Secret professionnel : de la nécessité de faire évoluer la déontologie pour renforcer l’éthique

Avertissement : Ce texte est paru en décembre 2012 dans le n°247 de la Revue Française de Service Social consacrée au thème Ethique et déontologie dans les nouveaux contextes (voir pages 110 à 118). Il constitue une réflexion relative au code de déontologie de l'ANAS, et à sa réactualisation qui me semblait plus que nécessaire. Aujourd'hui, avec les multiples élargissements du secret professionnel qui se sont ajoutés depuis la rédaction de cet article, il me paraît toujours et plus encore d'actualité.... L'article en pdf est téléchargeable ici.

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L’actuelle version de notre code de déontologie, la quatrième depuis sa création en 1950, a été adoptée en 1994. Cette même année, le Nouveau code pénal voyait le jour. Il y aura donc bientôt vingt ans que ces textes de référence pour les professionnels, notamment en matière de secret professionnel, se côtoient et servent de support au positionnement professionnel des assistants de service social. Cependant, si le texte du code de déontologie reste inchangé depuis 1994, c’est loin d’être le cas pour le cadre légal du secret professionnel.

Mon objectif vise à montrer combien l’évolution de la société dans ses attentes, sa confiance ou défiance en les professionnels, l’importance de la question de la sécurité dans le débat public et la décision politique, la multiplication du partenariat ainsi que des cadres contractualisés voire de contraintes ont fortement modifié le contexte dans lequel nous évoluons. La conclusion que j’en tire, c’est la nécessité d’actualiser et de rendre plus opérationnel le code de déontologie concernant la (non)circulation des informations. Car être soumis au secret professionnel en 2012 ne veut pas dire la même chose qu’en 1994.

Cet article est donc autant une analyse qu’une invitation à débattre de l’actualité et de l’actualisation du code de déontologie. Dans un premier temps, je reviendrai rapidement sur l’interaction entre déontologie, éthique et secret dans le nouveau contexte social. Il s’agit de dire et redire que l’éthique a besoin de références professionnelles fortes pour fonder ses choix. Je poursuivrai en rappelant les articles du code relatifs au secret et partage d’informations. Je montrerai ensuite l’évolution du cadre légal en matière de secret professionnel, afin de bien mesurer ce qui a été modifié, par petites touches successives. Afin de dépasser le décalage qui apparaît entre pratique réelle et texte du code, je terminerai en proposant qu’un travail sur le code de déontologie s’ouvre à nouveau.

 

« Ethique », « droit », « institution », « usager » et « déontologie » au présent

« Ma place m'est assignée, la hiérarchie des préférences me transforme, de fuyard ou de spectateur désintéressé, en homme de conviction qui découvre en créant et crée en découvrant. »  Paul Ricoeur

Afin de mieux cerner la place de la déontologie comme référence essentielle pour le professionnel, je vais tout d’abord rappeler ce qu’est l’éthique. Nous sommes au quotidien confrontés à des situations complexes, marquées par des particularités qui les rendent singulières. Si, parmi nos références, nous disposons de nombre de « textes-cadres », il est fréquent qu’aucun de ces textes ne suffise à donner la réponse à la situation concrète de la personne que nous rencontrons. La technique que nous développons dans notre pratique n’est pas pré-écrite. C’est bien au professionnel de faire des choix dans son positionnement, dans l’utilisation de telle ou telle référence, afin de choisir et mettre en œuvre un type d’intervention respectueux de la personne et contribuant à produire une nouvelle situation, une meilleure situation.

L’éthique n’est donc pas le résultat de notre action mais un processus de questionnement permanent des actes professionnels posés au regard des valeurs qui nous fondent et des finalités de notre action. Ainsi, l'éthique est une affaire à la fois personnelle (les choix qui sont faits sont les miens) et collective. Collective parce que, pour fonder nos choix, nous nous référons à des repères extérieurs. Ces derniers ne sont pas là pour s'y conformer obligatoirement : ces repères servent pour construire notre réponse, qui peut être différente de celle que préconise la référence extérieure. J’insiste : quel texte pourrait donner la bonne réponse à toutes les situations que nous rencontrons ?

