Sanction d’une pédopsychiatre pour violation de secret médical : notre analyse

Madame Eugénie IZARD, pédopsychiatre, vient d’être condamnée à 3 mois d’interdiction d’exercice de la médecine, condamnation de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, pour violation de secret médical (nous utilisons ici le terme de secret médical puisque c’est le terme en usage devant l’ordre pour le distinguer du secret professionnel au tribunal).

Sur cette affaire, nous n’avons pour l’heure que la parole de cette médecin. Cela nous oblige à être prudents quant à ce dossier. Sa présentation de cette affaire, qui a débuté en 2015, est empreinte d’un discours militant marqué par certaines affirmations peu fondées et une posture victimaire liant dans une forme de confusion sa situation à celles d’enfants ou de patients adultes. Madame IZARD est aussi présidente du REPPEA, association militante d’une approche de protection prônée par le Dr Maurice BERGER (https://reppea.wordpress.com/a-propos/). Cette association et cet engagement apparaissent comme un des éléments de la toile de fond du contentieux avec son conseil départemental de l’Ordre des médecins. Elle est aussi manifestement placée au cœur de la mobilisation d’un mouvement qu’espère initier la Dr IZARD autour de sa situation.

Sur la base de son propos, nous souhaitons réagir au motif qui fonderait la condamnation pour violation de secret professionnel. Voici ce qu’elle en explique :

Plus précisément je suis condamnée pour avoir « violé le secret professionnel » en faisant « un signalement au juge des enfants » qui selon l’interprétation de la chambre de l’ordre des médecins ne fait pas partie des personnes habilitées à recevoir les signalements. Je précise que le courrier pour lequel je suis condamné par l’Ordre des médecins a été fait bien après mon premier signalement qui lui a été fait au procureur. Suite à ce signalement un juge pour enfant avait été saisi et été en charge de la mesure de sauvegarde. En vérité je n’ai donc pas fait un « signalement » à ce juge pour enfant mais une information de danger de l’enfant. Contrairement à la condamnation de l’Ordre cela n’est nullement interdit et même est essentiel à la protection des enfants et c’est autorisé par les dispositions de l’article L.226-2-2 du code de l’action sociale et des familles, issues de la loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui autorisent le partage de tels éléments qualifiés « d’informations préoccupantes » entre professionnels concernés par la protection de l’enfance (cf site du conseil national de l’ordre des médecins).  Non seulement cette pratique d’information avec le juge des enfants est indispensable au bon fonctionnement de la protection de l’enfance mais en plus elle est une pratique courante que tous les médecins qui travaillent auprès des enfants en danger utilisent depuis toujours. “ (Source : https://reppea.wordpress.com/2021/02/20/temoignage-du-docteur-eugenie-iz...)

Quelques confusions regrettables

S’il s’agit d’une information préoccupante, la référence est l’article L226-2-1 du CASF qui prévoit une transmission à la cellule de recueil des informations préoccupantes en cas de danger ou risque de danger. A l’inverse, s’il s’agit de partage d’informations entre personnes mettant en œuvre la protection de l’enfance (bien prévu par l’article 226-2-2), c’est au référent de la mesure ordonnée par le juge des enfants qu’il était pertinent d’adresser l’information, et non au juge.
La Dr IZARD joue ici sur les mots en disant qu’elle n’a “pas fait de “signalement” mais une information de danger”... ce qui correspond donc bien à un signalement (alerte de l’autorité judiciaire sur une situation de danger).

On mesure ici un point à éclairer dans la lecture du droit : qui un médecin peut-il prévenir lorsqu’il constate une situation de danger ?
-    La cellule de recueil des informations préoccupantes si aucune mesure de protection n’est en cours (art 226-2-1 du CASF; art 226-14 2° du code pénal).
-    Le Procureur de la République (art 226-14 2° du code pénal).
-    Les professionnels qui exercent dans la cadre de la mesure de protection ordonnée (article L226-2-2 du CASF).
On le mesure, dans la situation le juge des enfants n’était pas l’interlocuteur à saisir. Il aurait cependant pu le devenir si la saisine du Procureur ou du référent de la mesure de protection n’avait pas produit une transmission vers ce magistrat que la Dr IZARD semblait évaluer comme nécessaire.

