L'article L1110-4, le risque pénal et les catégories d'informations à partager

Suite à notre présentation de l'article L1110-4 du code de la santé publique, nous avons été interpellés par deux lecteurs attentifs du site. Leurs interrogations, forts pertinentes, nous ont amené à préciser dans cet article ce qui fonde la lecture que nous proposons des changements apportés par la loi Santé du 20 janvier 2016. Voici donc les deux questions et réponses.   

 

Peut-on vraiment parler de secret professionnel à partir de l’article 1110-4 du CSP ou cet article ne concerne-t-il que le droit des usagers-patients à la confidentialité des données les concernant ? En effet, l’absence de référence à l’article 226-13 du code pénal  dans l’article 1110-4 du CSP ne constitue-t-il pas la démonstration que les professionnels ne sont pas soumis au secret professionnel dans le cadre du code pénal et ne risquent donc pas de sanction pénale, en vertu du principe de légalité ?

Les termes de l’article L1110-4 du code de la santé publique laissent certaines zones de flou. Il n’est en effet pas fait explicitement mention d’une obligation de secret professionnel dans les conditions prévues par l’article 226-13 du code pénal. Cependant, c’est bien en ce sens que nous interprétons cet article.  Nous notons en effet une série d’éléments qui nous semblent, indirectement mais clairement, aller dans le sens d’une soumission au secret professionnel.

L’absence de mention du 226-13 du code pénal ? Un cas pas si isolé

L’absence de référence à l’article 226-13 du code pénal alors que sont désignés des professionnels soumis au secret n’est pas chose rare dans le code de la santé publique. La liste est même longue. C’est le cas pour les médecins  (R4127-4), les chirurgiens-dentistes  (R4127-206) comme le chirurgien-dentiste contrôleur (R4127-255), les sages-femmes (R4127-303), les pharmaciens (R4235-5) ou encore les prestataires de service et distributeurs de matériel (D5232-8), les Etudiants en médecine  (R6153-46), en odontologie (R6153-63) ou en pharmacie (R6153-77).  Aucune référence au 226-13 du nouveau code pénal dans l’article soumettant ces professions au secret.

Il en est de même pour l’article L.2132.1 qui prévoit que toute personne appelée, de par sa fonction, à prendre connaissance des renseignements inscrits dans un carnet de santé est soumise au secret professionnel, sans qu’il ne soit fait référence à ce même article.

Cela s’explique en partie par le fait que le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme étaient explicitement cités dans l’article 378 du code pénal abrogé en 1994 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071029&idArticle=LEGIARTI000006490249) . Avec l’arrivée du nouveau code pénal en 1994, nous trouvons l’article 226-13 qui dorénavant parle de « profession » sans en préciser aucune. Ce sont donc d’autres articles de loi qui doivent préciser quelle profession est soumise au secret professionnel « dans les conditions et sous les peines prévues au 226-13 du code pénal ». Or, cette précision n’a pas été apportée par le législateur depuis 1994.

Pourtant, le médecin comme la sage-femme peut voir sa responsabilité engagée devant les juridictions répressives, même si depuis le nouveau code pénal, on ne trouve plus de référence explicite à une sanction encourue. Le médecin est par exemple passible de poursuites pour violation de secret professionnel sur le fondement de l’article 226-13 du code pénal (Crim. 8 avril 1998, Bull. n° 138 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007070746 ). Ce risque pénal n’a pas disparu du simple fait qu’il n’est plus explicitement inscrit dans le code de la santé publique.

Une possible sanction entre les lignes ?

La construction de l’article et sa rédaction nous paraissent renvoyer au secret professionnel dont la violation est passible des sanctions prévues dans le code pénal :

- la référence explicite à la notion de secret et jamais à celle de confidentialité ou à la discrétion ;

- une formulation («  Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre ») similaire à celle utilisée dans d’autres articles traitant du secret professionnel

- Un périmètre des informations concernées (« ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel ») identique à celles du secret professionnel

- Des conditions de partage encadré par le même principe (« informations soient strictement nécessaires ») que dans tous les textes relatifs au partage d’information à caractère secret

- Un niveau de sanction évoqué dans le L1110-4 du CSP  (« Le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. ») du même niveau que celui prévu au 226-13 du code pénal.

L’utilisation dans l’article de l’expression « le secret médical » à deux reprises. Nous savons que l’expression « secret médical » est en fait l’obligation de secret professionnel des professions médicales dont le non-respect est passible des sanctions prévues au 226-13 du code pénal.

