Par une note du 10 février 2017 relative à la prise en charge éducative des mineurs radicalisés ou en danger de radicalisation violente, le Ministère de la Justice apporte quelques clarifications sur l’application du secret professionnel aux professionnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Il faut dire que le décret de 2013 que nous commentions ici laissait planer certaines incertitudes. La loi du 26 janvier 2016 en a levé une en étendant à l’ensemble des services sociaux et medicosociaux les exigences de respect du secret professionnel (voir à ce propos http://secretpro.fr/blog/proscret/appel-chantier-national-secret-profess...) : ce qui englobe désormais le secteur habilité qui échappait au décret précité assujettissant le seul secteur public au secret professionnel.
Depuis, la pression très forte sur les professionnels de la PJJ sur les questions de radicalisation obligeait à des positionnements précis du ministère de la Justice sur la marge des professionnels et les postures que doivent ou peuvent tenir les référents laïcité et citoyenneté au cœur de ces enjeux.
A défaut d’une circulaire cadre sur le secret professionnel à la PJJ dans toute sa dimension (1), la note du 10 février apporte des précisions juridiques quant aux questions que la radicalisation pose. En annexe à cette note, deux pages très précises sont consacrées au secret professionnel et au partage d’informations.
Ainsi nous retiendrons quelques phrases clés qui pourraient d’ailleurs s’appliquer à d’autres institutions :
-« Ainsi seule la loi (et non leurs collègues ou supérieurs hiérarchiques) peut obliger des professionnels ou les autoriser à révéler l’information secrète recueillie dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leur profession ». Cette interprétation stricte de l’article 226.14 du code pénal sur le secret professionnel, qui n’a d’ailleurs pas toujours été respecté au sein de cette administration, s’appliquerait aisément à diverses institutions qui, au nom du pouvoir hiérarchique, entendent délier des professionnels qui y sont soumis.
-Dans le même esprit « aucun texte législatif ne permet le partage d’informations secrètes (voire « confidentielles ») auprès des cellules territoriales de suivi créées par voie de simple circulaire du ministère de l’Intérieur du 29 avril 2014 (….) En effet il convient de rappeler qu’une circulaire n’a aucunement valeur de loi… ». Pour avoir rédigé une thèse de 1400 pages sur les circulaires administratives (même pas citée en bas de page…sniff !), on soutiendra avec vigueur cette assertion ! Et nous rappellerons avec une pointe de malice non cachée que le ministère de la Justice a dérogé de nombreuses fois à ce principe de la hiérarchie des normes. Doit-on rappeler la circulaire Taubira sur les Mineurs Isolés Etrangers ? Celle de Cabourdin sur la fin de l’intervention de la PJJ au civil ? Ou celles relatives au trinôme judiciaire (dites instances tripartites PJJ-Parquet-siège) récemment réactivé.
Alors du coup dans quel cas les professionnels de la PJJ peuvent-ils ou doivent-ils lever le secret professionnel face à un risque de radicalisation ?
Les échanges légaux
La circulaire rappelle les hypothèses légales de partage issues des deux lois de mars 2007. Si la radicalisation met en danger un enfant le partage avec la CRIP ou le parquet s’appuie sur une base légale, la loi de protection de l’enfance de 2007. Il en est de même entre professionnels d’action sociale au sens de l’article 121.6.2 du CASF (loi prévention de la délinquance - voir cet article commenté car il est trop souvent interprété de façon érroné).
Autre cas de figure cité, prenant appui sur la même loi, le partage pourrait avoir lieu au sein des CLSPD en s’appuyant sur les chartes type de partage d’informations, lesquelles doivent elles aussi respecter le cadre fixé par l'article 121-6-2 du CASF.
Enfin la circulaire cite un partage en vertu des articles 132.5 et 132.10 du code de sécurité intérieure en particulier au sein des états-majors de sécurité et des zones de sécurité prioritaires.
La circulaire aurait d’ailleurs pu ajouter l’hypothèse de la connaissance par un professionnel de la dangerosité d’une personne détenant une arme ou susceptible d’en acquérir une (art.226.14 du code pénal).
Les échanges illégaux
La PJJ et ses référents participent aux cellules préfectorales précitées. Avec quelle marge de manœuvre ?
Il est rappelé qu’ils peuvent :
- recueillir des informations auprès des membres de la cellule
- donner des conseils sur des orientations éducatives du fait de leurs connaissances des dispositifs pénaux et civils territoriaux
- faire savoir si la situation est connue d’eux ou non. On peine toutefois à imaginer qu’il ne sera pas précisé si cette connaissance s’est faite au civil (particulièrement dans le cadre d’une MJIE) ou pénal.
A contrario toutes autres informations seraient illégales. Ainsi «aucune pièce, rapport éducatif ou document nominatif ne doit être adressé à des autorités autre que judiciaire ». Entendre ici le magistrat saisi de la situation ou le procureur, qui pourra, lui, décider de ce qu’il transmettra au préfet.
Reste que la circulaire n’évoque pas la question de l’information au mineur et à ses représentants légaux de la transmission au procureur, puis entre celui-ci et le préfet.
Les échanges incertains
Avec une rare franchise, le ministère de la Justice fait part de son incertitude quant aux échanges entre la PJJ et les services de renseignement intérieur au regard de l’article 863.2 du code de sécurité intérieure. Cet article de loi prévoit en effet de manière générale le partage entre les administrations d’Etat et les services de renseignement, ce qui engloberait donc a priori la PJJ. Sauf que, cet article ne précisant pas expressément qu’il déroge à l’article 226.13 du Code pénal, peut-il s’appliquer à un service assujetti au secret professionnel ? Il y a donc « lieu de se poser la question » de son application à la PJJ.
Pour une circulaire ayant pour objectif affiché de « fixer les règles de fonctionnement des services et commenter ou orienter l’application des lois et règlements » on peut mieux faire.
Christophe DAADOUCH
Note :
(1) Seuls les partages ASE/PJJ font l’objet de recommandations : celles de l’ANESM de décembre 2015. Mais quid des relations entre la PJJ et l’administration pénitentiaire, les missions locales, l’éducation nationale, les services sociaux polyvalents, les services de santé etc… ?