La confidentialité des données médicales des agents en question dans la fonction publique ?

[Dernière minute : Selon une dépêche publiée par Le Figaro/AFP le vendredi 11 juin 2021 à 22h50, "Le Conseil constitutionnel, saisi par l'Unsa FP contre une ordonnance relative à la santé des agents publics accusée de «menacer» le secret médical, l'a déclaré vendredi «inconstitutionnelle» car elle porte effectivement atteinte au respect de la vie privée des agents, se félicite le syndicat." Cette décision confirme l'analyse d'Antoine GUILLET pour l'équipe de secretpro présentée ci-dessous.]

 

L’ordonnance du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique, dite « santé famille »,en particulier son article 7, vient modifier les règles d’accès aux données médicales dans le cadre des procédures d’accident du travail ou de maladie professionnelle dans la fonction publique. En réaction à ces dispositions, l’UNSA Fonction publique et l’association des DRH des grandes collectivités ont engagé un recours pour faire annuler l’article 7 de cette ordonnance. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel le 6 avril dernier. L’occasion pour l’équipe de Secretpro.fr de se pencher sur cette ordonnance.

L’article 7 prévoit que « nonobstant toutes dispositions contraires, peuvent être communiqués, sur leur demande, aux services administratifs placés auprès de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir de décision et dont les agents sont tenus au secret professionnel, les seuls renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis par le présent article ». Ainsi, l’UNSA craint que cet article permette à des agents des services RH et non plus seulement les agents rattachés à un service de médecine de prévention (autrement appelé médecine conseil) d’accéder sur leur demande aux renseignements médicaux nécessaires à l’examen des droits liés à une procédure d’accident du travail ou de maladie professionnelle [1]. De ce point de vue, cette crainte apparaît effectivement légitime.

Toutefois, la formulation de cet article 7 apparaît ambigüe et peu claire. Nous comprenons que des agents des services administratifs dépendant de la direction concernée (RH notamment) peuvent, sous réserve d’être tenus au secret professionnel, demander l’accès aux renseignements médicaux nécessaires à l’examen des droits de l’agent. Ainsi, notre interprétation de ce texte s’oriente vers un caractère cumulatif des conditions : à savoir être un agent des services administratifs compétents et soumis au secret professionnel. Il paraît donc important de revenir sur les conditions de soumission au secret professionnel des fonctionnaires.

Comme nous le rappelons sur le site www.secretpro.fr, contrairement à une idée répandue, les fonctionnaires ne sont pas tous soumis au secret professionnel. La formulation de l’article 26 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 (dîte Loi Le Pors) n’aide pas à y voir clair : « Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal ». Or, les règles du code pénal définissent, à l’article 226-13 du dît code, que les professionnels sont soumis au secret selon quatre modalités : « par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ». Nulle mention d’un statut (fonctionnaire) parmi les quatre modalités. L’entrée pour savoir si un professionnel est soumis ou pas au secret est simple : il doit exercer dans un cadre (état, profession, mission ou fonction) pour lequel un texte de droit a précisé qu’il soumet au secret. Que ce soit dans son institution ou sur un territoire, le simple fait d’être fonctionnaire ne suffit pas à savoir si la personne est soumise au secret.

Les agents des services administratifs, dont les services RH, des différentes fonctions publiques visés par cet article 7 sont donc soumis à un devoir de discrétion professionnelle –comme tout fonctionnaire (par le même article de loi)- mais a priori pas au secret professionnel car aucun texte de loi ne les y soumet. Or le principe de légalité des peines conduit à ce qu’on ne puisse être à une exigence pénale qu’en vertu d’une disposition légale et précise.

Les professionnels soumis au secret et intervenant dans le cadre d’une procédure d’accident du travail ou de maladie professionnelle sont donc les médecins conseil ou de prévention, éventuellement les médecins du travail ainsi que les professionnels de santé rattachés à ces médecins. Les agents des services RH et des différentes directions auxquelles appartient le « pouvoir de décision » ne sont pas nécessairement soumis au secret professionnel. Il sera donc intéressant de prendre connaissance de la réponse du Conseil constitutionnel sur cette ordonnance car de notre point de vue cette ordonnance ne permet pas l’accès par des services RH aux données médicales.

Enfin, sur le fond de l’inquiétude manifestée par l’UNSA et les DRH des grandes collectivités, il est important de rappeler la nécessaire frontière entre les informations concernant la vie privée des personnes (dont les données médicales dont partie) sur leur lieu de travail et celles relevant de leur vie professionnelle. Il s’agit d’une frontière structurante autour de laquelle s’organise l’activité des services de santé au travail, des services de médecine-conseil et des services sociaux du travail. Cette frontière permet également la différenciation des rôles de chacun, notamment dans le cadre des accidents du travail et maladies professionnelles, entre accompagnement, prévention, contrôle et gestion des ressources humaines. Il en va d’un équilibre entre les pouvoirs de l’employeur et les droits des salariés ou agents de la fonction publique.

Pour l’équipe de Secretpro.fr,

Antoine GUILLET