L’accord de la personne comme norme dominante dans l’usage du secret professionnel

L’accord de la personne est désormais positionné de manière systématique dans le Droit, qu’il soit dur ou souple, comme une condition préalable au partage d’informations à caractère secret. Il semble que cela soit tout à fait intégré par les professionnels. En effet, en tant qu’assistant social, formateur tout comme lors du travail de recherche sociologique que j’ai mené ces deux dernières années sur la question du secret professionnel, l’idée que l’accord de la personne (recueilli sous différentes formes) rend légitime le partage ou la transmission d’informations à caractère secret m’est apparue omniprésente et surtout installée comme une évidence dans le discours de bon nombre de professionnels. Mais il se trouve que sociologiquement, plus un principe de fonctionnement est évident et largement partagé, plus il est intéressant de le déconstruire. En effet, cela peut traduire une norme qui traverse un champ professionnel et même une fenêtre de compréhension de la manière dont cette norme s’est construite. 

Tout en restant synthétique, j’ai donc voulu ici développer une réflexion sur ce que signifie cette prédominance de l’accord de l’usager. Quelles questions cela pose ? Qu’est-ce que cela donne à voir de la manière dont le partage d’informations à caractère secret est régulé ? 

Le secret professionnel face à la norme de transparence

Secret et transparence sont deux valeurs en tension mais formant en quelque sorte un continuum normatif. En effet, le secret absolu tout comme la transparence totale n’existent pas en tant que tels. Par contre, ils constituent des repères normatifs qui guident l’action et la construction de règles encadrant une activité donnée. Nous pouvons aussi remarquer que l’un comme l’autre, s’ils sont placés en principe moral absolu et indépassable, deviennent dangereux pour une société démocratique. Tout est donc affaire d’équilibre entre ces deux pôles. 

Dans le cas du secret professionnel fondé sur l’idée de confident nécessaire, le souci est que ces professionnels ont besoin que ce mandat -de taire des informations là où le seul citoyen devrait parler- repose sur une acceptation par le corps social. Or, nous faisons clairement face à une contestation sociale du secret professionnel. Il est accusé à l’aune de faits divers d’être responsable de drames évitables si les professionnels avaient signalé la situation. Il est également décrit comme un frein au travail partenarial et au bon fonctionnement d’un certain nombre de politiques publiques nécessitant une forme de décloisonnement institutionnel.

Autrement dit, le secret, agissant comme « une frontière entre l’intérieur et l’extérieur » (1) , entre ceux qui sont dans la confidence et les autres, devient suspect dans une société prônant la transparence. Dès lors, la question qui se pose pour les professionnels soumis au secret est celle de la légitimité de leur silence. Nous pouvons d’ailleurs remarquer qu’un professionnel doit bien plus souvent justifier son silence que sa parole auprès de ses interlocuteurs. Pourtant, le cadre légal est construit à l’inverse avec une obligation de se taire assortie d’un certain nombre de dérogations possible sous certaines conditions.

Le Droit est devenu réticulaire avec des sources multiples de différentes natures. Il incite, oriente les professionnels vers des pratiques ou des comportements davantage qu’il ne contraint ou interdit de manière claire. Ainsi, le professionnel est renvoyé à sa responsabilité de choix en situation. Ce contexte décrit une incertitude quant à ce qu’il convient de faire des informations à caractère secret rendant complexe la question de la légitimité du professionnel dans son action. Ce qui est certain c’est qu’au sein d’un cadre règlementaire flou, la légitimité a tendance à devenir située, c’est-à-dire propre à chaque situation. 

Dès lors, l’accord situé de l’usager qui exprime son point de vue et délibère avec le professionnel quant à l’utilisation des informations le concernant devient une forme de légitimation de l’acte posé par le professionnel.

L’usager face au « gouvernement de soi » (2)

Cette tendance à réguler un principe institué tel que le secret professionnel via des accords situés entre professionnel et usager est un parfait exemple des modalités modernes de production et de diffusion des normes. Nous ne sommes plus sur un principe homogène s’appliquant de la même manière à tous et en toutes circonstances. Les règles sont hétérogènes et négociées. Elles font l’objet d’accords et donc d’une négociation. Alain EHRENBERG explicite longuement ce phénomène (3) qui procède d’une responsabilisation des individus devant faire preuve d’initiative face aux choix qui s’offrent ou s’imposent à eux. La norme n’est en quelque sorte plus extérieure aux individus mais en chacun d’eux à travers leurs interactions. 

