Lorsque j'interviens sur le thème du secret professionnel, dans le cadre de formations ou colloques, une de mes affirmations provoque toujours étonnement, incompréhension voire contestation :
"Les psychologues ne sont pas soumis au secret professionnel par profession."
Cette phrase, simple, peut déstabiliser un auditoire en quelques secondes. Il est vrai qu'elle vient contredire l'apparente évidence qui accompagne notre représentation de la profession de psychologue, fortement associée à l'intime, au secret. Le silence absolu attendu du professionnel psychologue est un marqueur fort de la perception de ce métier que partagent le public et les professionnels.
Je ne vais pas détailler ici l'analyse juridique qui soutient cette position, ni les arguments qu'opposent certains (code de déontologie, jurisprudence, etc.). Ce sera l'objet d'une fiche thématique complète qui sera mise en ligne bientôt (Mise en ligne le 7 juillet 2015 Les psychologues et le secret professionnel). Précisons seulement que le psychologue n'étant pas soumis au secret par profession, il peut cependant l'être s'il exerce dans le cadre d'une mission soumettant au secret tous ceux qui la mettent en oeuvre (voir Qui est soumis au secret professionnel ?). En simplifiant à l'extrême, la conséquence de cette situation est simple : un psychologue en libéral n'est pas soumis au secret professionnel, un psychologue exerçant dans un lieu ou une mission entraînant la soumission au secret, l'est.
Un paradoxe apparaît alors...
Psychologue, non-soumis au secret professionnel, et respectueux du secret confié
Un psychologue en libéral garde souvent mieux un secret que les professionnels pourtant soumis au secret par la loi. Comparons deux situations :
- Un psychologue travaillant dans un service de l'aide sociale à l'enfance, placé au sein de l'équipe qui va analyser les situations des familles, se trouve en situation de rencontrer les membres de ces familles (adultes et mineurs). Il est bien soumis au secret professionnel selon l'article L221-6 du code de l'action sociale et des familles. Conformément à l'article L226-2-2 du code de l'action sociale et des familles, il est autorisé à partager des informations au sein de ce service voire vers des professionnels extérieurs (de la Protection Maternelle et Infantile par exemple). Et comme il intervient le plus souvent dans le cadre d'un dispositif de protection qui va tenter de détecter des situations de risque de danger, il peut être amené à partager des informations très rapidement. Il faudrait d'ailleurs interroger ces lieux où le psychologue du service (présenté sous les termes rassurant "psychologue" et "soumis au secret professionnel", donc à qui on peut théoriquement se confier sans danger...) écoute un parent pour aller faire une synthèse ensuite à l'équipe...
- Un psychologue exerçant en libéral, sans convention aucune avec un service soumis au secret (ASE par exemple), se situe donc dans l'espace commun. Non-soumis au secret par profession, il ne lui reste que sa déontologie et son éthique. Faibles arguments à opposer à une demande d'information... en apparence. Car c'est bien chez ces professionnels que l'on trouve le plus de respect du secret de ce qui leur a été confié. Et donc d'opposition à faire connaître à un tiers ce qui s'est dit lors d'une séance. Bien entendu, nombre de ces professionnels non-soumis au secret alertent quand une personne (adulte ou enfant) est dans une situation où le péril guette.
Cette situation, ce refus de dire, provoque l'incompréhension voire l'agacement des professionnels du travail social. Cela nous évite peut-être de nous poser des questions intéressantes...
Le respect du secret par les psychologues non-soumis au secret, un aiguillon pour le travail social
En quoi cette situation étonnante en apparence nous interroge t-elle ? Sur trois aspects au moins.
- Tout d'abord, pour ceux d'entre nous qui sont soumis au secret professionnel par profession ou mission, une remarque. Nous qui opposons, et c'est heureux, le secret professionnel à des demandes d'informations que nous pensons illégitimes, sommes-nous capables d'entendre qu'un autre professionnel nous oppose son obligation (morale, éthique, légale, etc.) de secret ? Pas simple parfois. Il suffit d'entendre les propos de professionnels qui ont essuyé ce genre de refus pour le mesurer.
- Le fait d'être soumis au secret professionnel peut constituer un atout pour parvenir à pratiquer un secret professionnel réel. Cependant, aujourd'hui, n'est-ce pas avant tout d'abord une question d'engagement éthique qui est le meilleur garant du respect du secret ?
- Plutot qu'une remise en cause des pratiques de ceux qui respectent leur engagement de secret, pourrions-nous interroger ce que signifie vraiment ce secret professionnel dont nous parlons ?
Peu importe l'absence de secret professionnel tant que le psychologue sait garder un secret
Pour ma part, je suis rassuré de savoir qu'il existe encore des lieux et espaces où une personne peut se confier à un professionnel, avec une vraie écoute et un engagement respectueux et.. respecté de secret. Je ne suis pas sûr qu'il reste suffisamment de ces endroits, institués ou fondés sur l'engagement d'un professionnel, dans le champ du travail social et médico-social.