Mieux qu’une crème anti-âge et en plus gratuit. En lisant le récent rapport sur la justice des mineurs(1), le résultat est immédiat : vous perdrez douze ans. Surtout en vous intéressant à son chapitre consacré au « Secret partagé ».
Résumons : en 2007 la loi dite prévention de la délinquance prévoyait à son article 5 le partage d’informations entre les travailleurs sociaux et les maires dans le cadre de la prévention de la délinquance. Oui mais voilà les professionnels éducatifs ne sont bien pas disciplinés, surtout quand leurs pratiques sont définies par un ministre de l’Intérieur. On les refait pas les éducs, ils n’aiment pas l’ordre. Pour preuve, ils n’en ont même pas (d’Ordre).
En 2011, François Fillon s’en était agacé. Comment cela des gens ne respectent pas la loi et sont payés pour cela ? : « nous avons décidé de mieux définir la notion de secret professionnel partagé et de travailler à ce qu’elle soit acceptée par les travailleurs sociaux, par les forces de l’ordre et par les enseignants » (2). Et du coup une « charte déontologique pour l’échange d’informations dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance » fut élaborée en 2010 qui devait permettre de délier les langues.
Eh bien vous savez quoi ? Toujours rien…
Voilà que deux députés viennent d’avoir une idée sans précédent : il faut « redéfinir la notion de secret partagé dans le champ de la lutte contre la délinquance des mineurs ». Espérons pour eux qu’ils ont déposé un brevet à l’INPI (institut national de la propriété industrielle) car leur fortune est assurée sur plusieurs générations.
Ils ont même l’exigence scientifique de présenter les méthodes de recherche qui leur ont permis d’aboutir à une stupéfaction qui n’aurait d’égale dans l’histoire que celle –toute proportion gardée- de Neil Armstrong, de Christophe Colomb ou de Bernadette Soubirou.
Lisons donc : « Les éducateurs et les magistrats se montrent parfois réticents à partager des informations avec les forces de l’ordre. Actuellement, les différentes professions sont soumises au secret professionnel dont la rupture constitue une infraction pénale. Il existe en revanche une tolérance de la jurisprudence face à la divulgation d’informations entre professionnels en vue de permettre la bonne exécution de leur mission. Certains codes de déontologie, notamment celui des assistants de service social, le permettaient dans certaines conditions. Toutefois, il en découlait « une grande incertitude sur ce qui était ou non permis, notamment dans le cadre de partenariats élargis ». La loi de 2007 réformant la protection de l’enfance a créé une obligation de transmission des informations préoccupantes concernant un mineur en danger. Il apparaît indispensable à vos rapporteurs de définir un cadre d’échange des informations confidentielles pertinentes sur les mineurs et sur la nature de la délinquance existante à l’échelle du quartier, de la commune ou de l’intercommunalité ».
Analysons donc méthodiquement la construction scientifique :
1ere phrase : réticents seraient les magistrats et éducateurs à échanger avec les forces de l’ordre. Peut-être qu’ils n’ont pas le droit : cela s’appelle le secret professionnel.
2eme phrase : les différentes professions sont soumises au secret professionnel. Lesquelles ? toutes ? ou celles-ci avant : même pas vrai.
Les 3eme, 4eme et 5eme phrases : il s’agit du copié-collé d’un article d’une magistrate(3), mais curieusement amputé de paragraphes importants. Après avoir évoqué une tolérance jurisprudentielle « face à la divulgation d’informations entre professionnels », cette dernière précisait que cette tolérance vise à permettre que des échanges "tels que des synthèses de protection de l’enfance ou des réunions d’équipe d’assistants de service social et d’éducateurs ". Rien à voir avec les forces de l’ordre donc. Est également retiré le paragraphe important où l’auteur rappelle la position du ministère de la Justice, saisi par l’Association Nationale des Assistants de Service social, qui « avait rappelé que le partage d’informations ne pouvait déroger ni au secret professionnel ni au devoir de discrétion » alors que le procureur de la République de Montpellier avait pris position en faveur du partage d’informations dans le cadre du contrat local de sécurité de Montpellier.
6eme phrase : alors là, argument massue que personne n’a vu venir, un dribble à la Lionel Messi : « La loi de 2007 réformant la protection de l’enfance a créé une obligation de transmission des informations préoccupantes concernant un mineur en danger ».
Et de conclure, avec une transition tellement fine qu’on la voit pas, bouquet final d’une fin de concert de Jean Michel Jarre : « Il apparaît indispensable à vos rapporteurs de définir un cadre d’échange des informations confidentielles pertinentes sur les mineurs et sur la nature de la délinquance existante à l’échelle du quartier, de la commune ou de l’intercommunalité ». Enivré par un tel spectacle, ajoutons … du département, du monde, de l’univers. Et finalement peu importe avec qui on échange, pour peu qu’on ait l’ivresse.
Le partage d’informations est en marche, c’est désormais gagné. Tout éducateur qui aura lu cet extrait du rapport parlementaire, et la force d’un argumentaire que Martin Luther King n’aurait pas désavoué, sera désormais convaincu (en un seul mot) que ces appréhensions étaient infondées et qu’il a perdu trop de temps dans des atermoiements stériles. Pour nous enfin cela fermera définitivement ce chapitre et nous permettra de ne plus recevoir de stupides questions de gens qui s’interrogent sur leur éthique ou sur les droits des jeunes et de leurs familles.
Christophe DAADOUCH
(1) Rapport Terlier et Untermaier, Assemblée nationale, 20 février 2019.
(2) Discours du 2 octobre 2009 à Villeneuve la Garenne.
(3) Muriel Eglin, « Secret partagé en protection de l'enfance » dans Enfances & Psy 2008/2 (n° 39), pages 65 à 75.