La question du secret professionnel est une question transversale qui traverse différents champs d’intervention, différents codes, et relève de différents ministères. C’est toujours au détour d’un nouveau dispositif, de nouvelles injonctions, que le secret professionnel est réformé. Sans jamais être pensé comme tel, comme un enjeu en soi.
Les dernières modifications du cadre du secret en matière sociale n’ont pas échappé à cette « fatalité ».
Qu’il s’agisse de la loi ALUR, de la réforme des CHRS, de la modification de l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie, le secret a été considérablement modifié sans véritable débat sur le fond. Au détour de la discussion parlementaire un amendement subreptice, sans étude d’impact, vient réformer pour le meilleur ou le pire les pratiques et exigences professionnelles. La récente loi Santé du 26 janvier 2016 modifiant le Code de santé publique en est un nouvel exemple. L’objectif de cette loi : la mise en place du dossier médical personnel. Sauf qu’il suppose des accès larges à son contenu et donc réinterroge la question du secret médical et plus largement le partage d’informations en établissements médico-sociaux.
A donc été décidé de modifier de fond en comble l’article 1110.4 du Code de santé publique définissant les conditions du partage d’informations. Mais en ne se limitant pas seulement au droit médical il pose désormais que les services et établissements sociaux et médico-sociaux relevant de l’article 312.1 du Code de l’action sociale sont désormais eux aussi soumis au secret.
Curiosité donc d’un ministère de la Santé qui réforme dans une loi sur les droits des patients le droit de l’action sociale. On se souvient des réactions quand le ministre de l’Intérieur Sarkozy avait, dans une loi sur la délinquance, réformé le partage d’informations des professionnels d’action sociale.
Tous soumis au secret professionnel ?
Ce sont pas moins les professionnels d’une quinzaine de types de services ou établissements assujettis d’un coup de baguette magique au secret. Certes certains l’étaient déjà : les établissements de protection de l’enfance, les CHRS ou le secteur public de la PJJ. Mais il faut ajouter à cette liste :
-l’ensemble des services/établissements intervenant auprès des personnes handicapées (IME, ESAT, SESSAD, etc…)
-les foyers de jeunes travailleurs
-les associations qui gèrent les tutelles et curatelles aux majeurs
-les services habilités PJJ
-les centres d’accueil des demandeurs d’asile
-ou encore les centres d'action médico-sociale précoce.
Une telle extension offrira à coup sûr des garanties nouvelles à nombre d’usagers, et permettra dans le même temps un partage d’informations légalisé au sein des équipes. Avec cependant le risque que plus de secret professionnel se traduise par en fait moins de confidentialité... En effet, le cadre légal ne prévoira jamais toutes les situations possibles de partage d’informations, par contre en légiférant de manière désordonnée et en fonction des besoins qui se présentent en matière de prise en charge de tel ou tel public, l’Etat contribue à affaiblir un droit fondamental, celui de la vie privée et de sa protection. Finalement, la prolifération dans tous les domaines du travail social de la logique de prise en charge (de plus en plus contrainte) au détriment de celle d’intervention, conduit à ce type de raisonnements se posant davantage la question des besoins des dispositifs et que ceux des personnes censées en « bénéficier ».
Une question de fond, de forme et de méthode.
Pouvait-on faire l’économie d’une réflexion avec les acteurs des secteurs en question ou avec les instances représentatives des professionnels ? Ni le Conseil supérieur du travail social, malgré ses demandes (voir point 4.4 de la synthèse du rapport sur le partage d’information de 2013), ni les organisations professionnelles ou encore les associations tutélaires parmi d’autres n’ont été consultés sur une telle extension alors même qu’elle engagera la responsabilité pénale de nombre de professionnels.
Le gouvernement ne mesure d’ailleurs pas bien ce que ces extensions auront comme effet dans d’autres axes de ses politiques. Par exemple, alors que tout a été fait ces dernières années pour mettre sous pression les CADA sur les situations de migrants déboutés d’asile les voilà donc soumis au secret désormais opposable à la police, à l’OFII ou aux préfectures.
Pour sortir de l’incohérence, un Chantier National du secret professionnel
Face à de telles réformes par à coup, sans vision globale de ce que le secret et le respect de la vie privée signifie en 2016, nous appelons à ce que s'ouvre un Chantier National du secret professionnel et du partage d’informations.
Il permettrait de réinterroger la liste des missions et métiers assujettis ou non assujettis. Est-il normal par exemple qu’un médiateur familial, qu’un psychologue libéral ou un mandataire à la protection des majeurs n’y soient pas soumis ?
Il permettrait de penser les modalités du partage de manière globale et non par à coup. Alors que des centaines de formes de partage d’informations sont rendues nécessaires dans le champ médico-social elles ne sont encadrées que dans de rares hypothèses (enfance en danger, MDPH, etc..).
Il permettrait de faire le point sur le bilan la loi prévention de la délinquance de 2007 et d’en requestionner l’utilité.
Il permettrait de penser le droit à l’oubli dans les dossiers sociaux ou encore le respect de la confidentialité dans les conditions d’accueil du public.
Il permettrait enfin de penser le renforcement du secret là où il est aujourd’hui souvent trop fragile pour que les personnes puissent vraiment se confier et ainsi trouver un soutien souvent essentiel. Le partage d’informations doit rester l’exception et non devenir la règle donc un acte professionnel systématique avec toute la violence potentielle que cela peut représenter pour les personnes.
A l’heure des lois d’urgence et de l’amenuisement des garanties judiciaires, les questions des libertés individuelles –particulièrement pour les plus vulnérables- sont plus que jamais fondamentales. Ouvrons le débat !
Communiqué diffusé le 15 février 2016
Secretpro.fr
Voir aussi :
Loi Santé du 26 janvier 2016 : le secret professionnel soumis à la logique du Dossier Médical Personnel, par Christophe DAADOUCH