Service social du travail et protection de l’enfance : Quelles limites ? Quel positionnement de l’assistant social ?

Les assistants sociaux exerçant directement en entreprise ou au sein d’un service social interentreprises peuvent être amenés à intervenir auprès des salariés en lien avec une problématique familiale et/ou éducative même si parfois cela ne constitue pas forcément la « porte d’entrée » du salarié qui s’adresse à l’assistant social de son entreprise. Pour autant, ces professionnels n’ont a priori pas à intervenir sur des questions relatives à la protection de l’enfance. Ce contexte comporte donc des marges de manœuvre certaines mais également des zones d’incertitudes au sein desquelles les assistants sociaux du travail se sentent parfois en difficulté. Suis-je légitime pour intervenir et avec quelles limites ? Suis-je « hors-cadre » ? Dois-je transmettre obligatoirement une IP au Conseil Départemental dans la mesure où j’ai identifié un danger ou un risque de danger ? Puis-je partager des informations à caractère secret avec d’autres professionnels intervenant auprès de la famille ? C’est pourquoi je vais tenter ici d’analyser les marges de manœuvre existantes sur les plans légal, institutionnel et déontologique permettant de construire un positionnement professionnel adapté à la situation singulière d’un salarié et porteur de sens.

Sur le plan légal : secret et protection de l'enfance

Les assistants sociaux exerçant au sein d’une entreprise ou d’un service social interentreprises se situent parmi les nombreux professionnels n’exerçant pas de mission d’aide sociale à l’enfance et intervenant sans mandat qu’il soit administratif ou judiciaire. (http://secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-protection-enfance/situations-contextes/hors-mission-mesure)

Cela signifie qu’ils doivent garder secrètes les informations concernant la situation de l’enfant sous réserve des conditions prévues par les articles 226-14 du Code pénal et 375 du code civil, en termes de danger, de privations ou de sévices, et qui peuvent autoriser un signalement au Procureur de la République. 

En effet, les assistants sociaux du travail sont exclus des dispositions de l’article 226-2-2 du CASF permettant un partage d’informations à caractère secret entre professionnels soumis au secret et concourant à la protection de l’enfance sous certaines conditions (http://secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-legislation-commentee/code-action-sociale-familles/article-226-2-2). Toutefois, un partage anonymisé sur la situation d’un mineur est tout à fait possible et même souhaitable afin de construire une analyse croisée du processus d’intervention engagé par le professionnel. Précisons à ce sujet que l’anonymat devrait être de rigueur lorsque la nécessité de dévoiler le nom de la personne n’apparaît pas clairement. Ceci est loin d’être respecté et nous pourrions prendre pour exemple un certain nombre de commissions devant décider de l’octroi de telle ou telle aide financière. Mais cela n’est pas le sujet principal de cet article. 

Finalement, dans le cadre de ses missions, notamment d’accompagnement des salariés autour d’une problématique familiale et éducative, l’assistant social exerce donc une mission préventive au sein d’un espace « hors-dispositif » fondé sur la libre-adhésion et la co-construction de pistes de solutions avec le salarié et sa famille. La limite de cet espace de travail dépend essentiellement de l’évaluation que l’AS va réaliser de la situation familiale et du niveau de danger ainsi que de sa capacité à intervenir avec le cadre et les moyens qui sont les siens. 

En effet, s’il estime que son action ne suffit pas à réduire le niveau de danger ou est inadaptée, il a la possibilité de transmettre une information préoccupante à la Cellule de Recueil et de Traitement des Informations Préoccupantes (CRIP) (http://secretpro.fr/secret-professionnel/fiches-legislation-commentee/code-action-sociale-familles/article-226-2-1) en informant, sauf intérêt contraire de l’enfant, les personnes exerçant l’autorité parentale. 

Dans la mesure où l’AS du travail exerce sans mandat ni mission de protection de l’enfance et que le signalement au Procureur, tout comme la transmission d’une information préoccupante, sont des possibilités de dérogation au secret professionnel et non des obligations, la marge de manœuvre légale est bien réelle et la construction du positionnement professionnel va donc consister à peser le rapport bénéfice/risque pour chaque orientation imaginée de l’intervention

Sur le plan institutionnel : secret et marges de manoeuvres

Le cadre d’emploi de l’assistant social du travail peut varier selon les attentes de l’entreprise et/ou du service social interentreprises qui l’emploie. En effet, d’une entreprise à une autre, d’un service social à un autre, les missions principales liées aux questions de maintien dans l’emploi, de prévention des risques psycho-sociaux ou de soutien budgétaire sont constantes, mais l’autonomie laissée à l’AS sur des questions plus limitrophes telles que les problématiques familiales et éducatives peut varier. 

