Partage d’informations et positionnement professionnel en service social du travail : Entre autorité et pouvoir

Si la mise en perspective des notions d’autorité et de pouvoir est une constante dès lors qu’il est question de démarche éthique et de positionnement professionnel, il existe des particularités liées au contexte d’exercice en service social du travail. En effet, l’entreprise est un système particulier au sein duquel l’assistant social est un « outil » potentiellement stratégique pour ses acteurs à partir du moment où il peut intervenir directement auprès des salariés à la frontière entre les sphères professionnelle et personnelle ; être un formidable relai de la « politique de l’entreprise » auprès des salariés ; et une source d’informations pour la direction, le service RH ou encore les IRP.

Pouvoir et Autorité 

Tout d’abord, distinguons le pouvoir et l’autorité. Selon le Larousse, le pouvoir est « l’ascendant de quelqu’un ou quelque chose sur quelqu’un ». En tant qu’assistant social, nous pouvons considérer que nous avons souvent le pouvoir indirect de gratifier ou sanctionner une personne. L’organisation d’un certain nombre de dispositifs nous positionne comme étant celui qui a les clefs d’accès à une aide et qui peut, par son évaluation de la situation d’une personne, lui permettre d’obtenir cette aide. La personne nous identifie d’ailleurs comme ayant ce pouvoir et il n’est pas rare qu’elle formule sa demande en fonction de cela. A l’inverse, dans des schémas d’aide contrainte, que je ne détaillerai pas ici, le professionnel peut être celui qui, si la personne refuse l’aide ou n’en respecte pas le cadre, déclenche une forme de sanction par l’autorité compétente (RSA, informations préoccupantes, MASP par exemples). Il faut donc comprendre que ce pouvoir, directement lié aux missions qui sont confiées aux professionnels et à leur application sur le terrain, peut être utile aux professionnels, par la possibilité d’action qu’il confère, à condition de l’interroger en permanence afin de ne pas exercer une violence aveugle sur les personnes ou encore s’enfermer dans des pièges relationnels stériles.

L’autorité, quant à elle, ne se confère pas par un employeur, une collectivité, ni même par la personne car elle découle de la crédibilité du professionnel et de son service. L’autorité est ainsi la reconnaissance de notre compétence et notre légitimité à intervenir. Elle est donc intimement liée à la relation de confiance tissée entre le professionnel et la personne, mais également à la reconnaissance par la collectivité, donc les autorités publiques, de notre compétence. Cette autorité ne se décrète donc pas, elle se construit et se nourrit en permanence.

C’est bien lorsqu’un déséquilibre s’opère entre autorité et pouvoir, c’est-à-dire quand la relation d’aide bascule largement plus vers le rapport de pouvoir qu’il faut prendre du recul afin de ne pas engager ou nourrir un système d’intervention potentiellement dangereux. Il est nécessaire de repérer ces rapports de pouvoir en analysant l’origine et le cadre de notre intervention (qui est demandeur de quoi ? quel dispositif ? cadre d’aide contrainte ? quelle finalité ? etc.). Notre positionnement professionnel doit s’adapter à ce rapport de pouvoir afin de donner les clefs de compréhension du cadre de notre intervention à la personne et préserver un espace où l’on répond davantage à son projet qu’à la commande institutionnelle.

 

Repérer les enjeux avant de partager des informations à caractère secret

Si nous appliquons cette réflexion sur l’autorité et le pouvoir au service social du travail et en particulier sur la question du partage d’informations, nous pouvons repérer les enjeux existants et donc les réflexions à mener en matière de transmission et de partage d’informations à caractère secret au sein d’une entreprise.

