cette satanée fessée ? Le professionnel résistera t-il mieux ou plus difficilement à l'appel de l'IP quand il aura face à lui ce parent ? Contiendra t-il mieux ou pas la part de morale qui transparaît dans le jugement du parent qui, malgré les incantations du professionnel, travaillent le professionnel qu'il est ?

L'un des enjeux pour les professionnels est de savoir se servir de la loi comme point de discussion et d'échange avec les parents, pas comme réprimande et sanction. De fait, ce n'est pas parce que le législateur ne veut pas punir les parents que les travailleurs sociaux n'en ont pas la possibilité via une IP ou un signalement...

La question qui découle de ce constat devient : où un parent souhaitant parler de son recours à la punition corporelle afin de trouver d'autres alternatives pourra t-il aborder cette question en sécurité ? Où va t-il trouver une réponse bienveillante et préventive ? Les réponses ne sont pas si évidentes... C'est un débat qui doit avoir lieu dans les services sociaux.

L’occasion de créer un service de soutien sécurisé pour les parents

Le besoin des parents qui, au regard de la nouvelle loi, pourraient vouloir chercher à changer leurs outils éducatifs doit nous amener à nous demander si un service social est une bonne adresse pour eux. Force est de constater que c'est de plus en plus difficile de trouver auprès de ces services un cadre réellement confidentiel, où le secret est véritablement gardé lorsque l'on évoque une situation de risque pour les enfants, quand bien même il s'agit d'un risque faible. Ce sont aujourd'hui ces services où les professionnels sont soumis au secret qui, de fait, ont des pratiques de partage et de signalement parmi les plus importantes.

Nous sommes de moins en moins étonnés d'entendre des bénévoles ou salariés associatifs, non soumis au secret professionnel, témoigner des confidences reçues de la part de parents. Nous sommes de moins en moins choqués de voir les situations que portent ces structures où l'anonymat permet de parler des vrais problèmes que rencontrent les personnes, loin des services sociaux. Cela ne peut pas laisser indifférent le monde professionnel : c'est une vraie interrogation qui lui est adressée par ces situations pourtant le plus souvent invisibles des institutions de protection de l'enfance. Ne pas les voir est une chose, ne pas vouloir les voir est inacceptable.  

Le bien-être des enfants gagnerait aujourd'hui à ce que leurs parents soient mieux soutenus. Qu'ils puissent s'adresser aux services sociaux, éducatifs, de PMI s'ils le souhaitent. Et qu'ils puissent avoir auprès de ces professionnels qualifiés la possibilité d'entre en contact de manière protégée de ce qui est un danger réel aujourd'hui : se retrouver dans les radars de la protection de l'enfance, ce qui est inquiétant même pour un parent suffisamment bon pour son enfant...

Il existe un moyen de parvenir à un tel résultat : créer dans chaque département un service anonyme et gratuit de soutien parental. Disposer d'un professionnel-ressource pour tout parent en questionnement ou difficulté est une base minimale que l'on devrait trouver auprès de n'importe quel service social d'un conseil départemental par exemple. Or, difficile de s'y présenter de façon anonyme... Et une fois identifié, impossible d'avoir la garantie que devait offrir au départ le secret professionnel : celle du secret, justement. Donc, pour ceux qui craignent ce risque et sont sans interlocuteur face à leurs questions ou difficultés concernant l'éducation de leurs enfants, il faut créer une réponse adaptée à leurs besoins spécifiques.

C'est cette logique qui a permis dans le domaine de la santé de développer avec succès des logiques de dépistage de pathologie, faisant ainsi réduire les risques de façon probante. Nous avons aujourd'hui besoin de cette même approche en complément de celles déjà à l'oeuvre dans les départements. Si la modification bienveillante de l'article 371-1 du code civil pouvait entraîner un tel enrichissement des réponses institutionnelles, les enfants y auraient doublement gagné. Cet argument suffit-il pour qu'un conseil départemental ose prendre le risque de penser un peu à côté des logiques de détection et traçabilité ?

Laurent PUECH

Christophe DAADOUCH