Je suis convoqué par un service de police ou de gendarmerie pour témoigner

 

Ce qu'il faut retenir pour concilier témoignage, secret professionnel et, parfois, stress.

Trois étapes :

1 – Repérer le cadre de la convocation

2 – Mesurer ce que je peux dire ou pas

3 – Gérer l’audition et le contact avec les enquêteurs

 

1 – Repérer le cadre de la convocation pour témoigner

Trois cadres d’enquête distincts peuvent justifier votre convocation en tant que témoin : l’enquête de flagrance, l’enquête préliminaire et l’information judiciaire.

L’enquête de flagrance : se déroule dans les 24 à 48H suite à un crime ou délit. Dans les cas les plus graves, elle peut aller jusqu’à 8 jours. Les enquêteurs ont donc un temps court pour mener leurs investigations. Ils peuvent en être d’autant plus pressants sur les témoins qu’ils souhaitent auditionner avant le terme de l’enquête et vous imposer un créneau pour auditionner : sauf empêchement majeur, il sera difficile de le modifier. Vous avez donc peu de temps pour préparer votre position par rapport à cette audition.

L’enquête préliminaire : Elle peut être mise en œuvre à l’initiative d’un policier/gendarme officier de police judiciaire ou à la demande du Procureur de la République lorsqu’il a connaissance de délits ou crimes. Elle se déroule en général sur une durée supérieure à l’enquête de flagrance, pouvant aller jusqu’à plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les enquêteurs sont plus tranquilles quant aux échéances. Il est souvent possible de trouver un créneau quelques jours après la demande. Vous avez donc le temps de préparer votre position par rapport à cette audition.

L’information judiciaire : Le Procureur de la République peut saisir un juge d’instruction qui sera en charge de diriger l’enquête en vue d’un jugement. Ce cas de figure est plus rare : il est souvent utilisé dans les affaires criminelles ou délictuelles les plus graves et/ou les plus complexes. Il peut donc y avoir demande d’audition, via une commission rogatoire délivrée par le magistrat. Là encore, la durée s’étale sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Il est possible de négocier le moment où l’on sera auditionné, et donc de préparer cette audition.

Quel que soit le cadre de l’enquête, il faut demander une convocation par écrit, situant le cadre et l’auteur de la demande.

- C’est obligatoire dans le cas de l’information judiciaire (via une commission rogatoire mentionnant notamment le nom du magistrat et le siège du tribunal, la nature des infractions et des actes demandés).

- Dans le cas d’enquête préliminaire, les enquêteurs passent souvent par un appel téléphonique : il convient de leur demander un document (fax ou document scanné envoyé par mail). L’objectif est de mesurer tranquillement le cadre de la demande, de pouvoir échanger avec ses pairs et responsables hiérarchiques de la situation afin de ne pas rester seul, mais aussi de faire en sorte que le simple appel téléphonique ne devienne pas une facilité qui entraînerait un recours trop systématique au témoignage des professionnels. De plus, ce document pourra attester que, si un témoignage a dû être déposé par un professionnel aux enquêteurs (nous verrons plus loin dans quel cadre il le peut ou pas), ce n’est pas à l’initiative du professionnel ou de son service que cela a été fait. Enfin, quand l’audition prévue n’est pas vraiment justifiée (l’enquêteur peut essayer en sachant qu’il ne trouvera probablement rien d’intéressant ou pour montrer qu’il a « tout fait », même l’inutile…), le fait d’avoir à faire une démarche de plus (fax ou scan) décourage souvent l’enquêteur d’aller plus loin.

- Dans les cas d’enquête de flagrance, vu les délais très courts, les marges de négociation avec les enquêteurs sont plus restreintes. Prenez comme principe de demander un document de convocation, comme vous le feriez dans une situation d’enquête préliminaire.

Dans tous les cas, lorsqu’il y a demande formalisée, en vertu de l’article 78 du code de procédure pénale, vous êtes obligés de comparaître et cette audition ne devra pas durer plus de 4 heures. Reste à savoir ce que vous pouvez dire ou pas au regard du secret professionnel auquel vous êtes soumis.

 

2 – Mesurer ce que je peux dire ou pas si je suis soumis au secret professionnel

Selon l’article 226-14 du code pénal, l’article 226-13, sanctionnant la révélation d’informations à caractère secret, n’est pas applicable dans les cas suivants :

« 1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ; (…) 3° Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une. »

L’article 226-14 vous autorise à témoigner mais ne vous oblige pas à le faire (voir le 226-14 expliqué).

