L’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale

 

L’article 40 alinea 2 du code de procédure pénale

«Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1.

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. » (Article 40 du code de procédure pénale)

Ce qu’il faut retenir du 40 alinéa 2 du code de procédure pénale

- L’article 40 alinéa 2 du CPP est un texte qui trouble en permanence les professionnels et dont l’interprétation fait régulièrement l’objet de débats juridiques.

Qui est concerné ?

- Cet article concerne exclusivement les « fonctionnaires ». En droit pénal, la jurisprudence montre que ce terme recouvre tous les agents publics. Ainsi, les contractuels ou vacataires, même s’ils ne sont pas fonctionnaires au sens strict, sont concernés par cet article.

- Il ne concerne donc aucunement les professionnels qui exercent en tant que salariés de droit privé (employés par des associations, des entreprises).

- On peut évidemment comprendre que les fonctionnaires de police, par exemple, aient l'obligation d'informer le Procureur lorsqu'ils ont connaissance d'un délit ou crime. Mais la question se pose au regard des fonctions spécifiques qu'exercent des médecins ou travailleurs sociaux par exemple. Ainsi, qui peut penser que l'application de cet article est compatible avec l'existence d'unités hospitalières (composées de médecins, assistants sociaux, etc.) dédiées au traitement des toxico-dépendances, et dont le public est pour la plupart dans la consommation de produits stupéfiant illicites ?

- Pris à la lettre, cet article créerait une inégalité en droit pour des professionnels soumis au secret par profession afin que l'on puisse leur faire confiance a priori : on pourrait parler à une assistante sociale employée par une association (droit privé) d'un délit sans risque qu'il en résulte une information au Procureur de la République, mais on ne pourrait le faire auprès d'une assistante sociale de secteur d'un conseil général ou CCAS sans que cette information soit signalée au Procureur... On pourrait confier sans risque à un addictologue exerçant en clinique privée le fait que l'on consomme du cannabis alors que la même révélation à un addictologue de l'hôpital public s'avérerait dangereuse...

- Une lecture radicale de cet article constituerait une atteinte à un des fondements du secret professionnel : la crédibilité d'une fonction.

- Il convient donc de faire une distinction à l'intérieur même de la catégorie des « fonctionnaires ».

Quelles conséquences en cas de non-respect ?

- Le droit pénal est d’interprétation stricte (article 111-4 du code pénal), ce qui signifie qu’il ne peut exister une sanction que si le législateur l’a prévu. Or, aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de l’article 40 alinéa 2 du CPP.

- Le juriste Christophe DAADOUCH précise qu'une jurisprudence de la Cour de Cassation confirme cette absence de sanction : "(...) Qu'au surplus, les prescriptions de l'article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale ne sont assorties d'aucune sanction pénale (...)" 

- A quoi, précise t-il, s'ajoutent quatre réponses ministérielles confirmant cette absence de sanction pénale : En Décembre 2013 ( "Le médecin, agent public, est soumis aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale dont il convient de rappeler qu'elles ne sont pas sanctionnées. Il incombe toutefois au médecin d'alerter son patient sur les dangers que son comportement fait courir à autrui autant qu'à lui-même et de l'inciter à prendre les précautions nécessaires."), en Juin 2013 ("Cette obligation, de portée générale, n'est pas sanctionnée pénalement (...)"), en Décembre 2010 ("Les prescriptions de l'article 40 du code de procédure pénale ne sont assorties d'aucune sanction pénale.") et en Octobre 2009 ("Il importe de préciser que la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que les prescriptions de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale ne sont assorties d'aucune sanction pénale.").

- Par contre, l’article 226-13 du code pénal prévoit une peine de 1 an de prison et 15 000 euros d’amende en cas de violation du secret professionnel.

- Christophe DAADOUCH, juriste, rappelle que, selon le principe de droit selon lequel les lois spéciales (226.13 du CP) sont supérieures aux lois générales (art 40 du CPP), le professionnel ne risque rien s'il ne respecte pas l'article 40 alors qu'il prend un risque de sanction pénale s'il ne respecte pas l'article 226-13 du code pénal. Ce principe est important. Il signifie que dans la lecture du droit, il nous faut privilégier la règle spéciale (ici l'obligation de secret) à la règle générale (ici l'obligation de dénoncer au Procureur).