Un des repères pour l’éthique, c’est le cadre commun que constitue la loi. Bien que l’immense majorité de nos actes soient compatibles avec ce cadre, nos choix découlant de notre éthique ne peuvent se situer toujours et partout dans le cadre légal. Sinon, dans certains cas, nous risquons de restreindre notre marge de manœuvre aux dépens de la personne et de la société. De plus, la pratique hors-cadre légal représente un intérêt pour produire la loi future, qui viendra légaliser et valider des pratiques pertinentes et laisser de côté celles qui n’ont pas montré leur utilité. Nous devons tenir compte du cadre légal sans en faire un horizon sacré, intouchable et indépassable.

Autre repère pour notre pratique, le cadre institutionnel et les demandes explicites et implicites qui en émanent et viennent mettre en tension notre situation au sein de l’organisation. Cet autre cadre de référence peut provoquer des conflits avec le cadre légal, où la déontologie des professionnels, où la demande des usagers, voire les trois (1). Si les demandes institutionnelles visent à parvenir à des objectifs d’aide, la philosophie de l’aide que développe l’institution et/ou des contraintes fortes (budgétaires, gestionnaires) peuvent teinter ces demandes jusqu’à produire des résultats paradoxaux : une réponse qui renforce la difficulté des personnes qu’elle est censée aider. Et dans certains cas, nous avons observé une volonté d’utiliser l’éthique pour renforcer la cohésion interne de l’institution et balayer des questionnements qui peuvent gêner. A travers des chartes, l'éthique peut ainsi être invoquée et servir d'outil pour diffuser une idéologie institutionnelle : l'éthique institutionnelle, un produit maison qu’il convient d’apprécier avec précaution, notamment quand elle vise à se substituer à l’éthique des professionnels. Enfin, au sein de l’institution, on peut se trouver en désaccord avec nos pairs. La pression à la conformité au sein des groupes, les enjeux de pouvoir qui peuvent le parcourir ne sont pas les moindres des tensions que le professionnel doit gérer.

La société, les Lois et les institutions tendent à produire des « vérités incontestables »: le partenariat et/ou le travail en équipe comme modes de travail valorisés et recommandés, le partage des informations comme forcément positif, la volonté de ne pas prendre de risque qui provoque l’injonction à tout voir-savoir-transmettre, la tentation bureaucratique et l’illusion de la maîtrise. L’invitation à dire est aujourd’hui plus forte, beaucoup plus forte qu’en 1994.

Devant les cadres forts de référence que produisent la loi et les organisations (avec une dimension hiérarchique qui peut peser), les professionnels peuvent se trouver fragiles, voire faibles. Devant la demande des usagers, qui vont légitimement souhaiter ou pour le moins attendre de nous des actes d’aide, nous pouvons nous trouver en situation compliquée si cette attente légitime est rendue sans espoir par ces cadres. Nos positionnements, construits sur nos éthiques respectives, peuvent parfois converger et se conjuguer, mais aussi nous éloigner et nous diviser. D'où l'importance pour les professionnels de disposer d'un code de déontologie de leur profession, c'est à dire dépassant le cadre de leur institution, fondant une identité entre pairs au-delà des frontières institutionnelles (2) et construite sur des valeurs propres à la profession.

Le code est aussi une question d’efficacité. La première présidente de l'ANAS, Ruth Libermann, écrivait en 1951 :

"Notre dépendance administrative rend plus immédiatement nécessaire (…) un code de déontologie. Quelle tentation d'utiliser des « gens qu'on paie » même pour des tâches qui ne sont pas les leurs et qui risquent de dénaturer leur profession au point de la rendre très vite inefficace, parce que discréditée sur le terrain même qui la faisait profondément constructive : la confiance obtenue (par l'assistante sociale) grâce à la confiance du client." (3)

 

Le code, le secret, le partage

Le code de déontologie aborde autant la question du secret que celle du partage d’informations. Précisons d’ores et déjà, avant d’y revenir dans la partie suivante, que le code a été réalisé à un moment ou la levée du secret n’est possible que dans très peu de cas. Notre code a donc été construit dans un cadre légal sécurisant. A tel point que, comme nous allons le voir, le code organise des possibilités de partage permettant de travailler mieux par des actes illégaux correspondant alors à des violations du secret professionnel (4).

