Instauration du secret comme une "rustine juridique", affirmation de protection des personnels pourtant exposés à de vrais nouveaux risques, utilisation de terme créant les conditions de la confusion... L'arrivée du secret professionnel et du partage d'informations en CHRS se fait d'une drôle de façon.
Depuis l'adoption de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ayant complété l'article L345-1 du Code de l'action sociale et des Familles, les personnels des CHRS sont soumis au secret professionnel. Nous publions dans la catégorie Législation commentée une fiche consacrée à l'analyse de cet article 345-1.
Afin de pouvoir réaliser la dite fiche, je suis remonté vers les débats ayant eu lieu à l'Assemblée Nationale comme au Sénat. Ceci pour mieux comprendre ce qui avait, en cette année 2014, favorisé l'émergence d'un tel article. Après tout, exercer en CHRS ne relevait pas jusqu'alors d'une fonction soumise au secret. Le législateur voulait-il pallier à une carence en la matière ? Souhaitait-il apporter une réponse à un problème spécifique ? Pensait-il réguler la quantité d'informations qui circulent déjà au sein de ces établissements ? Voici donc des éléments de compréhension et d'analyse du parcours de ce texte et de ce qu'il recèle ou provoque.
Le secret professionnel en CHRS ? Pas du tout prévu... au départ.
La lecture des débats à l'Assemblée Nationale lors de la première séance du 24 janvier 2014 fut éclairante, voire déstabilisante. Ainsi, il apparaît nettement que ce qui est recherché à ce stade des débats n'est pas l'extension du secret professionnel aux personnels des CHRS. Ce qui est visé, c'est la protection par le biais de l'immunité pénale des CHRS et des personnels qui y travaillent. L'article alors examiné ne mentionne nulle part le secret professionnel. Le voici dans sa version du 24 janvier 2014 'Voir à ce sujet l'article 11A accessible sur http://www.senat.fr/leg/pjl13-321.html ) :
"La section 3 du chapitre VII du titre II du livre II du code pénal est complétée par un article 227-11-1 ainsi rédigé : « Art. 227-11-1. - La responsabilité pénale des centres mentionnés à l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles et des personnels qui y travaillent ne peut être engagée pour l'un des délits de la présente section lorsque la personne hébergée bénéficie d'une ordonnance de protection avec une mesure de dissimulation d'adresse ou en cas de très grand danger. »"
Les débats s'organisent donc autour de cette proposition. Sébastien Dénaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, précise que l'amendement proposé « vise à protéger les CHRS d’éventuelles poursuites judiciaires fondées sur cette prétendue complicité de délits portant atteinte à l’exercice de l’autorité parentale. (...) il protège les CHRS, qui remplissent un rôle nécessaire, des poursuites pénales pour non-représentation d’enfants. La commission est favorable à son adoption. »
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre, donne un exemple « Pour y voir encore plus clair, le mieux est de prendre l’exemple d’une situation qui s’est déjà produite et a suscité une vive émotion. Un CHRS a été l’objet d’une plainte, émanant de l’agresseur d’une femme hébergée. Celui-ci accusait le centre d’être complice du délit de non-représentation d’enfant parce qu’il maintenait la confidentialité de la domiciliation de cette femme et de son enfant. Il s’agit de l’affaire SEDIRE, jugée par le tribunal de Dunkerque au mois de juillet 2007. Le centre en question a finalement été relaxé mais cela nous incite tout de même à protéger les CHRS de ces procédures judiciaires coûteuses, qui les fragilisent alors qu’ils accueillent des femmes victimes de violences et que la protection qu’ils peuvent leur offrir passe, notamment, par le maintien de leur anonymat. »
Les poursuites de ce type sont des affaires extrêmement rares au regard du nombre de femmes avec enfant accueillies dans les CHRS. Il a fallu trouver une affaire datant de 2007 pour que la ministre puisse justifier de la création d'une telle sécurisation des établissements et personnels. Et encore, l'affaire montre que l'établissement a été relaxé, preuve que le cadre légal était satisfaisant. Sans compter qu'avec cette relaxe, il existait une jurisprudence en la matière rendant encore plus incertaine une nouvelle tentative de poursuite... Mais, après tout, l'idée ne faisait pas de mal, elle semblait devoir apaiser le sentiment d'insécurité pour certains professionnels : l'amendement fut adopté par l'Assemblée. Le texte se retrouva devant le Sénat quelques semaines plus tard.