Dans le doute, l’une des méthodes traditionnelles est de se rapprocher des travaux parlementaires. On pourrait par exemple reprendre la première mouture de l’article L.1110.4 du Code de santé publique, créé par la loi Kouchner de mars 2002, qui définissait jusqu’alors le partage en milieu médical. Dans sa présentation de cet article le rapporteur précise « Le secret médical, forme du secret professionnel, est un principe fondamental de la médecine et mérite une protection particulière. On ne peut y déroger que dans les cas prévus par la loi. Il doit aujourd'hui être réaffirmé mais également intégré dans un contexte différent. […]. Ce partage du secret médical nécessite, en règle générale et sauf impossibilité, l'accord du malade ; cet accord peut cependant, pour des raisons pratiques évidentes, être présumé dans le cas de la prise en charge par une équipe de soins dans le cadre d'un établissement de santé » ( http://www.assemblee-nationale.fr/11/projets/pl3258.asp, voir également http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r3263-11.asp#P547_108556.

En reprenant la même méthode au débat de 2016, les mêmes travaux préparatoires font clairement référence à la notion de secret professionnel et à la nécessité du partage d’informations. Lisons par exemple le rapport sénatorial et la présentation du nouvel article L.1110.4 : le «partage de ces données s’inscrit dans le nécessaire respect du secret professionnel dont l’atteinte fait l’objet de sanctions mentionnées à l’article 226-13 du code pénal. Seul un texte de loi peut y déroger. Instaurer un secret partagé nécessite une dérogation législative ainsi que l’observance des principes de la protection des données personnelles fixés par la loi du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ».

Chacun peut constater l’existence d’un faisceau convergent d’éléments laissant penser que nous sommes plus proches dans cet article de l’obligation de secret professionnel dont le non-respect est passible de poursuites pénales, que d’une simple obligation de confidentialité, exposant à des conséquences seulement administratives ou civiles.

Un secret, des obligations différentes ?

Le secret des informations les concernant auquel ont droit les patients pourrait-il être de différente nature de la part des différents acteurs professionnels qui ont à connaître sa situation ? Entre le médecin et l’accompagnant éducatif, (tel que mentionné au 2°- b de l’article R1110-2 du code de santé publique) pourrait-on tenir l’information secrète avec la même force si l’obligation légale n’était pas de même niveau pour tous ceux qui en ont connaissance du fait de leur profession ?   

Le risque pénal comme corolaire du L1110-4

Au regard du texte, de son contenu et des décrets du 20 juillet 2016, il nous semble qu’une tendance se dégage. Celle d’une probable interprétation par les juridictions répressives allant dans le sens d’une violation du 226-13 du code pénal pour tout professionnel concerné par l’article L1110-4 du CSP et dans les décrets du 20 juillet 2016 qui divulguerait des informations à caractère secret hors des cas prévus par la loi.

Certes, le texte ne prévoit pas explicitement la possible sanction prévue à l’article 226-13 du code pénal. Cependant, il nous semble que la soumission au secret professionnel et le risque de sanction pénale qui l’accompagne sont ici indissociables : le secret professionnel et son régime juridique sont le corollaire du droit au secret du patient prévu par l’article L1110-4 du code de la santé publique.

Si le principe de légalité, qui dispose qu’une personne ne peut être condamnée pénalement que si un texte clair prévoit l’existence d’une infraction et les sanctions encourues, semble fermer la possibilité de sanction pénale, n’oublions pas qu’il reste au juge une marge d’interprétation.

Certains préfèrent attendre la jurisprudence qui ne manquera pas d’intervenir. Pour notre part nous prenons comme position d’alerter les professionnels concernés par les modifications apportées en 2016 sur le risque réel de sanction pénale en cas de violation du secret auquel a droit le patient. 

L'article 1110-4 du CSP ne restreint-il pas les possibilités d’échange aux seules informations médicales entre professionnels sanitaires, sociaux & médico-sociaux,voire uniquement entre professionnels sociaux & médico-sociaux ?

Le Décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 est venu au cœur de l’été préciser les conditions d'échange et de partage d'informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs du social et médico-social et l'accès aux informations de santé à caractère personnel.

Il créé l’article R 1110-1 du code de la santé publique qui prévoit une double limite encadrant les informations pouvant (sans caractère obligatoire) être partagées ou échangées. Cet article précise :

« Les professionnels participant à la prise en charge d'une même personne peuvent, en application de l'article L. 1110-4, échanger ou partager des informations relatives à la personne prise en charge dans la double limite :

1° Des seules informations strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention, ou au suivi médico-social et social de ladite personne ;

2° Du périmètre de leurs missions. »

On voit que même la circulation d’information concernant le suivi social est rendue possible par ce décret, entre deux professionnels qui ne sont pas nécessairement des métiers du médical. Cela se comprend car, par exemple, le retour au domicile d’un patient comporte des dimensions d’articulation des soins mais aussi des questions sociales.