 Ce cas de figure existe par exemple dans l’article 18 : 

- Art. 18  "La situation de l’usager impose souvent la nécessité soit d’une concertation interdisciplinaire, soit de faire appel à un dispositif partenarial mettant en présence des acteurs sociaux diversifiés ou de multiples institutions. L’Assistant de Service Social  limite alors les informations personnalisées qu’il apporte aux seuls éléments qu’il estime strictement indispensables à la poursuite de l’objectif commun, dans le respect des articles 11 et 12 du présent Code."

On voit ici que l’idée de révélation des informations personnalisées, même si elle est limitée aux éléments « strictement indispensables à la poursuite de l’objectif commun » peuvent être des informations à caractère secret. D’ailleurs, en 1994, les seules dérogations au secret professionnel concernent la révélation d’informations à une autorité administrative, judiciaire ou médicale, excluant de fait le partage au sein d’une instance partenariale entre pairs. Certes, il est fait mention des articles 11 et 12 comme conditions associées à ce partage :

- Art. 11  "L’Assistant de Service Social  doit rechercher l’adhésion des intéressés à tout projet d’action les concernant, en toutes circonstances et quelle que soit la façon personnelle dont ils peuvent exprimer leur adhésion."

- Art.12  "L’Assistant de Service Social  informe les intéressés des possibilités et des limites de ses interventions, de leurs conséquences, des recours possibles."

L’article 11 parle d’une recherche d’adhésion, ce qui ne signifie pas nécessairement l’obtenir. Mais quand bien même il y aurait adhésion au partage, le secret professionnel étant d’ordre public, il ne peut être levé par la personne elle-même.  L’article 12 est important lui aussi car il permet à la personne de faire un choix éclairé. Mais sa décision ne peut être supérieure au cadre légal.

Voilà donc une situation paradoxale, au moins en droit, puisque ces articles se situent après les articles 2 et 3 qui affirment bel et bien la soumission au secret professionnel de l’assistant de service social :

Art. 3  "De la confidentialité - L’établissement d’une relation professionnelle basée sur la confiance fait de l’Assistant de Service Social  un « confident nécessaire » reconnu comme tel par la jurisprudence et la doctrine."

Art. 4  "Du secret professionnel - L’obligation légale de secret s’impose donc à tous les Assistants de Service Social  et étudiants en service social, sauf dérogations prévues par la loi."

Cependant, cette situation est tout à fait compréhensible pour l’époque. Il s’agissait de dégager des marges de manœuvres au-delà du droit, pour rendre déontologiquement possible un meilleur service social dans certaines situations. Le cadre restrictif du secret professionnel constituait alors un garde-fou qui permettait en théorie de protéger la personne contre des dérives professionnelles (intervention du professionnel contraire à la volonté et à l’intérêt de la personne par exemple) volontaires ou imposées.

Mais lorsque le cadre légal du secret professionnel et le contexte évoluent, quelle conséquence pour la déontologie ? Il est temps d’examiner l’évolution législative depuis 1994 en matière de secret.

 

Cadre légal du secret : la lente déliquescence

Une rapide comparaison entre le cadre légal de 1994 et 2012 montre deux aspects notables

- Le premier est le fait que le seul cas d’obligation pénale de levée du secret reste inchangé : il s’agit des cas d’assistance à personne en péril (art. 223-6 du code pénal). C’est bel et bien la seule obligation pénale de levée du secret. Il convient d’insister sur ce fait trop souvent méconnu. 

- Le second est une extension des exceptions dépénalisant et autorisant (sans pour autant obliger) la transmission d’informations sous certaines conditions. C’est ce mouvement d’élargissement des exceptions qui apparaît sans fin.