Saisine du JE et autosaisine : rappels

Rappelons la capacité, prévue à l’article 375 du Code civil du juge des enfants de s’autosaisir exceptionnellement d’une situation qui lui aurait été signalée par d’autres que ceux qui peuvent le saisir directement (parents, enfant, service mandaté, procureur). La grande différence juridique entre la saisine et l’autosaisine réside dans les voies de recours. Le juge est obligé de notifier une décision à celui qui l’a saisi et sa décision est susceptible d’appel. Dans le cas d’un courrier qui lui serait adressé l’invitant à se saisir il n’est pas tenu de prendre une mesure ou de notifier un non lieu à assistance éducative. Reconnaissons que cet alinéa de l’article 375 n’est pas clair dans ses conséquences sur le secret. Si « l’invitation » à l’autosaisine émane de la grand-mère, de la tante, du voisin ou du militant associatif (très utilisée pour les mineurs isolés rejetés par les départements) la question du secret ne se pose pas. S’il s’agit d’une assistante sociale, elle ne risque ici aucune sanction pénale ni disciplinaire même s’il est régulièrement rappelé dans les protocoles départementaux –à tort- qu’une AS n’aurait pas le droit de s’adresser directement au juge des enfants. S’agissant d’un médecin, à l’évidence le conseil de l’Ordre considère qu’il n’est pas habilité à le faire et est donc sanctionnable. Cette question sera tranchée en appel mais probablement qu’une réécriture de l’article pourrait alors s’imposer.

Ou alors peut-être faut-il réécrire l’article 44 du CSP qui prévoit que « lorsqu’un médecin constate qu’un mineur est victime de sévices ou de privations, « il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ». En prévoyant « autorités judiciaires » au pluriel elle induit tant le parquet (procureur) que le siège (JE).

La Dr IZARD a d'ailleurs raison de souligner le paradoxe de son conseil départemental de l’ordre des médecins qui énonce sur sa page consacrée au signalement de maltraitance le juge des enfants comme destinataire possible...

La décision contestable et préjudiciable de l’Ordre

Malgré nos réserves quant à la validité du procédé employé, nous pensons que si la décision prise par le conseil national de l’Ordre des médecins se fonde seulement sur une erreur de destinataire, elle porte un message préjudiciable pour la protection de l’enfance : elle risque de tétaniser des médecins confrontés à des situations de danger face auxquelles ils ne savent comment agir autrement que par une information préoccupante ou un signalement. Faut-il rappeler déjà l’impact négatif né de l’affaire Catherine Bonnet qui en 1998 avait été condamnée par l’ordre pour avoir signalé à tort une situation d’enfant en danger ? C’est entre autre pour répondre à cette position radicale de l’ordre et les conséquences délétères sur les pratiques professionnelles de celle-ci que l’article 226.14 avait été réécrit en novembre 2015. Selon ce texte le médecin qui signale au parquet ou à la CRIP ne peut voir sa responsabilité engagée que dans une hypothèse : s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi.

Comprenons l’enjeu de fond :  il y a peu d’IP et signalements émanant du corps médical (autour de 5% des situations d’enfance en danger émanerait des médecins, tout médecin confondu : scolaire, de ville, hospitalier, d’établissement médicosocial...) et il s’agit de ne pas bloquer la production de signalements nécessaires pour protéger des enfants en danger.
 
Nombre de médecins ne sont pas à l’aise avec les règles du signalement, ce qu’ils sont autorisés à signaler ou pas au regard de leur obligation de secret professionnel. On voit pourtant qu’il existe aujourd’hui plusieurs possibilités pour le professionnel de santé de signaler sans encourir de sanctions pour violation de secret professionnel. La loi actuelle ne pose donc pas de problème. Elle a d’ailleurs posé l’obligation pour tout département d’avoir en son sein un médecin référent chargé d’aider ses pairs à s’y retrouver (L.221.2 du CASF et D.221.25). Malheureusement nombre de postes ne sont toujours pas pourvus à ce jour.  

Cette condamnation, si elle se fonde seulement sur l’erreur de destinataire qu’est dans cette affaire le juge des enfants, s’avère peu pertinente voire contre-productive. Du fait de la transmission alors qu’une mesure de protection est en cours, le juge des enfants aurait été le destinataire ultime du signalement. Si le Procureur avait été alerté, il aurait transmis l’alerte au juge des enfants ayant ordonné la mesure. Et si le référent de la mesure avait été alerté par la Dr IZARD, il aurait fait mention de cette information au magistrat, en cours de mesure ou à l’échéance selon la nature des faits rapportés.

Cette décision lourde d’interdiction d’exercice de trois mois ne peut donc se comprendre du seul fait de la violation de secret professionnel telle que l’explique la Dr IZARD.
Si c’est bien ce seul motif qui fonde la décision, nous la soutenons dans la dénonciation de cette sanction, sans pour autant la rejoindre dans les autres combats qu’elle et son organisation mènent à travers cette affaire.

Christophe DAADOUCH - Laurent PUECH - Antoine GUILLET - Véronique LOGEAIS