Obligation de signalement ou simple incitation ? Premières analyses sur la loi du 5 novembre 2015

Vient d’être publiée au JO la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé. Sans reprendre l’analyse d’Antoine Guillet parue sur ce même blog il y a quelques mois, reprenons brièvement le contenu du texte désormais définitif.

L’essentiel du texte porte sur une double modification de l’article 226.14 du code pénal.

1ère modification de la loi : l'extension des professionnels de santé concernés 

Alors que jusqu’alors la loi prévoyait un régime dérogatoire au secret pour le médecin qui signale des « sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises » cette possibilité est étendue à l’ensemble des « professionnels de santé ».

Doivent être considérés comme professionnels de santé ceux qui relèvent de la quatrième du Code de santé publique au Livre Ier (les professions médicales), au Livre II (les professions pharmaceutiques) et au livre III (les auxiliaires médicaux). Sont donc concernés, outre les médecins, les chirurgiens-dentistes, sages femmes, pharmaciens, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, orthoptistes, manipulateurs en électroradiologie médicale, audio-prothésistes, opticiens-lunetiers, psychothérapeutes et conseillers en génétique.

2ème modification : deux lieux possibles de "signalement"

Constatant « une certaine réticence des médecins à s'adresser directement à l'autorité judiciaire », le Parlement permet désormais aux métiers ci-dessus cités d’adresser leurs écrits directement à la Cellule des informations préoccupantes. Reste que dans nombre de départements des médecins ont, ces dernières années, fait savoir qu’ils ne souhaitaient échanger avec ladite cellule que si celle-ci comprenait un médecin. C’est ce qui a par exemple conduit de nombreuses CRIP (Paris, Seine saint Denis, Vendée, Ile et Vilaine…) à recruter en leur sein un médecin « référent », interlocuteur au sein de la cellule pour le versant médical des situations. Dans les autres départements cette modification restera probablement sans incidence. Au demeurant cette disposition fait clairement doublon, comme le fait remarquer Antoine Guillet, avec l’article 226.2.1 du CASF.

3ème modification : une quasi-immunité pour le signalant 

La loi prévoit une immunité juridique quasi absolue en précisant que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. »

Distinguons les trois risques

Sur le risque disciplinaire, la loi ne change rien depuis sa modification de 2004. Pour mémoire, avant 2004 des risques de sanction existaient pour les médecins si le signalement était classé sans suite. L’Ordre des médecins suspendait en effet ses sanctions ordinales pour violation du secret médical aux suites données au signalement. Une éminente pédopsychiatre, Catherine Bonnet, a ainsi été condamnée à neuf ans d’interdiction d’exercer par le Conseil de l’ordre d’Île-de-France, pour avoir signalé aux autorités judiciaires le cas de jeunes enfants victimes d’agressions sexuelles de la part de leurs parents. Après appel devant le Conseil de l’ordre national, cette peine avait été ramenée à 15 jours et deux blâmes.

Une loi du 30 Janvier 2004 était intervenue pour protéger les médecins et préciser : « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire ».

Sur le terrain pénal, quel serait le risque ? La dénonciation calomnieuse ? Selon l’article 226-10 du Code pénal cette infraction suppose « la dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact (nous soulignons, NDR), lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ». La dénonciation calomnieuse suppose donc une manifeste mauvaise foi dont nous n’avons eu à connaitre aucune expression.

Le seul « apport » serait donc sur le terrain de la responsabilité civile. Pour mémoire, l’un des plus anciens articles du Code civil, l’article 1382, prévoit que «Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Ce qui suppose classiquement une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux.

La responsabilité civile du professionnel serait donc dégagée du seul fait qu’il a signalé, quel que soit le préjudice occasionné, quand bien même serait-il fautif. Imaginons qu’il fasse remonter une information préoccupante sans information préalable des parents pourtant prévue par les textes, doit-on l’exonérer de toute responsabilité ? Un médecin qui créé un préjudice médical peut être amené à réparer, celui qui signale ne le serait jamais.

On voit bien la volonté de faciliter, à défaut de rendre obligatoire (c’était dans le projet initial), les signalements. D’autant que l’article 1383 qui sanctionne civilement lui l’inaction –comprendre ici l’absence de signalement- est toujours lui en vigueur. Dans le doute donc signalons !

Enfin la loi modifie à son article 2 une loi de 2010 sur les violences familiales. Selon cette disposition : «la formation initiale et continue des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des fonctionnaires et personnels de justice, des avocats, des personnels enseignants et d'éducation, des agents de l'état civil, des personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs, des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, des personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents des services pénitentiaires comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes, sur les mécanismes d'emprise psychologique, ainsi que sur les modalités de leurs signalements aux autorités administratives et judiciaires ».

Doit-on rappeler que la loi réformant la protection de l’enfance de 2007 prévoyait déjà que «Les médecins, l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels enseignants, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs et les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale reçoivent une formation initiale et continue, en partie commune aux différentes professions et institutions, dans le domaine de la protection de l'enfance en danger ».

A ceci près qu’aucune contrainte juridique n’a été posée, que les «référentiels » de formation n’ont pas été modifiés en conséquence et qu’aucune des institutions n’a été positionnée pour mettre en œuvre les formations « communes » entre ces métiers.

Un bilan sérieux de la loi de 2007 aurait montré qu’il ne suffit pas d’appeler à la formation des professionnels si les exigences et les moyens afférents ne sont pas posés.

Pour conclure

Concluons sur le titre de la loi : « tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé ». Contrairement à son intitulé, elle aborde non seulement le signalement mais aussi informations préoccupantes. Elle dépasse tant « les maltraitances » que « les professionnels de santé » en créant une forme d’immunité juridique pour les professionnels y compris d’action sociale. Enfin, quant au terme de « clarification » il cache l’objectif qui est surtout la « systématisation ».