L’article 226-13 du code pénal, qui prévoit comment on est soumis au secret et quelles sanctions encourent ceux qui ne le respectent pas, n’a pas évolué. Par contre, l’article 226-14 du dit code a connu entre 1994 et 2007 pas moins de sept versions. Concernant directement les assistants de service social, parmi ces modifications introduites, nous trouvons : extension des situations permettant la transmission à une autorité via l’ajout des atteintes sexuelles dans la version du 18 juin 1998 ; extension des publics concernés via l’ajout des personnes potentiellement dangereuses et potentiellement détentrices d’une arme dans la version du 19 mars 2003 ; extension des catégories d’âge concernées via le passage des mineurs de 15 ans à tous les mineurs dans la version du 3 janvier 2004 ; ajout d’une nouvelle catégorie de faits concernés (les mutilations sexuelles) dans la version du 5 avril 2006… 

Du côté du code de l’action sociale et des familles, trois ajouts d’articles par deux lois du 5 mars 2007 ont confirmé la tendance à « l’ouverture » de la boite à secret

Le premier, l’article L226-2-2 autorise le partage entre professionnels dans le champ de la protection de l’enfance. Il pose des conditions strictes (partage entre professionnels soumis au secret et relevant du champ de la protection de l’enfance) et fixe l’obligation d’information préalable des usagers. Le but doit être d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Enfin, les informations partagées doivent être strictement limitées à ce qui est nécessaire. Si ce dernier terme n’autorise pas tout partage, il ouvre néanmoins sur quantité de possibles aux frontières floues. Je précise que l’A.N.A.S. a soutenu la création de cet article.

Le second, l’article L226-2-1 pose comme principe la saisine du président du conseil général pour toute information préoccupante concernant un mineur. Il abaisse ainsi le seuil des types d’informations autorisées à être transmises à l’autorité administrative qu’est le PCG, là où l’article 226-14 du code pénal exige une catégorie de faits plus graves que la simple information préoccupante. Mais notez bien que malgré sa formulation, cet article ne crée pas de nouvelle obligation, comme le montrent les juristes Laure Dourgnon et Pierre Verdier (5).

Enfin, le troisième article est le L126-2-1 du CASF. Il crée une obligation d’information du Maire dans certaines circonstances et la possibilité de partager des informations avec le coordonnateur désigné par le Maire pour suivre la situation d’une personne. L’information de la personne concernée n’est absolument pas prévu, alors qu’il s’agit officiellement de l’aider. Adopté dans le cadre d’une loi sécuritaire dite de prévention de la délinquance le 5 mars 2007, cet article n’a fort heureusement jamais véritablement trouvé de déclinaison opérationnelle sur le terrain.

Ajoutons à cela :

- l’article 60-1 du code de procédure pénale, créé par la loi du 9 mars 2004, qui autorise la remise de copie de documents administratifs sans attendre de commission rogatoire d’un juge et sans pouvoir, sauf motif légitime, y opposer le secret professionnel ; 

- l’article L441-2-3  du code de la construction et de l’habitat (6) créé par la loi dite DALO du 25 mars 2009, qui autorise la transmission d’informations dans le cadre des recours amiables…

Le juriste Bruno Py (7), observateur averti de l’évolution du cadre légal concernant le secret,  remarque en 2005, avant les lois de 2007, qu’« (…) en systématisant les exceptions et dérogations, le secret professionnel est aujourd’hui considérablement dévalorisé ». Laurent Selles, autre juriste spécialiste du secret professionnel se demandait en 2004 ce qu’il restait du secret (8)... Même interrogation de la part de Jean-Luc Rongé (9)  qui notait la frontière en cours de dépassement lorsqu’il affirmait que « L'entreprise de démontage des institutions protectrices de la vie privée et de certaines professions va bon train. L'adoption le 23 février dernier par les deux assemblées de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II sonne le glas du respectueux rapport existant depuis Napoléon entre certaines professions et la police. » Un constat qui ne s’applique pas qu’au secteur social. René Caquet, ancien doyen de la faculté de médecine Paris XI sud, montre dans son article Feu le secret médical (10) comment la même évolution est à l’œuvre du côté du médical. La multiplication des personnes soumises au secret professionnel a aussi élargi le nombre des acteurs concernés sans qu’ils mesurent toujours la portée et les devoirs qui en découlent. Le coordonnateur créé par la loi du 5 mars 2007 dite de prévention de la délinquance fut un des nouveaux venus sous la bannière « secret professionnel ». Et le nombre pourrait encore augmenter puisque nombre de professions le demandent (11). 