De par la loi, c’est donc le professionnel qui reste libre de témoigner ou pas, et du choix des informations qu’il communique. S’il décide de révéler des informations, elles doivent se situer dans le cadre prévu par la loi :

- Les atteintes à un mineur ou un majeur dans l’impossibilité de se protéger en raison de son âge ou d’une incapacité : ce sont les situations dans lesquelles l’enquête concerne directement ou indirectement des enfants victimes de violences ou des majeurs nécessitant une protection ;

- Les situations de personnes potentiellement ou certainement armées et selon toute probabilité dangereuses pour elles ou autrui.

Hors de ces cadres, il est interdit de témoigner puisque aucune exception prévue par la loi ne vous exonère de l’obligation de secret à laquelle vous êtes soumis. L’article 109 du code de procédure pénale prévoit que le secret professionnel est opposable dans le cadre d’une information judiciaire (cas les plus graves ou complexes). Une enquête concernant un consommateur de drogue recherché ou une personne en situation irrégulière de séjour ne doit trouver qu’une réponse, celle de la loi : interdiction de témoigner de quoi que ce soit.

En résumé, si la loi vous autorise à témoigner, et que vous évaluez que vous n’avez aucune information à apporter aux enquêteurs, vous devez vous présenter à l’audition et vous pouvez opposer le secret professionnel aux questions de l’enquêteur. Si vous souhaitez témoigner, vous pouvez le faire dans le cadre des possibilités ouvertes par la loi. Si le cadre de l’enquête se situe hors des cas prévus par la législation, vous devez vous présenter et opposer le secret professionnel.

Dans tous les cas, il sera rédigé un procès-verbal d’audition par l’enquêteur pour lequel il vous demandera votre adresse professionnelle et une pièce d’identité. Le procès-verbal sera soumis à votre signature : relisez attentivement ce qui est mentionné, n’hésitez pas à demander à rectifier des formulations qui vous apparaissent ambiguës et éloignées des propos que vous avez eu. En cas d’opposition de l’enquêteur, mentionnez vos réserves à côté de votre signature.Refusez de signer si les éléments sont trop éloignés de vos propos, cela n’altère pas l’enquête. Ce qui est écrit par l’enquêteur et signé par vous vous engage. Ce PV ne vous sera pas remis en copie. Notez après l’audition comment elle s’est déroulée et ce que vous avez dit ou pas. En cas de nouvel appel à témoigner, devant un enquêteur ou un tribunal, vous pourrez ainsi vous remémorer les éléments essentiels de cette audition. Encore faudra-t-il gérer l’audition et la tension qui peuvent exister dans un tel cadre, ce que nous allons examiner maintenant.

 

3 – Gérer l’audition et le contact avec les enquêteurs

Si vous avez évalué que vous pouviez témoigner…

- Préparez les informations que vous souhaitez communiquer en faisant le tri entre celles qui sont pertinentes dans ce contexte et celles qui sont hors-sujet selon vous (c’est vous qui choisissez ce que vous dîtes ou pas) ;

- Si vous avez adressé un rapport qui est remonté à l’autorité judiciaire (signalement enfant en danger ou personne vulnérable), relisez les éléments avant l’audition. Vous pouvez apporter ce document afin de vous appuyer sur son contenu si vous en avez besoin durant l’audition.

- Votre responsable de service peut demander à vous accompagner durant l’audition, mais l’enquêteur est tout à fait en droit de le refuser.

- Tenez-vous en aux éléments objectifs, évitez les interprétations ou hypothèses. Dans un tel cadre, il n’y a pas de raison pour qu’il y ait de la tension durant l’audition : vous êtes venus, vous apportez des éléments en votre possession. Pour l’enquêteur, tout va bien. Mais n’oubliez pas qu’un policier ou un gendarme est un professionnel de la recherche d’informations, que l’audition n’est pas un entretien, que les deux cultures (police/gendarmerie et travail social) sont différentes et peuvent créer des incompréhensions ou mauvaises interprétations (sur certains termes)… L’exercice sera donc probablement sans tension, mais il nécessite de garder une certaine vigilance.

Si vous évaluez qu’il est possible de témoigner mais préférable de ne pas le faire…

- Vous allez devoir faire un travail de pédagogie : opposer brutalement le secret professionnel risquerait de générer de la tension très rapidement.

