Chaque réforme du code de l’entrée et du séjour prévoit son lot de restrictions de la vie privée des migrants et du secret professionnel sensé, comme pour tout un chacun, les protéger.
La loi Collomb du 10 septembre 2018 ne déroge malheureusement pas à la règle. Ainsi en est-il de son article 13 qui prévoit que le SIAO « communique mensuellement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la liste des personnes hébergées » au titre de l’hébergement d’urgence « ayant présenté une demande d'asile ainsi que la liste des personnes ayant obtenu la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. » Elle fait suite à la désormais tristement célèbre circulaire du même ministre –en date du 12 décembre 2017- par laquelle il demandait aux préfets de constituer des équipes chargées de se rendre dans l’ensemble des structures d’hébergement d’urgence afin de recueillir des informations sur la situation administrative des personnes qui y sont accueillies.
La même loi prévoit à son article 56 que, dans le cadre de la régularisation des étrangers malades, les médecins du ministère de l’Intérieur (OFII) puissent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de leur mission «sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale ». On peine à imaginer qu’un étranger qui demande à être régularisé puisse refuser que son médecin délivre ces informations médicales.
Que dire surtout de l’article 51 du même texte qui prévoit de nombreuses formes de partage entre les professionnels de la protection de l’enfance et les préfectures en ce qui concerne les mineurs isolés étrangers « afin de mieux garantir la protection de l'enfance et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France » (sic).
Pour ce faire un fichier est mis en place par un décret du 30 janvier 2019 collectant diverses informations dont les empreintes digitales et photographie des intéressés. Ce fichier partagé est accessible aux agents des préfectures, aux procureurs ainsi qu’aux «agents en charge de la protection de l'enfance du conseil départemental compétent, individuellement désignés et spécialement habilités par le président du conseil départemental ».
De la même manière l’article R. 611-12 relatif au fichier AGDREF (fichier des étrangers tenu par les préfectures) est modifié pour le rendre désormais accessible «pour les besoins exclusifs de l'évaluation [de la minorité et de l’isolement, aux] agents chargés de la mise en œuvre de la protection de l'enfance, individuellement désignés et spécialement habilités par le président du conseil départemental. »
A ces confusions entre travail social et contrôle des flux migratoires par voie légale, s’ajoutent de fréquentes pratiques irrégulières visant à faire sauter les derniers verrous du secret professionnel les protégeant encore.
Prenons le récent exemple d’une demande effectuée à un centre maternel francilien par le service des étrangers de la préfecture du Nord. « Conformément aux dispositions des articles L. 611-12 et R. 611-41-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile (CESEDA) instituant un droit de communication au profit du préfet de département dans le cadre de la vérification du droit au séjour des étrangers, je vous adresse la demande de renseignement suivante… ». Et d’interroger ledit centre sur la situation d’un enfant pris en charge.
En réponse nous invitons la préfecture concernée à relire les articles sur lesquels elle appuie sur sa demande. Certes la loi Valls de mars 2016 prévoit que « sans que s’y oppose le secret professionnel autre que le secret médical » de nombreuses autorités transmettent à la préfecture, « agissant dans le cadre de l'instruction d'une première demande de titre ou d'une demande de renouvellement de titre ou dans le cadre des contrôles prévus […], les documents et les informations nécessaires au contrôle de la sincérité et de l'exactitude des déclarations souscrites ou au contrôle de l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution d'un droit au séjour ou de sa vérification ». Les autorités visées sont expressément citées : les autorités dépositaires des actes d'état civil ; les administrations chargées du travail et de l'emploi ; les organismes de sécurité sociale ; les établissements scolaires et établissements d'enseignement supérieur ; les fournisseurs d'énergie et des services de communications électroniques ; les établissements de santé publics et privés ; les établissements bancaires et des organismes financiers et enfin les greffes des tribunaux de commerce.
Or un centre maternel est un établissement social qui relève des articles 222.5 et 312.1 du Code de l’action sociale et des familles et n’a rien à voir avec les établissements et services visés par la disposition précitée du Code des étrangers. Sauf à considérer que les centres maternels qui tendent à remobiliser des mères en grande détresse sont considérés comme « fournisseurs d’énergie » !
Bref, inviter un établissement intervenant dans le cadre d’une mission d’aide sociale à l’enfance –et donc soumis au secret professionnel (article 221.6 du code de l’action sociale et L.226.13 du Code pénal)- à commettre une infraction pénale pourrait conduire à deux infractions. Une visant celui qui répondrait à la demande qui lui est faite et l’autre, qui par extension, pourrait viser celui qui pourrait être considéré comme fautif de recel de violation du secret professionnel.