Ces modifications successives, la multiplication des acteurs soumis au secret par différentes « entrées » (fonction, mission, profession…) entraîne de la confusion dans les institutions. Nombre d’acteurs, des professionnels de travail social aux services juridiques ainsi que parmi les cadres et directeurs,  beaucoup ne sont pas au clair avec le cadre légal. Il est fréquent d’entendre que l’article 226-14 « oblige » à signaler alors qu’il autorise à signaler ou à ne pas signaler. Ils renforcent alors la tendance relevée plus haut, tendance que le juriste Bruno Py (12)  avait perçu en 2005, lui qui notait que « L’Etat, les pouvoirs publics, les médias, revendiquent souvent le « droit » de savoir, de connaître, de dévoiler. L’individu, isolé, est alors bien faible dans sa tentative de résistance aux curiosités du groupe. » Prolongeant son observation, j’ajoute que, comme celle de l’individu, la position du professionnel est fragilisée.

Un des constats que l’on peut faire se résume ainsi : devant un cadre légal qui a multiplié les possibilités de faire circuler transversalement (entre pairs) et verticalement (vers des autorités) des informations, et devant des organisations et tendances hiérarchiques à favoriser ces circulations, le code de déontologie a perdu de sa force en tant que repère opérationnel pour le positionnement des assistants de service social. Bien qu’il soit aussi libre aujourd’hui qu’hier de ne pas faire circuler une information (pas de nouveau cas d’obligation légale depuis 1994), la pression sociale et indirectement légale (par l’ouverture des autorisations de levée du secret) tendent à faire du secret un « objet faible », en tout cas affaiblie. Tenir une position de respect du secret aujourd’hui nécessite de résister à cette pression, renvoyant le professionnel à son éthique… et son endurance. 

Force est de constater que le Code de déontologie, dans sa version actuelle, offre un mode d’accompagnement des possibilités légales. Mais il manque, dans ses énoncés, d’affirmations constituant un socle favorisant une position qui ramène le secret et le respect de la personne dans ses choix au centre de la relation avec la personne. Une position qui n’est pas forcément dans l’air du temps, mais qui peut s’avérer nécessaire au travail social tel que nous le concevons.

La déontologie doit pourtant permettre au professionnel de travailler en cohérence avec les valeurs de la profession, profession qui a pour objectif d’aider des personnes. La déontologie doit donc permettre des marges de manœuvre, des possibilités de faire et de ne pas faire. Certes, les avis techniques de l’A.N.A.S. viennent compléter le code et servent de repères pour les professionnels. Mais un avis technique ou un communiqué est ponctuel, avec un fort risque d’être oublié sur la durée ou emporté dans un flux d’informations. Le code est lui permanent, stable dans la durée et peut être accessible à un plus large public. De ces qualités découle sa force et, par conséquent, l’importance d’un code servant au mieux une posture professionnelle.

Face aux tendances à l’œuvre, il est souhaitable de se remettre à l’ouvrage et faire évoluer une nouvelle fois notre texte de référence. 

