ETRANGERS : FRAUDEURS ! Vers un nouveau cas d'affaiblissement du secret professionnel ?

Provocation ? Non projet de loi ! C’est bien l’idée que sous-tend l’article 25 du projet de loi gouvernemental relatif au droit des étrangers en France. Passé inaperçu et placé en toute fin de ce projet, cette disposition marquerait une atteinte sans précédent au secret professionnel.

Une atteinte sans précédent au secret professionnel

 

Un article L. 611-12 du Code des étrangers disposerait demain :

«Sans que s’y oppose le secret professionnel autre que le secret médical, les autorités et personnes privées visées aux alinéas suivants transmettent à l’autorité administrative compétente, agissant dans l’exercice des missions prévues au présent code et sur sa demande, les documents et informations strictement nécessaires au contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou de l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution d’un droit au séjour ou de sa vérification ».

Ainsi donc les administrations intervenant en droit des étrangers (préfectures, OFII, OFPRA) pourraient solliciter nombre d’institutions pour vérifier si les documents présentés par les étrangers ne sont pas frauduleux. Rappelons que pour obtenir un titre de séjour de plein droit ou une régularisation l’étranger doit justifier de son domicile, de son état civil et souvent de son ancienneté sur le territoire par de multiples justificatifs (sociaux, bancaires, administratifs, médicaux, scolaires….).

Présumés fraudeurs, les étrangers seraient donc soumis à des contrôles administratifs qu’aucun autre administré ne saurait connaitre. Et pour s’en convaincre lisons la liste des institutions déliées du secret professionnel face à une telle demande :

« Ce droit de communication s’exerce, à titre gratuit, quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents, auprès :

« – des administrations fiscales ;

« – des administrations chargées du travail et de l’emploi ;

« – des autorités dépositaires des actes d’état civil ;

« – des organismes de sécurité sociale et de l’institution visée à l’article L. 5312-1 du code du travail ;

« – des collectivités territoriales ;

« – des chambres consulaires ;

« – des établissements scolaires et d’enseignement supérieur ;

« – des fournisseurs d’énergie, de télécommunication et d’accès internet ;

« – des établissements de soin publics et privés ;

« – des établissements bancaires et des organismes financiers ;

« – des entreprises de transport des personnes ;

« – des greffes des tribunaux de commerce."

D’EDF à la RATP, du service social à la mairie, de l’école à l’hôpital, on peine à trouver une institution pouvant échapper à une telle sollicitation. Ah si : les services judiciaires (SPIP, PJJ, …). Parions qu’on ne les oubliera pas lors du débat parlementaire.

 

Le secret professionnel balayé par la simple demande d'une administration

Il suffira donc à la préfecture de dire qu’elle effectue sa demande dans le cadre d’une demande de titre de séjour pour délier du secret des dizaines de services et institutions. En 2004, au moment de la loi Perben, on avait pu critiquer un cas de levée du secret professionnel sans mandat judiciaire. Codifié à l’article 60.1 du code de procédure pénale il permet aujourd’hui à un simple officier de police judiciaire de réquisitionner un dossier social dans le cadre d’une enquête de flagrance.

Ici le cadre de réquisition est encore plus large : une simple administration (et pas un OPJ), aucun délit présumé et encore moins d’enquête de flagrance. Juste le fait que le demandeur soit étranger. Au moins le texte de 2004 prévoyait-il la possibilité d’opposer à cette réquisition « un motif légitime » autre que le secret professionnel. Il n’y ici aucune possibilité de refuser de répondre à cette sollicitation. Sauf à miser sur l’absence de sanction en cas de non-respect.

Seule limite, le secret médical serait lui protégé. On pourra donc solliciter un «établissement de soins (nous rajoutons un « s » oublié par le projet) publics ou privés » pour s’assurer que l’étranger a bien fréquenté ce lieu, que les attestations qu’il a pu présenter en préfecture sont bien authentiques mais on respectera le secret médical… Le projet prévoit même la possibilité d’une consultation directe des fichiers détenues par lesdites institutions : « L’autorité administrative définie au premier alinéa peut, aux mêmes fins, consulter les données pertinentes détenues par ces autorités et personnes privées. » Pendant combien de temps ? De quelle manière ? Tout cela semble bien anecdotique.

Mesurons les effets d’une telle disposition. Retards accrus dans les instructions des demandes, informations données à des institutions sur le doute que tel étranger peut susciter mais surtout mise à mal de la vie privée et des libertés fondamentales des intéressés. Ce texte passera-t-il le cap du conseil constitutionnel ? S’il est saisi il y a fort à parier qu’il le sera plus à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’en raison d’une grande vigilance de 60 parlementaires de l’actuelle opposition. Normalement devrait se poser la question juridique d’une aussi large atteinte aux libertés sans la moindre intervention judiciaire.

Normalement devrait également être interrogée par le même Conseil l’atteinte au principe d’égalité devant la loi entre français et étrangers. Mais le plus judicieux est de ne pas miser sur cette vigilance et ne compter que sur la mobilisation des professionnels d’action sociale face à une telle atteinte au secret professionnel.

 

Christophe DAADOUCH, juriste, formateur.

Contact : christophe.daadouch (at) free.fr