« Affaire Laly » : quand un drame met en lumière la contestation sociale du secret professionnel

Le 17 juillet 2017, le journal Le Parisien publie un article intitulé « Défenestrée en classe par un enfant, Laly a-t-elle été victime du secret professionnel ? ». Derrière cette question pour le moins orientée, se cache effectivement un drame survenu à Périgueux le 8 janvier 2015 au sein d’une classe pour l’inclusion scolaire (CLIS). Un enfant de la classe a défenestré une jeune fille trisomique, Laly. 

Cet enfant, selon le journal, aurait déjà été violent en 2013 dans un autre lieu et envers un autre enfant. Aussitôt, la question survient : pourquoi l’assistante sociale de l’ASE en charge du suivI de l’enfant n’a pas « signalé » la dangerosité de cet enfant ? 

Aujourd’hui, l’institutrice de l’école de Périgueux ainsi que l’assistante sociale sont mises en examen pour homicide involontaire. 

Notre but à travers cet article n’est pas de commenter des commentaires sur un drame mais plutôt :  

- De permettre une prise de recul sur l’idée que le signalement serait vertueux en soi et systématiquement vecteur de protection

- De repréciser et corriger certains éléments apportés dans l’article et qui sont approximatifs pour ne pas dire faux

- De mettre en lumière un phénomène sociologique évolutif et bien présent de dénonciation du secret professionnel et de demande sociétale de conformité des actes des professionnels soumis au secret au mode de pensée et d’actions des citoyens. 

Un enfant de 8 ans décrit et pensé comme un danger

Le débat nourri par Le Parisien consiste à savoir si l’assistante sociale aurait dû signaler à la nouvelle école la « dangerosité » de l’enfant voire au Procureur de la République les faits de 2013 où celui-ci aurait violenté un enfant de 2 ans chez sa nounou. 

Le premier écueil de ce type de raisonnement est qu’il consiste à penser des faits passés sous l’angle de l’issue, en l’occurrence le drame, connue mais qui ne pouvait bien évidemment pas être imaginée en 2013 et à, sur cette base, accuser les professionnels en charge de l’enfant.  Le même écueil a abouti en mars 2012 à une loi sur le partage d’informations relatives à des mineurs mis en examen pour infraction sexuelle entre le juge et l’Education nationale suite à l’affaire dite « Chambon sur Lignon »(1).

Le second écueil est de penser que le signalement qui, pour rappel, consiste à transmettre au Procureur de la République, lorsque la loi l’autorise, (article 226-14 du Code Pénal) des éléments factuels permettant d’établir qu’un mineur ou un majeur vulnérable sont en danger, est la solution permettant de prévenir d’éventuels passages à l’acte. Or, le signalement vise à provoquer une mesure de protection pensée par le(s) professionnel(s) comme nécessaire mais en aucun cas à « dénoncer » la dangerosité d’un enfant de 8 ans. N’est-ce pas le même processus intellectuel (ou réflexe ?) qui a conduit suite aux attentats sur Paris en janvier 2015 à signaler un enfant de 8 ans considéré comme ayant proféré des propos potentiellement dangereux au sein de son école primaire ?  Ordre public ou protection de l’enfant ?

Par ailleurs, il est également important de comprendre que cet enfant ayant commis ce geste est avant tout en difficulté et a besoin de soins et d’accompagnement. Ainsi, le travail de l’ASE et de l’école est de lui permettre d’accéder aux soins tout en lui donnant accès aux apprentissages et à une sociabilité dans le cadre d’une classe spécialisée. 

Dès lors, l’angle d’analyse de ce drame devrait bien plus être la question des moyens mis à disposition de l’école et de l’ASE que l’évaluation et le signalement de la dangerosité d’un enfant de 8 ans. Voir ainsi un enfant de cet âge en dit long sur le tournant sécuritaire établi aujourd’hui comme schéma de pensée des interactions sociales. 

Une analyse juridique du secret professionnel et de l’article 226-14 du Code pénal discutable

L’article du Parisien nous propose une analyse juridique par l’intermédiaire de Mr Philippe CONTE, juriste et directeur de l’Institut de criminologie et de Droit pénal de Paris. 

