Secret professionnel et connaissance d'un crime

Ce qu'il faut retenir sur connaissance d'un crime et secret professionnel

- La législation n’oblige pas à révéler un crime dont un professionnel soumis au secret a eu connaissance dans le cadre de son travail.

- L’article 434-1 du code pénal sanctionne « quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. »

- Mais il précise que « Sont (…) exceptées des dispositions du premier alinéa [cité ci-dessus, ndr] les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13. »

- Il existe donc pour les professionnels soumis au secret une exception à cette obligation, ce qui signifie qu’ils ne sont pas obligés par la loi à dénoncer les crimes. Pour autant, la révélation d’un crime n’est pas interdite par la loi. C’est au professionnel d’évaluer ce qu’il convient de faire.

- Cela peut, dans une première lecture, choquer moralement. Il s’agit de comprendre que, sur ce sujet comme sur les autres, nous avons une marge de manœuvre que nous laisse le législateur. Cette marge est donnée pour agir, quand c’est préférable pour la personne, autrement que par la révélation à une autorité. Les travailleurs sociaux ont à développer des actions auprès des publics qu’ils rencontrent et ne sont pas de simples citoyens face à d’autres citoyens : ils ont une fonction particulière dans la société.

- Bien que parfois invoqué, l’article 40 du code de procédure pénale ne présente aucun caractère obligatoire pour les fonctionnaires soumis au secret professionnel (voir Secret et connaissance d’un délit et l’article 40 du CPP expliqué)

Avis convergent avec…

Michel BOUDJEMAI, 2008, pages 53 à 55.

Marie Odile GRILHOT BESNARD, 2013, pages 119 à 121, ainsi que Jean-Pierre ROSENCZVEIG, Pierre VERDIER, 2011, pages 65 et 66, convergent avec notre analyse avec cependant une réserve : la connaissance d'un crime concernant les mineurs de 15 ans. Je partage pour ma part l'analyse développée par Michel BOUDJEMAI, 2008, page 55, qui montre la subtile nuance de l'article . Cela l'amène à conclure que l'exception concerne tous les crimes, dont ceux concernant des mineurs de 15 ans. Mais soyons clairs : concernant ces mineurs de 15 ans, nous avons ailleurs que dans le 434-1 du code pénalplusieurs possibilités légales qui autorisent le signalement à l'autorité judiciaire si besoin (voir les fiches protection de l'enfance).

Quel impact a cette question crime/secret professionnel sur le travail social ?

De façon générale, la connaissance de l’existence d’un crime dans le parcours d’une personne se situe le plus souvent dans des situations de crimes subies par la personne que nous rencontrons : elle en a été victime. Parmi ces situations, le viol est le cas que nous rencontrons le moins rarement.

Mais il peut arriver que nous ayons exceptionnellement à rencontrer une personne auteure d’un crime et dont les autorités ne connaissent pas l’identité. Des services d’enquête de police ou gendarmerie peuvent chercher à savoir ce que le professionnel sait, l’auditionner à ce sujet. Rappelons-nous que toutes les victimes ne souhaitent pas, ou n’osent pas révéler aux autorités le crime dont elles ont été l’objet. Déposer une plainte peut leur apparaître comme pire que le silence : parce que raconter une histoire douloureuse n’est pas simple, parce que cela signifie que l’affaire sera connue de proches et que l’on a honte, parce que l’on ne veut plus croiser l’auteur... Certaines connaissent l’identité de l’auteur, d’autres pas. Certaines peuvent avoir besoin d’un soutien social ou psychologique mais pas d’une procédure pénale.

Lorsque nous rencontrons une personne victime, nous avons à la prendre en compte et à prendre soin d’elle. Lui imposer notre « solution » est dangereux : informer l’autorité judiciaire d’une situation de viol révélée par une victime qui ne le souhaite pas, c’est très probablement aller vers une perte de la confiance qu’elle avait en nous, risquer qu’elle invalide devant les enquêteurs ce qu’elle nous a dit afin d’arrêter l’affaire. Résultat probable ? Une personne victime encore plus mal, un auteur présumé pas inquiété…

Nous avons donc à travailler avec la personne, à ce qu’elle puisse choisir de façon éclairée sa solution. "Eclairée" signifie que nous l’avons aidée à examiner les différentes pistes possibles, les intérêts et limites de chacune d’entre elles. Si, au final, l’idée d’informer les autorités via une plainte leur apparaît être le meilleur choix, nous les accompagnons dans cette démarche. Si elles souhaitent conserver le secret, nous les soutenons sur le chemin qui leur apparaît préférable (soutien psychologique, matériel, social par exemple). C’est cette marge de manœuvre que laisse le cadre légal. Car ce n’est pas en faisant une violence de plus à la victime (imposer la révélation alors que cela la fragiliserait encore plus) que nous respecterions cette personne. Quant à la question de la personne auteure de crime, nous l’examinons dans la partie « Pour aller plus loin ».

Références juridiques

Article 434-1 du code pénal.

Article 40 du code de procédure pénale

Voir aussi Secret et connaissance d'un délit et Secret et connaissance d'une fraude

 

 

Pour aller plus loin

La situation de rencontre d’une personne auteure d’un crime, recherchée ou encore inconnue des services de police, est un cas extrêmement rare pour un travailleur social. Dans ce cas là aussi, la marge de manœuvre donnée par le cadre légal permet un travail tout à fait intéressant.

Deux cas concrets me permettent d’illustrer cette action dans ces cas de figure.