- L’enquêteur en face de vous est soumis au secret de l’instruction : il risque de ne pas mesurer d’emblée la différence de fondement entre ce secret et celui auquel vous êtes soumis (voir Les différents secrets). Vous devez lui expliquer posément plusieurs choses.

- Prévenez-le avant de venir que vous allez vous présenter mais que vous serez amené à ne pas apporter d’informations durant cette audition. Le fait de ne pas dire permet au travailleur social de continuer un travail en cours avec la personne ou son entourage, travail qui serait mis à mal en cas de témoignage. C’est pourquoi il ne vous paraît pas opportun de témoigner dans cette situation, conformément à ce que législateur a prévu.

- Vous pouvez lui rappeler que la législation sur le secret professionnel n’impose aucune obligation de révéler des informations sauf situation de péril. Dans un tel cadre, soit l’enquêteur est compréhensif et n’insiste pas (il fait le PV d’audition et termine rapidement cette audition), soit il tente de vous amener à modifier votre position. Par la séduction et l’alliance (« on a le même objectif »), par la confusion entre votre avis de citoyen et votre position professionnelle parfois. Mais nous avons aussi hélas quelques exemples de menaces de poursuites voire placement en garde à vue quelques heures afin de faire pression sur le travailleur social. Mais soyons clair : si vous maitrisez le cadre juridique du secret et restez correct, vous n’avez aucune crainte à avoir, même si l’enquêteur peut être impressionnant (par son comportement, la certitude qu’il affiche dans ses affirmations, ses jugements à votre encore). Rappelez-vous que la loi est supérieure à cet enquêteur et même au magistrat (Procureur de la République ou Juge d’Instruction) qu’il ne manquera pas d’évoquer.

Si vous évaluez qu’il est interdit de témoigner…

- Ue fois encore, vous allez devoir faire un travail de pédagogie : opposer brutalement le secret professionnel risquerait de générer de la tension très rapidement.

- Vous expliquerez que, dans la situation pour laquelle on vous demande de témoigner, vous êtes dans l’obligation de vous taire. C'est ce que vous impose la loi. Révéler, ce serait commettre un délit passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. La révélation, si elle est essentielle à l’enquête et la démonstration de la commission de l’infraction, reviendrait aussi à prendre le risque de voir contredit le principe de loyauté de la preuve : ceux qui sont en charge de faire respecter la loi ont aussi l’obligation de la respecter dans le cadre des enquêtes qu’ils mènent. L'obtention d'un élément essentiel via la commission d’un délit créerait une faille qui pourrait invalider l’enquête. Ne pas révéler, c’est donc se protéger de poursuites pour violations du secret, et protéger l’enquêteur et l’enquête.

- Enfin, n’hésitez pas à user de l’humour : « ce n’est pas à mon âge que je vais débuter une carrière de délinquant !-) », « Je ne vais pas me transformer en délinquant pour qu’un délinquant soit peut-être arrêté !?-) » ou encore « Si je comprends bien, Monsieur l’enquêteur, vous tentez de m’inciter à commettre un délit pour vous aider dans votre travail qui est de combattre ceux qui commettent des délits ?-) ». Mettre en lumière le paradoxe de la situation permet souvent de faire un pas de côté et de sortir d’une logique d’affrontement. Encore faut-il être deux à jouer le jeu. Comme pour la situation précédente, dans un tel cadre, soit l’enquêteur est compréhensif et n’insiste pas (il fait le PV d’audition et termine rapidement cette audition), soit il tente de vous amener à modifier votre position. Par la séduction et l’alliance (« on a le même objectif »), par la confusion entre votre avis de citoyen et votre position professionnelle parfois. Mais nous avons aussi hélas quelques exemples de menaces de poursuites voire placement en garde à vue quelques heures afin de faire pression sur le travailleur social. Mais soyons clair : si vous êtes au clair avec le cadre juridique et restez correct, vous n’avez aucune crainte à avoir, même si l’enquêteur peut être impressionnant (par son comportement, la certitude qu’il affiche dans ses affirmations, ses jugements à votre encore). Rappelez-vous que la loi est supérieure à cet enquêteur et même au magistrat (Procureur de la République ou Juge d’Instruction) qu’il ne manquera pas d’évoquer ou invoquer.

 

Rédacteur

Laurent PUECH