A la lecture de son analyse, quelques clarifications s’imposent : 

- Mr CONTE instaure que le secret des médecins serait « absolu » contrairement à celui d’autres professions comme les éducateurs et qu’il y aurait un « abîme » entre les deux. Rappelons que le secret professionnel est précisément le même pour tous les professionnels soumis au secret par état, profession, mission ou fonction. Ainsi un médecin est astreint aux mêmes obligations concernant les informations à caractère secret dont il a connaissance qu’un éducateur soumis par mission (ASE par exemple) au secret professionnel. Pour s’en convaincre l’article 226.14, second alinéa, prévoit les hypothèses de levée du secret des médecins. A notre connaissance, listés par l’ordre des médecins, les cas de levée sont au moins au nombre d’une vingtaine (https://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-4-secret-professionnel-913). Ce qui montre bien que le secret des médecins n’est absolument pas …absolu.

- Par contre, l’expansion du nombre de professionnels par mission contribue effectivement à rendre flou le cadre légal et donc à fragiliser le secret professionnel. 

- Il affirme aussi qu’on ne sait pas si l’article 226-14 du Code pénal autorise ou oblige les professionnels à déroger au secret professionnel. Il est pourtant très clair que cet article prévoit une autorisation sous certaines conditions de déroger à l’article 226-13 du Code pénal et en aucun cas une obligation. On ne peut l’analyser qu’en lien avec l’article 434.3 du même code sanctionnant les cas de non révélation de maltraitance : l’article 226.14 autorise la révélation, l’article 434.3 ne punit pas celui soumis au secret dès lors que le danger est écarté. L’analyse combinée de ces deux articles –ni interdit ni obligatoire- s’explique notamment par la nécessaire marge de manœuvre dont doit disposer le professionnel pour orienter son intervention en fonction de l’évaluation et des spécificités de la situation. En cas d’obligation de signalement, le professionnel opèrerait dans un non-sens systématique, disqualifiant et potentiellement violent pour les personnes. Et dans le cas inverse, l’interdiction absolue de révéler aboutirait à des drames humains inentendables. 

Une dénonciation en filigrane du secret professionnel en tant que reconnaissance d’une légitimité à agir différemment du citoyen

Le type de discours développé dans cet article est très fréquent. Nous avons pu l’apercevoir derrière nombre de drames où la responsabilité des services sociaux et médicaux était posée. 

Il est donc intéressant d’interroger la « transaction explicite ou implicite » entre les groupes professionnels soumis au secret et la société, pour reprendre les termes d’Everett C. HUGUES , sociologue américain de la seconde Ecole de Chicago. 

Dans le cadre de ses travaux sur la division morale du travail, il développe la notion de « savoir coupable ». Selon HUGUES, ce savoir coupable dans le cas du médecin ou du journaliste par exemple tient au fait qu’un citoyen, appelé profane, serait lui obligé de le divulguer. Ces métiers qui obtiennent une licence, définie comme une autorisation légale d’exercer un type d’activité, peuvent poser des actes que d’autres n’ayant pas cette licence ne peuvent pas poser. Le secret professionnel rentre donc dans ce modèle et peut être pensé comme la légitimité (licence) attribuée à certains groupes professionnels pour concevoir, analyser, relativiser des phénomènes et agir différemment du citoyen du fait du mandat particulier qui lui est confié. 

Seulement, cet agir professionnel peut choquer le citoyen et ce particulièrement en temps de crise où les licences et mandats, donc l’ordre social et moral, sont contestés. Selon Hugues, « en temps de crise, peut apparaître l’exigence générale de voir les professionnels se conformer plus complètement au mode de pensée, de discours et d’actions des profanes ». Ainsi, le relativisme, le recul deviennent des menaces, de dangereuses déviances. 

Nous retrouvons ce mécanisme de contestation de la légitimité du secret professionnel et à travers cela une exigence de divulgation de l’information obtenue dans la mesure où la société pose un jugement de dangerosité ou d’urgence sur une situation, un phénomène donné. 

Ce principe fort et essentiel, dans un modèle démocratique, qu’est le secret professionnel (notre site internet l’explicite et le défend largement) se retrouve donc mis à mal face à une contestation alimentée par le mythe moderne de la transparence posée comme vertueuse là où le secret serait suspicieux voire dangereux. 

Ces quelques éléments de clarification et de réflexion nous permettent de prendre du recul et de suspendre notre jugement face à un fait dramatique dont la lecture simpliste et strictement émotionnelle nous précipite de fait vers l’accusation et la démagogie.   

Antoine GUILLET

Note :

(1) Un jeune sous contrôle judiciaire pour infraction sexuelle viole et tue une élève de son établissement. Bien qu’il offrait toutes les garanties de non réitération, la commission du crime abouti à une sévère mise en cause  des services de la PJJ qui aurait été sensé informer l’Education nationale.