- Il apparaît donc que la connaissance d’un délit ou d’un crime par un fonctionnaire entrant dans les catégories de professionnels soumis au secret ne revêt pas de caractère obligatoire. Le secret prévaut.

- C’est d’ailleurs ce qu’affirme, après analyse juridique du code pénal et de l’article 40 du code de procédure pénale, le ministère de la santé dans son instruction N° DGOS/DSR/MISSION DES USAGERS/2011/139 du 13 avril 2011 relative à la conduite à tenir en cas de détention illégale de stupéfiants par un patient accueilli dans un établissement de santé.

- C’est aussi ce qu’affirme Pierre VERDIER dans l’analyse juridique produite pour l’ANAS (pages 9 et 24 à 28) : étendre l’article 40 « à tous les délits dont un fonctionnaire peut avoir connaissance serait excessif. Ce serait, pour les professions qui sont astreintes au secret professionnel, comme les assistants de service social, mais aussi les médecins de PMI, les sages-femmes territoriales, etc., la négation du secret professionnel. Et comme le secret professionnel est constitutif de leurs missions, cela reviendrait à dire qu’il y aurait incompatibilité entre le statut de fonctionnaire et la profession d’assistants de service social, qui devraient être remplacés par des conseillers et des contrôleurs sociaux. »

- Ajoutons que le code de déontologie des médecins ne fait pas de distinction entre médecins exerçant sous statut privé (salarié ou libéral) et ceux exerçant sous statut public (agent d'une fonction publique) : tous ont les mêmes obligations au regard du secret professionnel.

- Le cadre législatif sur le secret professionnel et les possibilités ou obligation de le lever (223-6, 226-14, 434-1 et 434-3 du code pénal) offrent assez de possibilités pour signaler aux autorités judiciaires des situations d'une gravité importante, que l'on soit agent de la fonction publique ou salarié du privé.

- Nous pouvons donc travailler avec les personnes dont la situation relève par certains aspects d’infractions pénales et elles peuvent librement aborder avec nous la réalité de leur situation afin de trouver des pistes qui sont autant d’atouts pour revenir dans le droit commun.

Quand utiliser cet article ?

- Là encore, Pierre VERDIER nous donne une indication : « (…) ce texte vise les crimes ou délits connus par un fonctionnaire « dans l’exercice de ses fonctions ». Nous pouvons donc l’entendre comme concernant les crimes ou délits commis par l’administration elle-même (ou ses agents), ce qui justifie pleinement l’obligation de dénonciation. » Dans les autres cas, cet article ouvre une possibilité que le professionnel appréciera, en fonction d'un questionnement éthique, en mesurant les conséquences du choix de dire ou pas. Prenons deux exemples concrets :

