PJJ et secret professionnel : certitudes et incertitudes

Par un décret en date du 30 octobre 2013 relatif aux établissements et services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont été assujettis au secret professionnel.

Pourtant près de 2 ans après ce texte suscite toujours de nombreuses discussions au sein des équipes et alimente de longs débats d’interprétation.

Profitons de cet espace pour apporter notre contribution à ce débat, tenter d’établir les zones de certitude juridique et dégager les points qui restent en discussion.

Le texte instaurant le secret professionnel en PJJ

L’article 5 du décret précité modifie un décret de 2007 sur le statut des professionnels de la pjj et précise : « Art. 3-1. - Les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ayant, pour l'exercice de leur mission, à connaître d'informations relatives à la situation des mineurs pris en charge et de leur famille dans les établissements et services, sont soumis au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. »

Une avancée salutaire

Ce décret entendait clarifier un cadre d’intervention et de partages d’informations nominatives depuis des années en discussion. C’était d’ailleurs un chantier lancé deux ans auparavant par l’administration centrale de la PJJ ( http://www.ateliers-solidarite.com/2011/res/A22-Andrault.pdf) visant à « clarifier l’état du droit, encadrer les pratiques professionnelles, sécuriser les agents et atteindre un équilibre satisfaisant entre le secret et les droits et devoirs de révéler ».

Un avant projet de circulaire fut même élaboré et soumis à la réflexion dans l’attente d’une modification réglementaire à venir.

Il faut dire que la pjj fut, comme d’autres équipes éducatives, traversée par la loi relative à la prévention de la délinquance du 5 mars 2007 et son volet partage d’informations avec les maires. Elle était et est de plus en plus partie prenante, dans une logique de partenariats multiples, d’instances diverses de partages d’informations. Binôme éducateurs surveillants pénitentiaires en milieu carcéral (1) . Trinôme judiciaire (pjj-juge des enfants- parquet) en œuvre dans une circulaire du 22 juillet 2010. Participations aux instances de synthèse de l’aide sociale à l’enfance, aux instances pluridisciplinaires du programme de réussite éducative, aux cellules de veille, conseils locaux de sécurité et prévention de la délinquance, instances Santé etc…

La longue circulaire du 2 septembre 2010 sur l’inscription de la pjj dans les politiques publiques détaille l’ensemble des instances que les services concernés peuvent ou doivent investir dans une logique de partenariat rendue nécessaire par la continuité de l’accompagnement des jeunes sous main de justice (2). Reste qu’en 35 pages les questions de secret ou de confidentialité n’y sont jamais évoquées alors qu’elles traversent pourtant le quotidien des équipes de plus en plus tiraillées entre continuité du suivi et respect de la vie privée.

On pouvait dès lors espérer qu’à défaut de dispositions légales la recommandation de l’ANESM relative au «partage d’informations à caractère secret en protection de l’enfance » (2010), élaborée par de nombreux cadres de la PJJ et magistrats clarifie les spécificités du secret lorsqu’il s’agit de la PJJ. Or cette publication pose d’emblée sa limite : personne n’est capable de dire si la PJJ est assujettie au secret. Et c’est peut-être cela…le secret.

Car finalement deux lectures sont possibles de l’article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires stipulant que les fonctionnaires « sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal ». Comme le précise l’anesm « pour certains auteurs, elle oblige tous les fonctionnaires au secret professionnel ; pour d’autres, seuls les fonctionnaires spécialement visés par un texte les soumettant au secret professionnel sont astreints à l’article 226-13 du code Pénal ». Et de conclure, « en tout état de cause » qu’ils relèvent de la discrétion professionnelle disciplinairement sanctionnable.

Dans un contexte de fortes pressions de partage d’informations et d’incertitudes juridiques, une clarification était donc nécessaire. A la fois pour faciliter le partage d’informations avec les partenaires mais aussi entre collègues. Car entre ceux qui sont à coup sûr soumis au secret (assistante sociale, médecin, infirmier), ceux qui ne le sont pas (éducateurs, professeurs, agents administratifs) et ceux qui parfois pensent l’être (psychologues), la dynamique d’équipe n’a pas toujours été simple.

Clarification nécessaire surtout dans l’intérêt des jeunes ayant eu à connaître la justice pénale afin de faciliter le respect de la vie privée et leur capacité de réinsertion. Faut-il rappeler que ce sont les mêmes objectifs qui sous-tendent dans l’ordonnance du 2 février 1945 le principe du huis clos ou l’interdiction de publier dans la presse les noms des mineurs mis en cause.

