Comment, en travail social, le secret professionnel permet la confiance

Le mouvement en cours chez nos voisins de Belgique rappelle avec force un point essentiel. Le secret professionnel permet la confiance des personnes qui sont reçues par les professionnels soumis au dit secret. Cette affirmation, je l'ai entendue et je la répète depuis ma formation d'assistant de service social. Je l'ai utilisé plusieurs fois dans le cadre de discussion avec des personnes extérieures au travail social et médico-social. Pendant longtemps, ce qui m’apparaissait évident l'était tellement à mes yeux que je me suis aperçu tardivement que ce n'est évident que pour des travailleurs sociaux. Et encore, en poussant un peu la question "en quoi le secret professionnel permet-il la confiance ?", nous avons rapidement comme réponse "sinon, les gens que nous recevons ne voudrons plus nous parler".

Pourtant, énoncé sans plus de précision, cet argument est... faible.

Le secret professionnel permet la confiance ! Mais encore ?

Dire que "le secret permet la confiance" et que "la confiance nécessite le secret" ne suffit pas. Cette affirmation n'explique pas le lien qui unit secret et confiance. Pour cela, il manque deux choses au moins.

Tout d'abord, nous pouvons penser la confiance comme une construction plus ou moins ardue, et qui prête à un autre des qualités que nous croyons suffisamment présentes pour nous penser capables de nous confier à lui. Si je pense que telle chirurgienne est compétente, je peux accepter de lui remettre la responsabilité de m'opérer avec un minimum de confiance. Je peux remettre des clés de mon domicile à un ami dont je sais que les liens affectifs entre nous sont suffisamment établis pour respecter mon espace privé et mes biens. Je peux relier le statut de tel professionnel avec des valeurs morales qui me paraissent intrinsèques à sa fonction pour pouvoir me confier à elle dans ce cadre. Nous pouvons donc avoir confiance pour d'autres raisons que la soumission du professionnel au secret. Le secret et la confiance ne vont donc pas toujours de pair dans tous les espaces de la vie.

En effet, et c'est notre deuxième élément absent de l'équation "secret = confiance et réciproquement", il manque encore un lien pour que le secret et la confiance aillent de pair en travail social. Ce lien, c'est l'horizon par lequel le secret permet de construire une base impérative pour la confiance.

Secret professionnel, prévisibilité et confiance : triptyque majeur

Une personne qui a besoin de se confier à un travailleur social peut avoir des informations qu'elle juge sensible à lui dire. Des informations sensibles ne sont pas nécessairement des informations illégales comme certains le pensent trop souvent spontanément. "Je veux quitter ma copine mais je ne sais pas comment le lui dire", "je suis enceinte, je ne sais pas si je veux le garder ou pas, et je ne veux pas que ma famille le sache", "je vis une histoire d'amour interdite car nous avons tous les deux des enfants qui ne seraient peut-être pas d'accord", "j'ai des pensées suicidaires", "j'ai été hospitalisé en psychiatrie et je ne veux pas que les gens soient au courant", etc. Voici des exemples de paroles que les professionnels du travail social entendent régulièrement.  

Pour se confier sur des informations sensibles pour soi, comme pour tous les actes qui nécessitent de la confiance, il faut impérativement d'abord avoir un minimum de garantie : celle que l'autre est prévisible. Pour qu'un professionnel créent les conditions pour que s'établisse un minimum de confiance, "la condition sine qua non c'est d'accepter de réduire l'incertitude de son comportement. Vous ne pouvez pas faire confiance à quelqu'un dont le comportement est aléatoire." dit François Dupuy, sociologue des organisations (1). De même, vous ne pouvez pas faire confiance à un professionnel dont vous ne savez pas avec un minimum de certitude ce qu'il fera de votre parole. C'est justement cette stabilité du comportement prévisible que provoque le secret professionnel.

Le secret comme garantie de la stabilité du comportement professionnel 

Reprenons le chemin de la confiance : pour l'avoir, je dois identifier certaines qualités chez le professionnel. Parmi ces qualités, celle de ne pas me trahir ou me tromper est centrale. Le secret professionnel, cadre qui s'impose sous peine d'une sanction pénale à celui qui ne le respecte pas, permet normalement de garantir ces qualités puisqu'il interdit la circulation d'informations vers l'extérieur du binôme bénéficiaire-professionnel. L'obligation de secret contraint le professionnel dans un comportement qui est imposé par la loi. Je peux donc lui parler "en confiance". 

Si la parole circule, si elle m'échappe, alors la confiance ne peut plus être suffisamment présente. Et je n'aurai plus confiance non plus dans tous ces professionnels qui disent être soumis au secret. Car nous savons tous qu'y être soumis ne suffit pas. Encore faut-il le respecter. Sinon, encore une fois, cela veut dire que le professionnel a un comportement aléatoire et qu'il mentirait en annonçant à l'usager qu'il reçoit "vous pouvez me faire confiance, je suis soumis au secret professionnel".

Avec cette affirmation du secret professionnel comme condition de la confiance, on mesure pourtant que le seul cadre juridique ne suffit pas. 

Les professionnels du travail social sont-ils vraiment prévisibles ?

Pour être prévisible de façon suffisament sûre pour que la confiance puisse se développer dans la relation, il faut une éthique qui amène à tenir l'engagement énoncé : une éthique du secret professionnel réel. Or, à l'heure des lois ouvrant de plus en plus les possibilités de partage d'information (2), les professionnels sont-ils encore prévisibles ? L'engagement implicite que contient l'annonce "je suis sousmis au secret professionnel" est : ce que vous me direz ne sortira pas d'ici. Or, c'est loin d'être un engagement toujours tenu. Pire encore, dans certains services, le partage est institué en nouvelle règle implicite de fonctionnement. Il est toujours intéressant pour les professionnels de s'interroger sur leur pratique réelle du secret, et donc sur la validité de ce qu'ils promettent aux usagers qu'ils rencontrent. Le secret a pour fondement la crédibilité d'une fonction. Ceux qui l'exercent sont-ils crédibles ? Au moins doivent-ils se poser la question régulièrement.

 

Le secret professionnel est un socle sur lequel se construit une relation de confiance, car il oblige le professionnel à être prévisible dans son comportement sous peine de sanction en cas de non-respect de cet engagement éthique. C'est sous cette condition que, en Belgique comme en France et ailleurs, l'affirmation "Le secret professionnel permet la confiance des personnes qui sont reçues par les professionnels soumis au dit secret." est fondée. Et c'est dans la capacité à expliquer en quoi secret et confiance vont de pair que se trouve un des ressorts majeurs pour permettre de sensibiliser des personnes éloignées des pratiques professionnelles.

Laurent PUECH

Notes :

(1) Le Bulletin de la Protection de l'Enfance, septembre - décembre 2016.

(2) Voir à ce sujet l'article d'Antoine Guillet Trois évolutions en trompe l'oeil du secret professionnel