La problématique posée par cette transformation majeure du rapport entre individu et société est celle de la production, de la diffusion des normes et finalement de savoir ce qui est commun. Ce trouble normatif est présent dans l’usage du secret professionnel et prend la forme d’une incertitude marquée par une tension entre un agir conforme à un principe, une règle donnée et un agir guidé par la finalité du partage ou non de l’information.  

Le risque d’un « appel à l’individu » (4) comme réponse systématique à l’incertitude de ce qu’il convient de faire

Dans ce contexte marqué par la place centrale de l’individu et l’incertitude normative autour du secret professionnel, l’accord de l’usager quant à la diffusion des informations le concernant apparaît incontournable dans le processus de décision et de légitimation de l’acte professionnel. L’usager est mis en situation de décider pour lui-même des informations qui vont être dévoilées. 

Lors du travail de recherche sociologique mené durant 2 ans au sein d’un service social du travail, mes échanges avec les assistants sociaux ont mis en lumière une référence systématique à l’association de la personne dans le processus de décision là où la référence au cadre légal était quasiment absente. Ceci a été observable aussi bien dans l’exercice consistant à justifier de son silence auprès d’un interlocuteur que dans celui visant à décider de partager des informations. Cela signifie que le refus de l’usager est un argument souvent reconnu comme légitime par un interlocuteur… davantage que l’opposition du Code pénal. En effet, nombre d’assistants sociaux ont exprimé que l’opposition du secret professionnel en tant que principe inscrit dans le Code pénal n’était pas entendue et souvent mal reçue par leurs interlocuteurs désireux de savoir. Il n’est pas rare qu’on leur reproche une forme de corporatisme, de sentiment de supériorité ou encore de mauvaise volonté dans le travail collaboratif.

Cette association du salarié est donc apparue systématique avec différents degrés allant du simple recueil de l’accord du salarié à une décision prise par le professionnel jusqu’à la co-rédaction et la co-signature d’une évaluation sociale. Mais au fond quel est le problème avec le fait de partager ou transmettre une information à partir du moment où cela est fait en concertation avec le principal intéressé ? 

Je dirais qu’il est double. Tout d’abord, le secret professionnel est une obligation faite au professionnel et qui pèse sur ses épaules. Le recours systématique à l’accord de l’usager comporte un risque réel d’un transfert de responsabilité du professionnel vers l’usager et par là-même de la collectivité (représentée par le mandat dont le professionnel est dépositaire) sur l’individu. Cette association de la personne dans le processus de délibération ne doit donc pas se transformer en réflexe visant à demander si la personne est d’accord. Ayons à l’esprit la position dans laquelle une personne se trouve lorsqu’elle vient demander de l’aide à un professionnel. La vulnérabilité de l’individu et la dissymétrie de la relation d’aide doivent être prises en compte et intégrées dans la prise de décision. 

Elle doit s’inscrire dans une démarche éthique et s’accompagner d’une réflexivité collective donc de débats avec d’autres professionnels au sein d’espaces de discussions organisés. Cette réflexivité peut permettre de faire le pont entre le secret professionnel en tant que principe institué et sa mise en pratique par les professionnels confrontés à des dilemmes éthiques. Cette réflexivité collective est à mon sens le moyen de légitimer l’usage du secret professionnel en lui donnant un sens et une dimension commune bien que située et sans cesse remise en question. 

Pour conclure, l’accord de l’usager semble être devenu l’élément central du processus de décision des professionnels face à l’incertitude structurelle de la mise en pratique du secret professionnel. Pour autant, cette délibération éthique au cas par cas ne peut trouver de sens que si le secret professionnel demeure un principe fort et structurant. Finalement, cette analyse nous ramène à la nécessité de remettre du collectif via la controverse, la discussion afin de recréer du commun et ainsi faire vivre ce vieux principe démocratique qu’est le secret professionnel.  

Antoine GUILLET

(1) PETITAT, André (2014), Secret et formes sociales, PUF, Paris

(2) SOULET, Marc-Henry (2005), « Une solidarité de responsabilisation ? », in ION, Jacques dir., Le travail social en débat, La Découverte, Paris, p.86-103

(3) EHRENBERG, Alain (1998), La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, Paris

(4) SOULET, Marc-Henry (2005), « Une solidarité de responsabilisation ? », in ION, Jacques dir., Le travail social en débat, La Découverte, Paris, p.86-103