Pour un code réactualisé

J’ai insisté sur la question du secret professionnel et du partage d’information. Ce n’est, à mon avis, pas le seul aspect qui est aujourd’hui ré-interrogé par l’évolution du contexte. Par exemple, la place prise par ce que l’on appelle l’aide contrainte, c’est à dire une aide qui ne résulte pas de la demande de la personne, voire parfois pas de son besoin, interroge aussi nos références déontologiques. Tout comme la fonction de contrôle qui tend à s’imposer et  dont traite l’article 15. Le terme de « race » est-il aujourd’hui pertinent, alors que ce terme est dépassé selon de nombreuses autorités ? Que penser aussi de l’article 7 qui traite de l’indépendance et de la liberté du professionnel dans les contextes actuels ? Le droit des usagers est-il intégré dans la version actuelle et, si non, devrait-il apparaître ? Quant à l’article 1, qui annonce que «Le respect de la personne fonde, en toute circonstances, l’intervention professionnelle de l’Assistant de Service Social. », n’est-il pas trop « fourre-tout » ? Le « respect de la personne » semble être devenue comme « l’intérêt de l’enfant », une expression « creuse », en tout cas insuffisante ?

Enfin, il existe aussi des manques. Pouvons-nous être à la fois accompagnateur et dans l’expertise sur la même situation, un cas de figure que le code de déontologie des médecins leur interdit ? C’est une question qui mérite débat, notamment en protection de l’enfance. 

Nous avons besoin de trouver dans le code un des repères forts de notre pratique, une référence qui soit un support pour notre questionnement permanent et nos choix éthiques. Si le code perd de sa pertinence au regard du contexte dans lequel nous évoluons, il perd de sa force. Ce sont non seulement les professionnels qui s’en trouvent affaiblis mais aussi la profession. Le code de déontologie, notre déontologie a aussi une fonction identitaire pour la profession. Il nourrit une culture professionnelle que nous partageons sans avoir besoin de nous connaître. Et cette culture met en tension les institutions, la législation, la société, pour les faire évoluer dans le sens de valeurs que nous défendons.

C’est pourquoi, après les bouleversements radicaux qui ont modifié le contexte dans lequel nous évoluons, le débat sur le code de déontologie m’apparaît nécessaire et constructeur d’un avenir pour une profession plus forte et des professionnels moins seuls. Nous devons poursuivre le chemin et la belle œuvre entamée en 1950, repris en 1981 et 1994.

Laurent Puech

Notes :

(1) Voir par exemple sur notre site la note du 10 juillet 2012 émise par les services du conseil général de la Loire et la réaction de l’A.N.A.S. dans son communiqué du 22 août 2012.  

(2) … et même nationale. La Fédération Internationale des Travailleurs Sociaux dont est membre l’A.N.A.S. produit des textes de référence déontologique pour l’ensemble des professionnels du monde.

(3) Citée par Cristina De Robertis, Méthodologie de l’intervention en travail social, Ed. Bayard, Paris, 2007, page 31.

(4) Le rappel de ce fait est utile face à ceux qui pensent que les AS refusent toute idée de partage d’informations…

(5) Voir « Le secret professionnel est-il opposable au Maire et au Président du conseil général ? », Journal du Droit des Jeunes – Revue d'Action Juridique et Sociale n°284, 2009.

(6) Extrait : « Par dérogation aux dispositions du même article 226-13, les professionnels de l'action sociale et médico-sociale définie à l'article L. 116-1 du code de l'action sociale et des familles fournissent aux services chargés de l'instruction des recours amiables mentionnés ci-dessus les informations confidentielles dont ils disposent et qui sont strictement nécessaires à l'évaluation de la situation du requérant au regard des difficultés particulières mentionnées au II de l'article L. 301-1 du présent code et à la détermination des caractéristiques du logement répondant à ses besoins et à ses capacités. »

(7) Le secret professionnel, Coll. La justice au quotidien, L’Harmattan, 2005, page 9.

(8) « Le secret professionnel : ce qu’il en reste… » Laurent Selles, 29 septembre 2004. http://www.travail-social.com/spip.php?page=imprimer&id_article=338 

(9) « Secret professionnel : ce qu’il en reste », Jean Luc Rongé, journal du droit des jeunes Revue d’action juridique et sociale, n°234, avril 2004.

(10) Article consultable sur le site http://www. espace-ethique.org/index.php 

(11) Les éducateurs, par la voix de l’Organisation Nationale des Educateurs Spécialisés (ONES). Et on peut penser que les psychologues seraient aussi intéressés par une soumission de leur profession au secret, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

(12) Op. Cit, page 7.