La loi NOTre crée les conditions de la disparition du secret professionnel pour des millions de citoyens

La Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dîte "loi NOTRe") a introduit une nouveauté importante touchant indirectement à la question du secret professionnel.

Suppression de l'obligation d'un CCAS dans les petites communes

Dans son article 79 modifiant l'article 123-4 du code de l'action sociale et des familles, la nouvelle législation modifie trois choses :

- Il n'y a plus d'obligation de créer un Centre Communal d'Action Sociale dans les communes de moins de 1 500 habitants.

- Les CCAS qui existent actuellement dans les communes de moins de 1 500 habitants peuvent être dissous par simple délibération du conseil municipal.

- Dans les communes qui décideront de cette suppression, les attributions du CCAS seront exercées soit par un ou plusieurs des services de la commune, soit par un Centre Intercommunal d'Action Sociale.

Le secret professionnel emporté par les CCAS ?

Quels effets sur la question du secret professionnel ? Si les personnels des CCAS et CIAS sont soumis au secret professionnel (voir Qui est soumis au secret professionnel ?), ceux de la commune ne le sont pas du seul fait de leur statut et de leur cadre d'emploi. Bien entendu, certains peuvent y être soumis par profession (l'assistante sociale du personnel par exemple). Mais pas les autres agents.

Ainsi, là où la commune aura choisi de dissoudre son CCAS et d'intégrer dans ses services la gestion des attributions anciennement portées par le CCAS, les usagers n'auront plus droit à être reçus par un professionnel soumis au secret.

Combien de personnes touchées par la disparition du secret professionnel ? 

Difficile d'estimer précisément le nombre de personnes qui sont ou seront touchées par ce changement. D'abord parce que le nombre de communes qui vont choisir d'intégrer les attributions du CCAS reste à quantifier. Ensuite, pour une partie de la population des communes, elles relèvent déjà souvent d'un service social départemental et/ou spécialisé (je pense ici aux familles avec enfant mineur, aux personnes dépendantes). Enfin, certains actes assurés dans les CCAS dépendent de missions soumises au secret professionnel, comme la mission RSA par exemple.

Cependant, pour tenter d'apporter quelques données sur l'importance de la population potentiellement concernée, rappelons un chiffre donné par la présidente de l'Union nationale des CCAS et CIAS (Unccas), Joëlle Martinaux, en mars 2015 : sur les 36 000 communes existantes, 32 000 ont moins de 2 000 habitants. Elles représentent 24% de la population. Nous mesurons combien ce changement peut affecter de nombreuses personnes, parmi les plus isolées.

Denis Guihomat, président de l'ANCCAS, parle de ces populations qui pourraient être touchées : "(...) cette disparition va laisser encore plus seuls les vieux, les pauvres , les familles et les autres qui vivent sur ces territoires ruraux souvent sans solution aux problèmes du grand âge, de la garde des jeunes enfants ou aux risques d’isolement qui menacent tous ceux qu’un marché de l’emploi devenu si exigeant oublie aux bords des chemins."

Les élus et voisins encore plus près de la vie privée des citoyens ?

Ne nous berçons pas d'illusions. Dans les très petites communes, l'existence du CCAS (parfois une coquille vide) et la soumission au secret professionnel étaient très relatifs. La proximité des acteurs dans les petites communes rendent d'autant plus difficiles les cloisonnements et la protection des informations. Le Maire et les élus sont très proches des habitants, à leur contact direct avec une connaissance parfois précise de leurs vies. C'est bien dans un cadre de lien et de proximité que le secret trouve encore plus sa raison d'être. Pour que les citoyens puissent se confier, il est parfois nécessaire que leurs paroles soient inaccessibles à l'élu-voisin, au voisin, à l'élu-collègue... Le secret professionnel est un appui solide pour les professionnels des CCAS pour tenter de maintenir ces cloisons d'intérêt public. Aujourd'hui, le personnel d'une commune sera bien en difficulté pour protéger les informations qui lui ont été confiées.

Alors, les habitants en difficulté des petites communes ont-ils droit au respect de leur vie privée comme les habitants des communes de plus de 1 500 habitants ? Ou sont-ils des citoyens de second ordre ? Ce sont les conseils municipaux qui, par leurs choix (intégration ou transfert vers un CIAS) vont le dire dans chaque commune. A suivre...

Laurent PUECH