Les enjeux liés à la transmission et au partage d’informations en entreprise sont très importants que l’assistant social soit embauché directement par l’entreprise ou qu’il soit employé par un service social inter-entreprises. Nous devons être repérés et se voir reconnaître une légitimité et une compétence d’intervention par les différents acteurs de l’entreprise (RH, direction, IRP, service de santé au travail, salariés), tout en garantissant un espace de neutralité et de confidentialité aux salariés qui viennent nous rencontrer. C’est bien dans cette dichotomie qu’il convient d’être vigilant à ne pas basculer dans un rapport de pouvoir qui permettrait pourtant de se voir reconnaître aisément une légitimité au sein de l’entreprise.

En effet, le fait d’intégrer des dispositifs internes à l’entreprise (commission sociale du CE, dispositifs pour les salariés en arrêt long, Handicap, Logement, etc.) vient légitimer notre compétence dans ces domaines, nous ancrer dans la vie de l’entreprise, à condition de respecter les « règles du jeu ». Dès lors, nous sommes un maillon de la chaîne de fonctionnement du dispositif et nous en retirons une reconnaissance à la condition de produire ce que l’on attend de nous dans ce cadre. Bien souvent, une des choses attendues est de produire une évaluation et donc de transmettre un certain nombre d’éléments permettant la prise de décision concernant un salarié.

Lorsque la question du secret professionnel est posée face à ce type de fonctionnement, elle est difficilement audible, étant donné que le bon fonctionnement du dispositif dépend de votre transmission de certaines informations nominatives et que le salarié est précisément venu vous voir en sachant que par votre intermédiaire – et donc par votre pouvoir – il peut obtenir une décision favorable. Sans compter que tout cela est bien entendu conçu pour aider le salarié !

Nous voyons donc qu’une fois pris dans un rapport de pouvoir, il est bien difficile d’en sortir. La question éthique qui se pose est donc la suivante : quel risque acceptons-nous de prendre ? Celui du piège relationnel inhérent au rapport de pouvoir sur le salarié ou celui de ne pas parvenir à s’intégrer au sein de l’entreprise où nous intervenons ?

Notons qu’à travers cette question, la dimension de la « relation commerciale » des services sociaux inter-entreprises avec leurs entreprises clientes ou adhérentes apparaît, tout comme celle de l’indépendance d’un ASS embauché directement par l’entreprise. En effet, quelles sont les marges de manœuvre de l’assistant social qui doit se positionner sans compromettre l’origine même de son intervention, c’est-à-dire la « commande » de l’entreprise et/ou la mission confiée par le service social inter-entreprises qui nous emploie, tout en engageant sa responsabilité individuelle envers les salariés qu’il reçoit ?

A cela s’ajoute une seconde singularité du service social du travail, évoquée au début de cet article : le contexte de l’entreprise. En effet, lorsque nous déterminons le rapport « bénéfice/risque » d’un partage ou d’une transmission d’informations concernant un salarié, nous devons considérer qu’il s’agit du lieu de travail de la personne avec tout ce qu’il comporte d’enjeux et de dimension identitaire. Ainsi, l’information et sa diffusion, sa transformation et sa réutilisation sont cruciaux dans un système tel que celui de l’entreprise.

Donc, sans compter qu’aucun cadre légal ne permet de partager ou transmettre des informations à caractère secret dans le cadre du service social du travail (cf. fiche « secret professionnel et articulation service social – service de santé en entreprise »), je pense que la vigilance quant aux conséquences de notre positionnement en matière de partage d’informations doit inclure cette dimension spécifique.

En conclusion, je dirais que si nous pouvons aisément intégrer le service social du travail au sein d’une entreprise en acceptant ce qu’il comporte de pouvoir à travers notre participation à ses dispositifs internes, cela peut se faire au détriment de notre autorité, auprès des salariés et d’autres partenaires internes comme externes, et de notre crédibilité à moyen et long terme. L’entreprise est un espace de tensions où il faut souvent privilégier la discrétion pour mieux agir dans l’intérêt réel du salarié qui est avant tout une personne et un sujet de droit. Dès lors, il s’agit d’identifier nos marges de manœuvre au sein de cet espace d’intervention tout en conservant comme principe premier la maîtrise par le salarié des informations le concernant.