Promouvoir le secret professionnel deviendrait-il une posture anticonformiste ?

N’avez-vous jamais ressenti le malaise ambiant lorsque vous-même ou un de vos collègues explicite un positionnement professionnel basé sur le non-partage ou la non-transmission d’informations permettant un travail avec la personne ou la famille ? Est-ce un positionnement entendu et entendable par les encadrants ? L’institution favorise-t-elle une telle prise de responsabilité ?

Pourtant la confidentialité, la préservation de la vie privée, l’autonomie des professionnels et le fait d’être capable de se positionner de manière construite sont autant de principes fondamentaux en matière d’action sociale. Mon propos est donc de susciter la réflexion et le débat en démontrant succinctement en quoi le secret professionnel est bien souvent perçu comme un frein en repartant des évolutions majeures à l’œuvre dans le champ du travail social.

Une logique sécuritaire de réduction et de maîtrise des risques…

Nous pouvons faire le constat d’une certaine évolution du regard que porte la société sur les personnes les plus en difficulté. Le repli sur soi et la désignation de boucs-émissaires symptômes des dysfonctionnements de notre société ne sont pas sans incidences sur l’évolution des politiques sociales. Les discours sur l’assistanat et autres chasses aux fraudeurs (espèce rare et très recherchée) en sont une illustration.

Ainsi, le champ du travail social se voit envahit par une logique consistant à percevoir les personnes en difficulté comme des populations à risque qu’il faut « prendre en charge ». Nous parlons désormais de « risque de danger », « risque de passage à l’acte délinquant », etc.

En partant de là, il convient de penser des dispositifs d’aide qui vont permettre aux personnes d’être prise en charge. Mais avant, il faut repérer ces personnes et les signaler aux autorités compétentes à même de déclencher le dispositif correspondant au problème repéré.

Nous voyons donc le schéma suivant se mettre en place : repérer, signaler, prendre en charge. Si la personne refuse, s’oppose, cela est suspect et signifie donc qu’elle doit cacher quelque chose, qu’elle n’est pas sincère. Evidemment ! Comment peut-on refuser une aide alors qu’on vous a repéré comme en ayant besoin ? Soit vous êtes dans le déni, soit vous êtes encore plus en difficulté qu’initialement évalué.

A travers ce passage quelque peu ironique, je veux pointer cette forme de bienveillance pernicieuse qui recouvre une vision étroite, normative, potentiellement violente et donc dangereuse de l’intervention, mais toujours présentée comme une aide que la personne a tout à fait le droit de refuser. Mais à quel prix ?

… aboutissant à un développement de l’aide contrainte et une réduction des marges de manœuvre

En effet, nous observons un développement de l’aide contrainte dans le champ administratif à travers des dispositifs tels que le RSA, les informations préoccupantes, les Contrats de Responsabilité Parentale, les mesures d’Accompagnement en Economie Sociale et Familiale ou encore les Mesures d’Accompagnement Social Personnalisé.

Tous ces systèmes ont pour point commun le fait qu’une personne est amenée à faire une demande d’aide prescrite par quelqu’un d’autre, pouvant être un travailleur social ou non. Si la personne refuse, elle prend le risque de conséquences qu’elle ne souhaite pas.

Dans ces systèmes d’aide contrainte tout comme dans certains dispositifs, la personne a bien du mal à faire valoir son point de vue ou sa volonté car elle prendrait le risque de pas être aidée ou dans un cadre qui ne lui convient pas.

A partir de là, les postures de travailleurs sociaux qui consistent à promouvoir la personne dans sa singularité, sa volonté propre et utilisant le secret professionnel comme garantie et marge de manœuvre pour avancer avec elle en repartant de ce qui l’anime, la met en mouvement, sont bien souvent perçues comme problématiques. En effet, une telle posture vient bousculer le système consistant à repérer, signaler et prendre en charge en partant du problème ainsi repéré chez la personne ou la famille. Ceci pour deux raisons principales : on ne part plus de ce qui fait problème mais force ; la non-transmission d’informations voir le non-partage empêche le repérage et la prise en charge dans le cadre d’un dispositif préétabli.

Ainsi, l’organisation et la conception actuelles de l’action sociale incitent les professionnels à ne surtout pas se taire car cela empêcherait un « bon » accompagnement et ne permettrait pas de déclencher les dispositifs à même d’aider les personnes.

Nous comprenons donc qu’aujourd’hui il convient de dûment argumenter et justifier le choix de se taire ou de ne pas transmettre alors que le cadre légal prévoit plutôt l’inverse. Ainsi, un décalage apparaît clairement entre l’évolution des directives de nombreuses institutions et ce que prévoit le cadre légal. Les travailleurs sociaux doivent donc se positionner dans un espace de tension entre la loi et les directives de l’employeur, sans oublier la personne, sa demande et notre éthique propre.

Seulement, les directives et injonctions hiérarchiques font parfois loi et s’inscrivent dans une forme de culture institutionnelle contre laquelle il peut être difficile de se positionner.

En conclusion, nous pouvons dire que le cadre légal du secret professionnel reste une marge de manœuvre voulue par le législateur et prévue par la loi qu’il est important de faire vivre à travers nos postures auprès des personnes, des institutions et de nos collègues. Des postures porteuses de sens tout comme la prise de risque dans l’accompagnement des personnes sont parfois difficiles à valoriser dans nos contextes professionnels mais nous permettent d’agir de manière pertinentes et de promouvoir des pratiques différentes voir novatrices.

Antoine GUILLET