Secret professionnel et épreuve de professionnalité

La notion de secret professionnel renvoie de manière quasi automatique au cadre légal et aux règles de Droit qui l’organisent. Elles définissent les professionnels soumis au secret ainsi que les situations d’interdiction, d’autorisation ou d’obligations de transmettre ou partager une information. Ce cadre légal s’est densifié et complexifié le rendant difficilement lisible pour les professionnels et encore davantage pour les personnes qu’il est censé protéger.

Mais le secret professionnel est aussi un principe démocratique qui, selon son respect, donne à voir l’état d’une société et son évolution. « La philosophie d’un Etat se manifeste à travers le respect du secret tel qu’il le conçoit. On pourrait dire que le statut du secret professionnel et le droit au secret des individus sont le baromètre qui permet à un sociologue de savoir à quel type de société il a affaire. » (1)

C’est également une règle déontologique forte pour des professions telles que celles de médecin et d’assistant de service social. Concernant cette dernière, il revêt d’ailleurs une composante identitaire. Il n’est pas rare que certains assistants sociaux parlent de « leur secret professionnel » ou « leur déontologie ». Cette profession s’est forgée historiquement par une appartenance forte à un groupe professionnel organisé autour d’un diplôme d’Etat, un code de déontologie et des principes forts tel que celui du secret professionnel qui est à mon sens différent de simples notions de confidentialité ou de respect de la vie privée, même si elles sont bien évidemment liées et importantes. A tel point que la notion de trahison est souvent employée dès lors qu’un professionnel est en proie au doute quant à l’éventualité de transmettre ou partager une information, signaler ou non une situation de danger ou encore échanger de la situation d’une personne avec un autre professionnel.

Par ailleurs, le travail social est une fonction d’intermédiaire, d’exercice dans les interstices de la société qui nécessite de coopérer avec un certain nombre d’acteurs autres que la personne qui fait appel à ces professionnels. Nous pouvons donc repérer que les professionnels du travail social soumis au secret professionnel par profession ou mission se retrouvent dans une double injonction que l’on peut qualifier de paradoxale : celle de se taire tout en coopérant et ce, bien entendu, dans l’intérêt de la personne… la question étant de savoir qui définit l’intérêt de la personne.

Epreuve de professionnalité, démonstration de la capacité à faire

C’est à ce moment de la réflexion que la notion sociologique d’« épreuve de professionnalité » est pertinente. La professionnalité est ici entendue comme « l’art d’habiter une profession, avec ses engagements, ses compétences, ses règles de l’art, ses supports et ses limites » (2).

L’épreuve de professionnalité peut se définir comme une épreuve professionnelle au sein de laquelle le professionnel « fait la preuve de ses capacités à faire » (3). Ainsi, les processus de « mise en doute » du positionnement, de la pratique et, dans le même temps, de développement de l’exercice professionnel sont considérés comme indissociables. 

Ce qui est donc intéressant d’observer, c’est la manière dont les professionnels vont, au sein même de l’action, gérer l’incertitude et parfois déroger au travail prescrit tout en donnant un sens à leur acte. Concernant la question du secret professionnel, lorsque le cadre formalisé ne permet pas de décider ce qu’il convient de faire en matière de partage ou de transmission d’informations, alors s’engage un processus éthique fondé sur l’incertitude ; inconfortable et pourtant oh combien nécessaire. 

Mais alors si ce n’est pas le Droit, le cadre institutionnel ou la déontologie, autrement dit le travail prescrit, qu’est-ce qui va déterminer l’action du professionnel et comment va-t-il lui donner un sens ?

Christophe DESJOURS (4) développe à ce sujet deux idées que je vulgarise ici volontairement : la nécessité de reconnaissance du travail réel par les pairs et par la hiérarchie et, pour cela, l’existence d’espaces de discussion. 

Je pense que nous pouvons nous approprier cette pensée lorsque nous sommes aux prises avec la question de se taire ou non.

Tout d’abord, en sortant de l’idée de « bonnes pratiques », je pense qu’il est indispensable de pouvoir susciter la controverse au sein des équipes et des institutions sur ce sujet. Le silence n’est pas toujours vertueux tout comme la politique du parapluie n’est que rarement gage de protection. Le débat, la friction, permettent de mettre les désaccords en commun et donc de socialiser l’incertitude des acteurs. Ainsi, il devient possible de reconnaître ou d’inventer de nouvelles pratiques construites en situation mais pouvant monter en généralité confrontées au vécu des pairs et à l’absence de solution normative par l’institution. 

Ces espaces de discussion peuvent être informels (café, soirées entre collègues, débat entre deux réunions, etc.) comme formels (réunions de service, Analyse des pratiques professionnels entre autres) du moment qu’une réflexion collective est engagée sans volonté immédiate d’apporter une solution normative ou prescriptive.

Pour conclure cet essai d’écriture sur cette question, je dirais que professionnalité et incertitude sont indissociables tout comme le sont l’éthique et la controverse. 

Antoine GUILLET

Notes :

1 André Damien, Le secret nécessaire, Desclée de Brower, 1989, p.19

2 Bertrand RAVON, Repenser l’usure professionnelle des travailleurs sociaux, Informations sociales, 2009/2, n°152, p.60-68

3 Ibid

4 Christophe DEJOURS, Le facteur humain, PUF, Que sais-je ?, 2014