Et là, patatras ! Dans son Rapport n° 443 (2013-2014) de Mme Virginie KLÈS, fait au nom de la commission des lois du Sénat et déposé le 9 avril 2014 (http://www.senat.fr/rap/l13-443/l13-4438.html#toc110), cette commission précise d'abord avoir bien saisi et partager les objectifs de l'article soumis aux débats. Elle note qu'il « vise à protéger les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) accueillant des femmes victimes de violences conjugales de toutes poursuites pénales pour complicité d'atteinte à l'exercice de l'autorité parentale (refus de représentation d'enfant, etc.) lorsque la victime bénéficie d'une ordonnance de protection avec une mesure de dissimulation d'adresse ou qu'elle se trouve en situation de très grand danger ». Mais la commission soulève aussi un risque fort d'invalidation du texte par le Conseil Constitutionnel qui, comme la Cour de Cassation, considère comme devant rester tout à fait exceptionnel un régime d'immunité pénale, lequel constitue une atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi pénale.
Le secret professionnel en CHRS apparaît !
La commission propose alors de parvenir au même résultat (empêcher des poursuites contre les personnels des CHRS) mais par des moyens différents : en inscrivant un amendement soumettant au secret ces personnels et autorisant les échanges d'informations. Le Sénat suivra cette proposition, en modifiant simplement l'article du code de l'action sociale et des familles où le complément fut ajouté : la commission préconisait un ajout au L345-2-10 du CASF, le Sénat choisit de manière logique de compléter l'article L345-1.
Les constats concernant l'intérêt du législateur pour le secret dans cette affaire sont simples :
Le secret professionnel en CHRS est issu d'un subterfuge visant à empêcher des poursuites envers ces établissements dans des situations très limitées.
Ce texte visait à éviter un blocage constitutionnel possible.
L'idée de soumettre les personnels des CHRS au secret est une version tardive dans le parcours du texte de loi.
Il ne vise donc qu'indirectement à protéger les personnes accueillies, qui ont peu été au centre de la discussion des parlementaires.
Et pourtant, ce sont les informations concernant ces personnes dont il s'agit...
Le secret professionnel et l'éthique du partage d'information dans les équipes
La Fiche consacrée au 345-1 du code de l'action sociale et des familles aborde plus précisément cette question. Rappelons qu'au sein d'une équipe d'un CHRS, nous pouvons avoir des professionnels et des fonctions différentes : infirmier, assistante sociale, psychologue, éducateur, secrétaire... Chacun peut recueillir une part de la parole et des informations. On ne dit pas la même chose à un psychologue qu'à l'infirmier et sans doute que les personnes ne souhaitent pas toujours voir certaines des informations confiées circuler de l'un à l'autre des membres du personnel. La personne accueillie ne peut être écartée de cette question. Les nouvelles dispositions relatives au secret professionnel en CHRS viennent donc renforcer l'exigence éthique des équipes exerçant en CHRS quant à leurs pratiques en la matière.
On mesure ici que si la loi du 4 aout 2014 a peu pensé la question du secret professionnel en tant que tel, elle n'en a pas moins de profondes conséquences. Et, au fait, qu'en est-il de l'exposition des professionnels à des risques de poursuites ?
Le secret professionnel en CHRS expose les personnels à des risques nouveaux
Le texte de loi atteint-il ses objectifs quant à la réduction des risques de poursuites envers les personnels, argument central invoqué pour créer ce texte ? Nous pouvons poser l'hypothèse qu'en réalité, la décision du législateur augmente la zone de risque de poursuites. Ceci non seulement pour les professionnels des CHRS accueillant des personnes mises en protection en leur sein suite à des violences conjugales, mais aussi pour tous ceux qui travaillent dans ces structures, quel que soit les publics accueillis et les problématiques rencontrées.
Certes, les situations tout à fait exceptionnelles et rarissimes (combien de cas recensé hormis Dunkerque en 2007 ?) où une plainte est déposée contre un CHRS pour « complicité de non présentation d'enfant », qui allaient vers une impasse hier continueront à y aller demain. Je pense qu'ici, mis à part la satisfaction et la sécurisation de certains acteurs par cette mesure, rien d'autre n'a été gagné. Par contre, en soumettant au secret professionnel les personnels des CHRS, il a d'abord été augmenté leur exposition à des risques de poursuites pour violation du secret professionnel. Cette infraction pénale, punie d'un an de prison et 15 000 euros d'amende, dont est passible tout professionnel qui viole le secret, pourrait devenir un sujet de tension. Rappelons qu'en matière pénale, la responsabilité est individuelle. Ce n'est pas le CHRS en tant que personne morale qui assumera la responsabilité de la violation commise par le professionnel. Ainsi, demain, un partage d'information avec un tiers externe par le professionnel est potentiellement passible de poursuites. Lorsque l'on sait le nombre d'acteurs avec lesquels les équipes des CHRS travaillent autour des situations des personnes accueillies, cette question n'est pas anodine.
