Au nom de la coordination, de la continuité de l’accompagnement social, ces dernières années ont vu se développer la notion de «référent » dans le champ de l’action sociale. Désigné par le service ou l’établissement, il est l’interlocuteur privilégié –et aussi obligatoire- de l’usager. Parfois on parlera plutôt de « coordinateur » ou « coordonnateur » (1), sans que l’on sache toujours si ce professionnel coordonne le projet personnalisé et/ou l’équipe.
Quelles que soient sa fonction et sa légitimité auprès des collègues, se pose une question : l’usager a-t-il son mot à dire sur cette désignation ? Rarement, et il n’en obtiendra le changement que dans l’hypothèse de tensions manifestes. Autant les codes de santé publique et d’action sociale lui permettent de désigner une « personne de confiance » extérieure à l’institution pour l’aider dans ses démarches médicales ou sociales (L.1111.6 du CSP et L311.1.5 du CASF), autant l’institution désignera-t-elle unilatéralement le professionnel chargé d’établir la confiance, son référent.
Pour autant, à côté de ce professionnel, une figure joue un rôle de plus en plus essentiel, particulièrement en établissement : le (p)référent (2). Dépourvu de quelque statut que ce soit, il est le professionnel en qui l’usager a le plus confiance, celui avec lequel il libérera le plus sa parole, sans appréhension ni crainte.
Son profil ? Il s’agit souvent d’un professionnel dépourvu de prérogatives décisionnelles, ne participant pas à l’évaluation ou à l’accompagnement mais pas moins actif dans le lieu de vie. Maitresse de maison, agent d’entretien, professeur technique, secrétaire, s’ils ne sont pas les plus reconnus par les institutions ou par leurs collègues ils le sont parfois de manière inversement proportionnelle par le public accueilli.
C’est justement parce qu’ils n’ont pas de pouvoirs, ne produisent pas d’écrits, que la relation de confiance s’établit d’autant plus aisément avec eux. On est saisi lors des stages que l’on anime en établissement par l’importance de ces relations de confiance –informelles- et de la variété des informations collectées par eux. Un mineur suivi par la PJJ expliquait un jour qu’il préférait échanger sur sa situation avec son professeur d’atelier qu’avec son éducateur car ce premier ne « fricotait pas avec les juges ».
A la différence du référent, le préférent ne coordonne pas, n’anime pas, l’usager lui confie ce qu’il veut, quand il veut, où il veut (cours, café, activités….), sans la barrière de l’écran, du bureau ou de l’écrit. Mieux encore il peut lui mentir, et le renier comme préférent aussi facilement qu’il l’a désigné.
Deux questions complexes : une pour le préférent, l’autre pour les institutions
Pour le préférent la question complexe est celle du partage d’informations avec les collègues chargés de l’accompagnement et particulièrement avec le référent. Que transmettre de ce que ce pacte singulier –« parce que c’était lui parce que c’était moi » disait le poète- a pu produire comme informations ? A quel moment orienter et inviter à ce que l’usager transmette à d’autres les informations confiées. Entre « le rien transmettre » –et son lot de drames lorsqu’il s’agit de faits graves – et le « tout communiquer » et la rupture du « contrat de confiance » qu’il induit, la marge est grande et les questionnements éthiques quotidiens. Invitons à une réflexion dans les institutions, à froid, déconnectée des cas individuels, sur ce type de partages, auxquelles la loi ne répond somme toute que peu, afin d’aider ces professionnels à identifier ce qui peut rester tu et ce qui ne le pourra pas.
Et c’est là le deuxième niveau de questionnement : quelle réponse les institutions peuvent ou doivent-elles apportées à ces singuliers pactes ? Dans certains établissements les réunions pluridisciplinaires englobent l’ensemble des professionnels qui participent à l’ensemble des échanges. Au nom du fait qu’ils forment tous une équipe, au nom de la continuité ou de la coordination, au nom du fait qu’ils sont tous soumis aux mêmes obligations de secret –et ou de discrétion-, il n’y aurait rien à se cacher. Le travail en équipe pluridisciplinaire ferait en quelque sorte injonction à partager au-delà de ce qui est « strictement nécessaire ». Le préférent doit donc jouer le jeu et confier ce qu’il a pu recueillir, ce qui parfois pourra être pour lui gratifiant car permettant de montrer aux autres qu’il est –lui- au cœur de la relation de confiance.
De notre point de vue il est important pour que les institutions sociales ne sombrent dans le totalitarisme que Goffman ou Foucault décrivaient que des zones d’ignorance, d’ombre, subsistent. Protégeons ces « candides » préférents de la participation aux échanges et réunions pluridisciplinaires pour permettre aux usagers de continuer à avoir des espaces singuliers de partage, de nicher leur confiance non pas là où on voudrait qu’elle se niche mais là où ils en ont envie.
Reste un point à éclaircir. Celui des enjeux de places entre référent et (p)référent que peut mettre en tension le choix du second par le bénéficiaire. Qu'un professionnel formé à la technique d'entretien, ayant travaillé son approche empathique, sachant déployer une relation d'aide dont il sait la fragilité et l'importance, qu'il puisse admettre comme évident cet autre lien et, surtout, cette relation de confiance, cela ne va pas forcément de soi. Voilà un point plus ou moins sensible selon le professionnel et qui ramène une question fondamentale. Le fait que l'autre , s'il est sujet, ne nous "appartient" pas.
Christophe DAADOUCH
(2) Empruntons cette notion à Marianne Pinsolle du CREAI. Avec moins d’élégance, on pourra parler, en langage canin, de celui qu’ «on sent bien ». En langage djeun’s, de « celui qu’on kiffe » !