Le code de justice pénale des mineurs : une inquiétante vision du partage d’informations

Le futur code de justice pénale des mineurs, publié au JO du 13 septembre 2019 (qui entrera en vigueur en octobre 2020) n’a pas fini de faire parler de lui. S’il n’est pas lieu sur ce site d’en analyser les nombreuses dispositions autorisons-nous à revenir sur celles relatives…au secret professionnel. D’autant que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ces questions ici (https://secretpro.fr/blog/christophe-daadouch/secret-professionnel-PJJ-incertitudes) mais aussi plus récemment dans la revue « Les cahiers dynamiques » (https://www.editions-eres.com/ouvrage/4402/secret-s).

C’est dans un titre IV au pédant intitulé – De la protection judiciaire de la jeunesse - que l’on trouve 4 dispositions codifiées aux articles L.241.1 et L242.2 qui, pour certaines apportent de nécessaires clarifications mais pour d’autres ne peuvent que susciter de vifs débats.

 

Une double clarification

L’article L241-1 précise que « les personnels des services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif habilité sont, dans l'exercice des missions prévues par le présent code, soumis au secret professionnel ». Il prolonge ce faisant le décret du 30 octobre 2013 qui prévoyait  que « les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ayant, pour l'exercice de leur mission, à connaître d'informations relatives à la situation des mineurs pris en charge et de leur famille dans les établissements et services, sont soumis au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».

Il en comble surtout une double lacune. La première est liée au fait que ce décret relatif aux  établissements et services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse ne s’appliquait pas au secteur associatif habilité qui occupe une place importante dans la prise en charge des mineurs sous main de justice. C’est désormais chose faite par la nouvelle formulation.
 
Par ailleurs le texte précédent souffrait d’une valeur normative restreinte, surtout s’il s’agit de créer une obligation pénale. Un simple décret ne peut en effet assujettir un professionnel à une telle  exigence en vertu du principe constitutionnel de légalité des peines. C’est le fameux « Nullum crimen, nulla pœna sine lege », cauchemar latin de nos années de droit.  Cette insuffisance est désormais corrigée.

 

Une double confirmation : le partage d’informations

Dans un schéma désormais bien connu, après avoir assujetti au secret nombre de professionnels le texte les invite à un large partage d’informations : au sein d’une équipe, avec le secteur habilité mais aussi avec les acteurs de l’aide sociale à l’enfance.

Le partage au pénal

L’article L.241.2 prévoit, dans une formule bien connu, que « les personnels des services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif habilité saisis concomitamment ou successivement au titre du présent code [de justice pénal des mineurs] de mesures concernant un même mineur, peuvent échanger entre eux toutes informations relatives à ce mineur, à condition que ces informations soient strictement nécessaires à sa prise en charge, à son suivi judiciaire ou à la continuité de son parcours ». En ce sens cette disposition ne fait qu’entériner des pratiques anciennes et nécessaires jusqu’alors dépourvues de base légale, d’autant plus source d’inquiétudes que le secteur habilité n’avait alors pas le statut qui lui est désormais reconnu.

Le partage entre la PJJ et l’ASE

Ce partage s’étend également à l’aide sociale à l’enfance : « Ils peuvent également échanger dans les mêmes conditions des informations avec les services intervenant au titre de la protection de l'enfance à l'égard des mêmes mineurs ». Cette disposition prolonge l’article L.226.2.2 du Code de l’action sociale et des familles tel que créé par la réforme de la protection de l’enfance de mars 2007 (1). Alors que celui-ci se limitait à l’intervention au civil, la rédaction proposée permet d’assurer un parcours qui dépasse ce seul volet pour assurer une prise en charge globale au gré des passages du civil au pénal (et réciproquement) des mêmes mineurs. Ce partage est d’autant plus nécessaire que le nouveau code réaffirme la possibilité de l’intervention de l’aide sociale à l’enfance au pénal en particulier pour les moins de 13 ans désormais présumés irresponsables pénalement (2).

Une triple confusion

Si les dispositions précitées régularisent des pratiques déjà en œuvre, non couvertes jusqu’alors par la loi, il en va autrement du dernier paragraphe de l’article L.241.2 du code précité : « Ces personnels peuvent également transmettre à toute personne auprès de laquelle le mineur est placé ou scolarisé des éléments dont la connaissance est indispensable pour assurer la sécurité du mineur ou des personnes avec lesquelles il est en contact ».
Cette disposition autorisant à un très large partage pose de nombreuses questions juridiques, mais aussi éthiques. Sur un terrain juridique : avec qui échanger ? Quelles informations transmettre ? Avec quel objectif ?

Avec qui ?
Le texte précise que la transmission est à destination du lieu de placement ou de scolarité. Pour le lieu de placement, outre les établissements PJJ, habilité ou d’aide sociale à l’enfance déjà prévu par les échanges précités, cela peut par exemple englober les assistants familiaux (ASE ou PJJ) (3).