Le premier était repris dans l’avis technique « Préconisations pour les professionnels soumis au secret et confrontés à des révélations ou constats d’infractions » de l’ANAS (pages 17 et 18) : « Une dame, mère de deux enfants, est en fuite après avoir blessé de deux coups de couteau sa mère. Les policiers la recherchent, contactent son assistante sociale pour savoir si elle sait où elle se trouve. La professionnelle répond par la négative et propose de se renseigner pour savoir ce qu'il est possible de travailler. Elle tente de contacter la dame par son propre réseau. Elle y parvient et lui propose de venir discuter de ce qui se passe. La dame, qui connait la professionnelle et a confiance en elle, accepte la proposition. Elle vient, explique ce qui a provoqué cet enchaînement, les coups de couteau donnés, son désespoir. L'assistante sociale lui signale que ce qu'elle explique permet de comprendre en effet pour quoi elle a été amenée à ces actes, que des policiers aussi peuvent entendre son récit. Elle l'informe du caractère aggravant pour elle de la fuite, de la difficulté du moindre acte dans la clandestinité dans laquelle elle se situe avec ses filles dans ces conditions. La dame dit qu'elle est prête à se rendre mais qu'elle a peur que ses enfants soient placées, dans un lieu inconnu. L'assistante sociale lui propose de trouver avec elle une personne de confiance à qui elle pourra remettre ses enfants afin que l'on prenne soin d'eux. C'est ce qu'elles font ensemble. Avant de remettre les enfants à une amie, l'assistante sociale prévient le commissariat que la dame se rendra à l'hôtel de police en indiquant l'heure. Après avoir confié les enfants, la mère se rend comme convenu au commissariat. » Dans cette intervention, l'assistante sociale n’a pas révélé ce qu'elle savait, ni aidé à l’arrestation de cette personne. Son travail, de sa place, a contribué à produire une situation nouvelle qui a permis à la mère de trouver une solution pour elle et ses enfants, au bénéfice de la société. On mesure ici l’importance qu’il peut y avoir, pour la personne mise en cause et la société, à ce qu’existe un lieu où la personne puisse se poser et réfléchir là encore de manière éclairée, afin de faire son choix.

Dans le deuxième cas, c’est la personne qui est venue spontanément vers la travailleuse sociale qu’il connaissait. Il se présente dans un service social spécialisé dans le travail avec des personnes sans-domicile, demande à la voir, et lui dit qu’il ne sait plus où il en est, qu’il pense avoir tué une prostituée. La travailleuse sociale l’aide à se calmer et lui demande de lui expliquer ce qui lui fait dire cela. Les éléments du récit semblent consistants et amènent la professionnelle à essayer de savoir le lieu où se trouverait la victime. Avec les indications fournies, elle téléphone immédiatement au 15 et, conformément à l’article 223-6 du code pénal, fait provoquer un secours, au cas où la personne serait encore en vie. Elle explique ensuite à la personne reçue que le mieux est de se rendre, que la situation de fuite ne fera qu’aggraver les conséquences et qu’elle ne pourra aucunement l’aider dans un tel projet. De plus, avec l’appel au 15, l’identification du service aura été possible et il est probable que les enquêteurs viendront demander comment cette information a été connue de la professionnelle. Elle dit que, dans un tel cas, elle expliquera comment elle l’a su, et pourquoi elle a choisi d’agir en provoquant un secours sans pour autant dénoncer Monsieur : elle pense aux conséquences qu’une dénonciation spontanée aux services de police pourrait avoir sur la confiance des autres usagers envers les professionnels de ce service social. La personne, après un long moment de réflexion, choisit de se rendre. Là encore, c’est la posture professionnelle qui a permis d’avancer avec la personne, de l’aider à faire un choix éclairé. La professionnelle a aussi une attitude claire, disant où se situe sa limite, prenant en compte les conséquences de son positionnement au-delà de la seule situation de l’usager qu’elle reçoit.

Chaque situation est singulière. Chaque réponse aussi. Cet article peut heurter le professionnel et le citoyen. Il semble jouer contre la victime. Mais, lorsque l'on dépasse le trouble qui peut naître, chacun est à même de mesurer que cette absence de systématisation de l'information à une autorité judiciaire ou administrative peut dans certains cas être favorable à la victime :

- Une personne avec une blessure grave avec arme, mais qui ne veut pas que l'auteur soit inquiété (pas si rare, pensons notamment aux situations de violences au sein des couples) doit pouvoir se faire soigner. Si elle craint que derrière le soin vienne le judiciaire, elle risque de repousser la consultation pourtant nécessaire pour éviter une dégradation de son état.

- Une victime de viol, qui aurait peur que cela se sache parce que dans sa famille, où la religion tient une place centrale, ce serait une « honte » qui entraînerait sa mise à l'écart, oserait-elle en parler à son assistante sociale si devait s'en suivre une enquête dont ses proches seraient rapidement informés ?

La question de l'information à une autorité ne doit pas parasiter ou empêcher la nécessaire prise en charge. Nous pouvons accompagner les personnes, dans la durée, vers des pistes qu'elles jugent préférables. La loi nous y autorise, si toutefois la personne n'est pas en péril (voir Fiche Assistance à personne en Péril). A chaque professionnel, qui par sa formation et sa fonction est dans une position différente de celle d'un simple citoyen, d'évaluer la situation, de développer un questionnement éthique et de trouver la réponse la plus pertinente et respectueuse de la personne. Parfois nous choisirons d'informer une autorité, parfois nous ne le ferons pas. Mais nous devons toujours être en capacité de rendre compte des motifs qui fondent notre choix.

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