Entre « informations à caractère secret » et « informations à caractère confidentiel » : Comment s’y retrouver ?

Depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et son article 1 (1), la notion d’ « information à caractère confidentiel » prend place dans le champ lexical du travail social et nous voyons parallèlement s’esquisser une forme de relativisme quant à ce que recouvriraient les informations à caractère secret couvertes par le cadre du secret professionnel. Ainsi, nous lisons, entendons des discours nous expliquant que le champ du secret ne serait qu’une partie du confidentiel et donc qu’un certain nombre d’informations détenues par des professionnels soumis au secret pourraient être partagées de manière tout à fait légale, notamment dans le cadre des CLSPD (Conseils Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance). Le risque est double dans cette affaire : affaiblir le secret professionnel en créant le trouble sur ce qui relève d’une information à caractère secret ; voir se propager dans d’autres champs que celui de la prévention de la délinquance cette notion d’ « information à caractère confidentiel » et ainsi potentiellement voir évoluer la jurisprudence sur ce qu’est une information à caractère secret.

En juillet 2014, cette question a tenté d’être précisée par le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance (CIPD) à travers une nouvelle Charte déontologique type pour l’échange d’informations dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, validée par le Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS), un guide méthodologique associé à cette charte ainsi qu’un avis du CSTS sur l’échange d’informations et le partenariat dans le cadre de la prévention de la délinquance. Voyons donc ce qui ressort de tout cela.

Définitions de l'information à caractère confidentiel et de l'information à caractère secret

Une information à caractère confidentiel ne présente aucune définition légale ou inscrite dans la jurisprudence. Toutefois des éléments d’explication, sans aucune valeur légale, figurent dans la Charte déontologique du CIPD ainsi que dans l’avis du CSTS. En effet, la Charte nous dit que les informations confidentielles sont celles « afférentes à des situations personnelles ou familiales (…) à l’exclusion des informations à caractère secret au sens de l’article 226-13 du Code Pénal ». Mais la charte va plus loin en excluant du champ de l’article 1, donc du « confidentiel », les « éléments de l’histoire personnelle ou familiale, détails du travail social et éducatif en cours, éléments sur les éventuelles procédures judiciaires en cours mettant en cause l’intéressé, etc. ».

Le CSTS, quant à lui, tente d’être plus précis. Il nous dit qu’ « au sein de l’ensemble des informations à caractère confidentiel, les informations à caractère secret sont bien distinguées ». Il poursuit dans une note de bas de page : « le confidentiel ne peut pas être défini précisément dans l’abstrait : c’est un ensemble subjectif qui se situe au-delà de ce qui est public ou évident, et qui s’étend de ce qui est banal, commun, jusqu’à ce qui est personnel, intime, privé, voire secret. Il comprend le nom et certaines caractéristiques administratives permettant d’identifier une personne ».

Une information à caractère secret (cf. fiche « les informations couvertes par le secret professionnel ») est définie par la jurisprudence (Arrêt du 19 décembre 1885 de la chambre criminelle de la Cour de Cassation, affaire Watelet) qui a déterminé depuis longtemps et de façon constante les informations soumises au secret : tout ce qui aura été appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de l’exercice professionnel. Cela concerne donc toutes les informations à caractère privé.

La vie privée est, elle aussi, définie par la jurisprudence (cf. fiche « les informations couvertes par le secret professionnel ») : « la vie privée s’entend de l’intimité de l’être humain en ses divers éléments afférents à sa vie familiale, à sa vie sentimentale, à son image ou à son état de santé, qui doit être respectés en ce qu’ils ont trait à l’aspect le plus secret et le plus sacré de la personne. »(2).

Le CSTS nous en donne pourtant une version un peu différente dans son avis : « Le secret est une partie particulière du confidentiel qui se caractérise par l’intention de celui qui confie cette information précisément à quelqu’un pour qu’elle reste non révélée/partagée, ou par la gravité de l’information, dont la possession et la divulgation sont déterminantes pour l’existence et l’histoire d’une personne ».

Ce qu’il faut retenir pour s’y retrouver

La loi prédomine : les informations à caractère secret sont nommées dans l’article 226-13 du Code Pénal et définies dans un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation. Elles recouvrent tous les éléments de vie privée dont le professionnel soumis au secret a connaissance dans le cadre de ses fonctions. Donc, le secret doit prédominer ; le partage et la transmission doivent rester des exceptions. En l’occurrence, les CLSPD et ses « groupes thématiques » ne sont pas un cadre de dérogation au secret professionnel.

Contrairement à ce que dit le CSTS, le secret n’est pas une « partie du confidentiel » : le cadre légal du « secret » est celui prévu explicitement par le Code Pénal. Le cadre du « confidentiel », quant à lui, a été créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance mais ne peut en aucun cas venir modifier le cadre légal du secret professionnel. Un professionnel soumis au secret ne peut pas partager une information à caractère secret dans un espace tel que le CLSPD, sous prétexte qu’elle relèverait a priori pas du secret mais du confidentiel.

En mettant en discussion les termes « confidentiel » et « secret », le CSTS ne facilite pas la clarification pour le lecteur. Pour cela, il aurait été préférable que le CSTS indique que la définition de « secret » discutée dans cette partie de son avis n’était pas celle du « secret professionnel ».

Une information relevant de la vie privée n’est pas couverte par le secret professionnel en raison de sa nature ou de l’intention de la personne mais parce qu’un professionnel soumis au secret en est dépositaire : C’est donc bien le fait que l’information soit en possession d’un professionnel soumis au secret qui la fait rentrer dans le cadre du secret professionnel. Ce n’est ni la nature de cette information, ni même le souhait ou la volonté de la personne qui l’a confiée au professionnel. Ceci est une disposition permettant de protéger la vie privée des personnes afin qu’il ne suffise pas de dire que l’on est en accord pour la transmission d’une information à caractère secret mais qu’il faille bien que le cadre légal le permette.

Le professionnel soumis au secret reste seul décisionnaire d’un partage ou d’une transmission d’informations dans les limites fixées par la loi : le professionnel soumis au secret engage sa responsabilité personnelle sur le plan pénal lorsqu’il décide de partager ou de transmettre des informations couvertes par le secret professionnel. Ce n’est donc pas parce qu’il se situe dans un cadre légal de dérogation au secret professionnel qu’il doit de ce fait révéler des informations. Il lui appartient d’évaluer si ce partage ou cette transmission sont pertinents dans la situation donnée, si la personne concernée y consent en connaissance de cause, si le contexte de transmission ou de partage présente les garanties nécessaires, etc. Nous pouvons aussi préciser qu’aucune directive institutionnelle ou hiérarchique ne peut obliger un professionnel soumis au secret à partager ou transmettre une information à caractère secret. Il est donc à la fois autonome et responsable dans ce choix qu’il peut bien sûr réfléchir et concevoir dans la cadre d’une réflexion collégiale, notamment au sein de son équipe, en utilisant l’anonymat.

Antoine GUILLET

(1) « Le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance peut constituer en son sein un ou plusieurs groupes de travail et d'échange d'informations à vocation territoriale ou thématique. Les faits et informations à caractère confidentiel échangés dans le cadre de ces groupes de travail ne peuvent être communiqués à des tiers »

(2) Cour d’Appel de Paris (1e chambre), 5 décembre 1997, Gazette du Palais 1998 I sommaires 234