Exemple 1

Une femme vient révéler à son assistante sociale qu'elle est parfois victime de violence conjugale se traduisant par des coups, des violences psychologiques et que par le passé, son mari lui avait imposé un rapport sexuel malgré l'expression de son opposition. Elle n'a jamais fait de certificat médical ni de main courante. Elle ne veut pas que ça se sache et cherche une solution pour que la situation change. Au regard du droit pénal, nous avons ici des faits qui, s'ils sont avérés, sont des délits (violences physiques et psychologiques) et crime (rapport sexuel forcé est un viol). Une application à la lettre du 40 alinéa 2 amènerait à ne pas prendre en compte ce que souhaite cette dame (qui ne s'est pas adressée à un service de police ou gendarmerie mais à un service social) et à oublier que si cette personne a pu dire cela, c'est parce qu'elle pensait pouvoir faire confiance, qu'elle resterait maître de sa vie et des informations qu'elle donne à une professionnelle, laquelle est soumise au secret professionnel. Signaler au Procureur de la République, c'est quasiment systématiquement aller vers l'ouverture d'une phase d'enquête qui va amener à auditionner la victime, à tester la consistance de son propos (ce qui peut être vécu comme une remise en cause de ce qu'elle dit), dans certains cas demander un examen médico-légal (examen du corps, examen gynécologique si le rapport sexuel forcé a eu lieu récemment), voire organiser une confrontation (qui malgré les précautions qui sont prises par les enquêteurs, peuvent être difficiles à vivre pour les victimes). Cette personne peut finir par avoir l'impression qu'elle est devenue objet : sa demande n'a pas été respectée, sa responsabilité est placée au même niveau que celle d'un enfant (« on doit la protéger car elle n'est pas en capacité de le faire »), sa parole semble se retourner contre elle, son corps est soumis à examen (ce qui est violemment ressenti par certaines), elle est confrontée aux dénégations (scénario le plus probable) de son mari qui peut tenter d'invalider sa parole (« elle est dépressive », « elle veut me faire payer quelque chose »)... Dans nombre de situations, nous trouvons des femmes qui, mesurant dans quoi elles se retrouvent, reviennent sur leurs propos et invalident elles-même leurs déclarations. Elles y ont perdu beaucoup et la société n'y a rien gagné. Elles ont aussi perdu la possibilité de se confier vraiment à leur assistante sociale, car cela peut représenter un danger. Il faut évidemment informer la personne du caractère délictuel et criminel de ce dont elle explique être victime, l'informer sur les possibilités qu'elle a de déposer une plainte, de ce que cela peut produire et de quels soutiens elle peut bénéficier dans cette démarche. C'est la plus sûre démarche pour que, si elle fait le choix de déposer plainte, elle soit moins mise à mal par la procédure qui va en découler. La procédure elle-même aura plus de chance de se dérouler de façon satisfaisante pour la société. Il existe des alternatives permettant d'agir dans une telle situation : la séparation, le soutien psychologique, voire le soutien à la possibilité de parler au sein du couple (dans certains cas seulement)... Combien de professionnels ont pu mesurer que la plainte, même menée à son terme, ne résoud pas forcément la situation. On n'entre pas dans un processus judiciaire de cette sorte sans en avoir mesuré l'intérêt et les limites. Pour les professionnels, comme pour les personnes qu'ils accompagnent, il faut mesurer les effets probables des différentes actions qui peuvent être entreprises afin d'évaluer a priori les bénéfices et effets nocifs qu'ils peuvent engendrer.

Exemple 2

Un éducateur de prévention spécialisée croise régulièrement des jeunes dans un quartier où il intervient. Il a fait sa place, a tissé des relations avec eux, en abordant tant en individuel qu'en collectif, leur situation et les problèmes qu'ils peuvent rencontrer. Il est pour quelques-uns, tréès marginalisés, le dernier fil avec une institution. Cela a permis à certains de sortir de situations de ruptures et d'exclusion où ils étaient. Parmi eux, il connaît les noms et le domicile de la plupart. Il sait aussi que certains fument du shit. Il travaille avec eux la question de leur rapport au produit, la place que cela prend dans leur vie, les effets que cela a et comment réduire les risques pour leur santé et leur entourage qu'amènent cette consommation. Mais cette consommation de produits stupéfiants est un délit... On peut poser la question de façon radicale : s'il signale ces faits au Procureur de la République, combien de temps faudra t-il pour qu'il ne puisse plus travailler au sein de ce quartier ? Dans certaines « zones sensibles », la question peut même être : quelle sera la sécurité de l'éducateur s'il a « balancé » un des jeunes avec qui un lien s'était tissé ? Appliquer l'article 40 en oubliant que l'on est soumis au secret professionnel, c'est ici créer les conditions de plus de ruptures, défiances de la part d'un groupe de personnes, et limiter le travail de lien et d'insertion dont bénéficient autant certains jeunes que la société.

Les professionnels soumis au secret doivent pouvoir tenir l'engagement du législateur : une personne doit pouvoir avoir confiance dans un professionnel. Et nous devons redire que, loin de « couvrir » des agissements, cette posture permet au contraire que la réalité des situations vécues se dise plutôt qu'elle soit cachée. Pour bien travailler, nous avons besoin de comprendre ce qui se passe pour la personne.

Laurent Puech

Voir aussi

Secret et connaissance d'un crime 

Secret et connaissance d'un délit 

Secret professionnel et fonctionnaires

Les fondements du secret professionnel