Ce que le texte de 2013 entend clarifier sur le secret professionnel en PJJ

A la lecture de ce texte sont donc désormais tenus à une telle obligation tous les professionnels « ayant, pour l'exercice de leur mission, à connaître d'informations relatives à la situation des mineurs pris en charge et de leur famille dans les établissements et services ». Ce qui n’englobe pas tous les professionnels de la PJJ mais exclusivement ceux amenés à intervenir dans le cadre de suivi individuel. Des agents administratifs de directions territoriales n’ayant pas à connaitre de situations de jeunes ne sont eux par exemple tenus qu’à la discrétion.

En ce sens la rédaction de cette disposition est beaucoup moins englobante, totalisante, que celles assujettissant par exemple l’aide sociale à l’enfance ou la PMI au secret professionnel. L’article L221-6 du Code de l’action sociale et des familles précise par exemple « toute personne participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance est tenue au secret professionnel » et pas simplement celles intervenant sur des suivis individuels.

De nouvelles incertitudes…

Malgré un effort louable de clarification le décret en question introduit deux nouveaux questionnements. Un sur sa forme et un sur le fond.

Sur la forme peut-on assujettir au secret professionnel, ou plus généralement à une obligation pénale, par un simple décret ? Peut-on négliger le principe constitutionnel de légalité des peines et l'article 34 de la Constitution selon lequel la loi fixe les règles concernant « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ?

Comme le précise la doctrine il est demandé « au législateur de fixer, lui-même, le champ d'application de la loi pénale, de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, et de fixer dans les mêmes conditions le champ d'application des immunités qu'il instaure ». Le Conseil constitutionnel impose « à la loi de déterminer, elle-même, les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale des intéressés » (3) .

Sur le fond ce texte réforme un décret relatif aux établissements et services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse. Qu’en est-il alors du secteur associatif habilité qui par définition ne relève pas de cette disposition ? peut-on imaginer que les garanties légales offertes à un jeune dépendent du fait qu’il soit pris en charge par le secteur public ou privé mettant en œuvre la même ordonnance de 1945 ?

Situation d’autant plus paradoxale que ce secteur associatif lorsqu’il est doublement habilité (ASE-PJJ) relève du secret professionnel quand il intervient dans le cadre civil de la protection de l’enfance (article L221.6 précité).

Que n’a-t-on donc pas profité d’une des nombreuses réformes de l’ordonnance de 1945 pour rédiger par voie légale une disposition posant par exemple : « toute personne participant aux missions relatives à l’ordonnance du 2 février 1945 est soumise au secret professionnel en application des articles 226.13 et 226.14 du Code pénal» ? Qu’a-t-on à craindre d’une telle disposition ? Elle ne dérogerait pas aux obligations faites aux mêmes professionnels de rendre des comptes aux magistrats mandants mais offrirait à coup sûr un cadre d’intervention plus sécure juridiquement.

Cet incertain décret a donc été publié depuis 2 ans, n’a été porté par aucune circulaire d’application qui en dégagerait les effets pratiques (4) et les interrogations qui devaient être levées subsistent. Elles sont ponctuellement réactivées à chaque demande de remontées précipitées d’informations nominatives : hier les auteurs d’infractions sexuelles aujourd’hui les djihadistes. Ne misons donc pas sur la jurisprudence et donc d’éventuelles condamnations de professionnels pour clarifier ce qui doit l’être par voie légale et concluons avec le grand Portalis qu’en matière criminelle « il faut des lois précises et point de jurisprudence » (5) .

Christophe DAADOUCH

Contact : christophe.daadouch (at) free.fr

 

(1) Le binôme éducateur-surveillant en EPM : un compromis à risques pour l'action éducative, Francis Bailleau, Nathalie Gourmelon, Les Cahiers de la justice, 2012, pp.141-152.

(2) http://www.justice.gouv.fr/art_pix/c020910polpub.pdf

(3) Bertrand De Lamy, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 26, Août 2009, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ».

(4) L’avant projet de circulaire précité élaboré en vue du décret à paraître n’a curieusement jamais été finalisé une fois le décret publié.

 (5) Discours préliminaire sur le projet de Code civil, an IX.