Un autre exemple : comment travailler avec le père d'enfants qui sont accueillis avec leur mère au sein du CHRS ? Va-t-il falloir « blinder » les informations au point que la communication avec lui, pourtant parfois pertinente dans l'intérêt des enfants et même de la femme accueillie, en devienne impossible ? Le contact qui deviendrait, là où il est aujourd'hui possible et opportun, impossible contriburea t-il à apaiser certaines tensions (lorsque le contact le permet) ou augmentera t-il l'incompréhension, la colère, l'agressivité, voire le passage à l'acte envers les personnes accueillies et les équipes ?
Voici quelques questions qu'un véritable débat sur l'instauration du secret professionnel aurait pu aborder. Histoire de réfléchir à ce qui est un changement important...
Le secret professionnel en CHRS, un changement culturel majeur
Il faut en effet mesurer le changement culturel que représente cette nouveauté juridique qu'est le secret professionnel dans le fonctionnement d'une équipe et de chacun des personnels. Il va falloir réfléchir à ce que cela implique, réinterroger les traditions et habitudes. Ce n'est pas rien de passer d'une culture construite sur les notions de discrétion et confidentialité, à celle de l'information à caractère secret. Pas simple non plus d'envisager que les niveaux de conséquences pour des circulations inopportunes d'informations, hier passibles dans le pire des cas de sanction administrative, voire de poursuites au civil, sont dorénavant en plus de ces différentes formes de suites, passibles de condamnation au pénal. Et c'est un nouvel équilibre qui doit voir le jour au sein des équipes. Là où quelques acteurs seulement étaient jusqu'alors soumis au secret (infirmier, assistante social), c'est dorénavant toute l'équipe qui le devient. Le risque existe que l'on confonde le fait d'être tous soumis au secret avec le fait que l'on ne doit plus rien taire au sein des services... Au contraire, chacun étant soumis au secret, la question des non-circulations d'informations se pose avec plus de force encore !
Il y a donc un enjeu de réflexion pour mener au mieux cette transition dans laquelle se retrouvent les acteurs des CHRS sans avoir été associés à une réflexion avant le vote de la loi. Un manque de réflexion qui a aussi pour conséquence l'utilisation dans le texte d'un terme qui n'aide pas à y voir clair.
Une confusion des termes regrettable
En soumettant les personnels des CHRS au secret professionnel, le législateur n'a pas suffisamment réfléchi à la portée du terme utilisé : « informations confidentielles ». Au regard de la jurisprudence, les informations concernant la vie privée, l'intime et plus largement tous ce qui a été vu, entendu, compris ou deviné sont devenues des « informations à caractère secret ».
Ainsi, lorsque le législateur autorise les professionnels soumis au secret à partager des informations, il utilise clairement l'expression « informations à caractère secret ». Par exemple, en prévention de la délinquance, l'article 121-6-2 du CASF prévoit que sous certaines conditions « les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille sont autorisés à partager entre eux des informations à caractère secret ». En protection de l'enfance, l'article 226-2-2 du CASF précise que, sous certaines conditions, les professionnels « sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret (...)».
Le législateur ne s'étant pas vraiment attardé sur la question du secret professionnel dans ce cas, il n'en a donc pas mesuré la conséquence jusque dans les termes même qu'il a employé pour rédiger son texte. En effet, la confidentialité des informations existe déjà au sein des CHRS. Elle est prévue par l'article 311-3 du CASF (abordée aussi dans la fiche L'article 345-1 du CASF commenté). En utilisant le terme de confidentiel, le législateur lance un signal trompeur aux équipes : rien de changé par le secret professionnel puisque les informations ont le même statut ("confidentiel") qu'auparavant !
Que faire de ce texte bâclé ? L'utiliser !
La Loi du 4 août 2014 accouche d'un secret professionnel qu'il convient de penser puisque le débat ne l'a pas permis. Aux professionnels maintenant d'en tenir compte et d'en tirer parti. Ce texte doit être l'occasion de mieux travailler les circulations d'informations, dans le respect des personnes accueillies. Les équipes ont de la ressource et cette question a été l'objet d'échanges et réflexions par certaines sans attendre ce texte... inattendu. Je suis sûr que ce complément à l'article L345-1 du code de l'action sociale et des familles recèle des utilisations potentielles tout à fait étonnantes et intéressantes.