Quant au lieu de scolarisation rien ne précise si cela vise le chef d’établissement et/ou le CPE, le service médico-social ou l’ensemble de la « communauté éducative ». En tout cas le texte ne se limite pas aux seuls personnels soumis, au sein de ces établissements, au secret professionnel (à savoir l’assistant de service social, l’infirmier ou le médecin) et on ne peut que le regretter au regard des risques de dérapage.
Remarquons au détour que le texte n’envisage pas –encore ?- les lieux d’apprentissage et de formation qui accueillent pourtant nombre de mineurs suivis par la PJJ.

Quelles infractions ? Quelles informations ?
La formulation est très floue tant sur les informations susceptibles d’être transmises que sur le public visé : « des éléments dont la connaissance est indispensable …». S’agit-il du fait que le jeune est suivi par la pjj ? De la nature de l’infraction ? De sa « dangerosité » ? De ses antécédents ?
Évidemment sont implicitement visés les mineurs suivis pour infractions sexuelles mais on imagine aisément que cela touchera ceux « fichés S ». Mais la liste n’est pas exhaustive et dans l’absolu cela peut finalement viser –dans un principe de précaution bien connu- tous les mineurs sous main de justice.

Pour quoi ?
C’est évidemment la fin de la phrase qui pose le plus de questions. Le partage aurait une double vocation : il doit permettre d’assurer la sécurité de l’intéressé et celles des autres personnes avec lesquels il est en contact. Ce qui, avouons-le, peut faire du monde dans un établissement scolaire ! 
En mettant au même niveau les logiques d’ordre public et de sécurité de l’intéressé, cette disposition créé une confusion dans les missions des professionnels de la PJJ. Non pas qu’ils doivent se désintéresser de l’ordre public mais il ne s’agit pas de leur mission première. Sous peine de porter atteinte au difficile établissement de la relation de confiance qu’ils ont avec les jeunes dont ils assurent le suivi. 
On se souvient de la loi de mars 2012 adoptée suite à l’affaire dite du Chambon sur Lignon (4) : le juge d’instruction et le juge d’application des peines sont depuis lors tenus de transmettre l’information sur les infractions sexuelles suspectées ou commises à l’Inspection d’académie et au chef d’établissement (5). Cette loi va beaucoup plus loin : elle ne se limite pas aux seules infractions sexuelles et fait désormais porter cette responsabilité aux professionnels de la pjj et du secteur habilité.

Quelles conséquences ?
Les conséquences de telles transmissions sont nombreuses. Elles impacteront évidemment la relation de confiance entre le jeune et le professionnel d’une part. Elles créeront une angoisse démesurée sur les destinataires de telles informations qui s’empresseront de ne pas admettre ou ne pas conserver dans leur effectif un jeune suscitant de telles inquiétudes. Elles obligeront enfin l’encadrement des équipes à un positionnement clair pour éviter que la polysémie des termes soit laissée à la libre appréciation de chaque professionnel. Principe de précaution et peur du foutu fait divers, il y a craindre que le « peut transmettre » soit lu comme « doit transmettre ».

 

Conclusion ..provisoire

En 50 pages, ce futur code pénal fait fi de toute référence à la loi de janvier 2002 à laquelle sont pourtant assujettis les professionnels de la pjj et du secteur habilité.  Les exigences de confidentialité, de respect de la vie privée mais surtout de transparence que cette loi prévoit sont ainsi mis à mal. Cela se traduit ici par une formulation unique –depuis la loi de prévention de la délinquance de 2007 – qui fait fi de la moindre information du jeune et de sa famille sur la transmission d’informations aussi sensibles. Osons espérer qu’à défaut d’une telle exigence légale, le sens de l’éthique l’imposera aux équipes.
Notons enfin un curieux paradoxe de l’histoire : alors qu’en quelques semaines un ministre de la justice d’une part et un éducateur de la pjj d’autre part viennent d’être sanctionnés pour avoir violé le secret professionnel (6),  il est décidé non pas de le conforter et le réaffirmer mais de le dévoyer à l’aune de prétendus objectifs de sécurité publique.

ChristopheDaadouch

Notes :

(1) « Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant »

(2) Voir L.112. 14 et L.421.1 du code de justice pénale des mineurs.

(3) Notons que les premiers sont soumis au secret contrairement aux seconds qui sont bénévoles et ne sont pas impactés par la réforme ici analysée.

(4) Un jeune sous contrôle judiciaire pour infraction sexuelle viole et tue une élève de son établissement scolaire.  Le chef d’établissement prétendra ne pas avoir été informé de ses antécédents.

(5) Articles 138.2 et 722.

(6) 2 mois de prison avec sursis et inscription au B2 pour avoir diffusé à une jeune des informations confiées par un magistrat.