Cependant, l’assistant social peut argumenter son positionnement et demander que soit clairement indiqué dans sa fiche de poste la possibilité d’intervenir sur de telles questions. En effet, si l’on reprend l’article L.4631-2 du Code du travail qui définit la mission d’un service social du travail, l’AS peut légitimement intervenir avec la libre-adhésion du salarié sur une pareille problématique : « Le service social du travail agit sur les lieux mêmes du travail pour suivre et faciliter la vie personnelle des travailleurs »

L’assistant social du travail est donc en quelque sorte polyvalent mais auprès d’un public précis que sont les salariés d’une entreprise donnée. Cela s’appelait auparavant la « polyvalence de catégorie ». 

Il ne s’agit bien entendu pas de nier que la spécificité de l’assistant social du travail est d’intervenir sur le lieu de l’entreprise à la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle, mais plutôt de défendre l’autonomie du professionnel dans son positionnement lorsqu’il s’agit de choisir d’engager, de poursuivre ou de mettre un terme à une intervention. L’AS est le mieux placé dans sa relation avec le salarié pour évaluer la pertinence du cadre d’intervention et l’orientation à proposer. 

Accompagner un salarié lorsqu’il se sépare de son conjoint ou sa conjointe, le soutenir dans ses fonctions parentales, l’orienter vers des structures spécialisées, etc. Tout cela peut tout à fait relever des compétences d’un AS du travail sans pour autant justifier la saisine d’une autorité, à condition d’avoir les moyens d’intervenir. Par exemple, si un AS n’est présent qu’un jour par mois dans une entreprise, il lui sera difficile de mener à bien une intervention nécessitant une présence très régulière auprès du salarié. 

Sur le plan déontologique : autonomie du positionnement

Si l’on se réfère au Code de déontologie de l’ANAS (Association Nationale des Assistants de Service Social), dont la dernière version date de 1994, on peut retenir l’article 7 de ce dernier : 

« Tenant compte de la nature et des objectifs de l’organisme employeur, il [l’assistant de service social] s’assure qu’il peut disposer de l’autonomie nécessaire : 

- Pour choisir la forme de ses interventions et les moyens à employer ; 

- Pour décider de la poursuite ou de l’arrêt de son action. »

Cet article reprend et affirme donc l’idée d’une autonomie de positionnement dans la mesure où cela ne vient pas en contradiction avec les missions confiées par l’employeur. Or, comme nous l’avons vu précédemment, le code du travail englobe l’ensemble de la vie personnelle du salarié. Cela ne signifie bien entendu pas que l’AS intervient seul et dans tous les domaines mais plutôt qu’il peut intervenir sur toute problématique avec l’accord de la personne et s’il estime être à même de le faire. 

 

Mon propos ne vise pas à affirmer que les assistants sociaux exerçant en entreprise doivent accompagner tout salarié qui s’adresse à eux et évoque des difficultés qui peuvent représenter un danger ou un risque de danger pour l’enfant. Ils ont par contre les marges de manœuvre légales, institutionnelles et déontologiques pour le faire

Ainsi en prenant en compte le cadre institutionnel, légal, leur système de valeur ainsi que la situation singulière du salarié et sa demande, nous pouvons déterminer la pertinence de notre intervention et son niveau. Quel est le risque que je prends, et que le salarié prend, en intervenant directement, en orientant ou en transmettant aux autorités compétentes la situation du mineur ? Quel est l’objectif poursuivi ? A partir de là, comment encadre-t-on ce risque choisi et quels moyens peut-on mettre en œuvre pour y répondre ? 

Par exemple, le fait de ne pas intervenir peut en effet être une stratégie d’intervention visant à préserver l’espace de travail existant sur un autre domaine en considérant que, pour ce salarié, un même intervenant ne doit pas « cumuler » les champs d’intervention. 

 

Pour conclure, il est essentiel de préciser que cette autonomie de positionnement et ces marges de manœuvre ne seraient pas du tout les mêmes en matière de prévention et de protection de l’enfance si les AS du travail n’étaient pas soumis au secret professionnel. Ce cadre légal est donc un préalable indispensable à l’exercice professionnel en entreprise et surtout à la protection des salariés qui viennent s’adresser à eux. 

 

Antoine GUILLET