Plan d’action en faveur du travail social et du développement social : quel avenir pour le secret professionnel ?

Le monde du travail social est en émoi après la présentation en Conseil des Ministres puis la publication du plan d’action en faveur du travail social et du développement social. Il faut dire que c’est l’aboutissement des Etats Généraux du Travail Social lancés dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté il y a plus de deux ans maintenant. Après de multiples rebondissements, reports et interrogations sur le fond et la forme de ces Etats généraux, nous connaissons donc désormais les ambitions du gouvernement pour le travail social.

Secretpro.fr a donc décidé de se pencher sur ce plan d’action. Toutefois, nous nous centrerons sur les mesures de ce plan qui vont impacter le secret professionnel et les pratiques de partage d’informations. Même si une seule petite partie, intitulée « Sécuriser ou outiller le partage d’information » est consacrée explicitement au partage d’informations, nous pensons que d’autres mesures sous-tendent une expansion si ce n’est une systématisation du partage et/ou de la transmission.

Le « premier accueil social inconditionnel de proximité »

Au chapitre I.4 du rapport, le gouvernement entend permettre un premier accueil accessible et inconditionnel qui « offre (à la personne) une écoute de la globalité de ses besoins afin de lui proposer, au plus tôt, une réponse adéquate ». On réinvente ainsi la polyvalence de secteur à moindre coût après l’avoir dénaturée et appauvrie par la multiplication des dispositifs à appliquer par les conseils généraux et la logique gestionnaire qui s’en suit. Ce qui nous intéresse c’est bien la manière dont un tel premier accueil peut se mettre en place sur un territoire. Il est a priori difficile d’être opposé à des notions telles que l’inconditionnalité de l’accueil et son accessibilité.

En l’occurrence, le plan d’action prévoit que ce premier accueil peut être organisé aussi bien par des travailleurs sociaux ou d’autres professionnels ou même des bénévoles. Ce premier accueil est donc présenté comme un premier contact donnant lieu à une réponse ou une orientation et sera organisé par le conseil départemental en lien avec les services de l’Etat sur le territoire et les CCAS.

Ce qu’il est intéressant de repérer, c’est que ce premier accueil est un lieu important puisqu’il s’agit soit d’intervenir directement auprès de la personne pour une difficulté « ponctuelle », soit d’orienter vers un dispositif ou même plusieurs et donc un « accompagnement global ». Le fait que cet accueil puisse être réalisé par des bénévoles ou des professionnels ne bénéficiant pas d’une formation et d’une qualification en travail social est préoccupant. En effet, comment écouter, apaiser, orienter, savoir se positionner sans la formation adéquate ? Ceci démontre bien que ce premier accueil a été pensé dans une logique de guichet avec une question = une réponse préétablie.

Concernant la confidentialité de ce premier accueil, nous pouvons déjà noter que si ces professionnels ne sont pas soumis au secret professionnel, leur marge de manœuvre quant à l’issue donnée au premier accueil est amoindrie. En effet, par exemple, si un parent se présente à un premier accueil afin de faire part de difficultés éducatives, celui-ci s’expose-t-il systématiquement à la transmission d’une information préoccupante au Conseil Général ? Orienter est un acte professionnel qui exige de pouvoir se positionner à travers un questionnement éthique, avoir des marges de manœuvre notamment légales et en avoir connaissance. Il ne suffit donc pas de connaître les droits et dispositifs dont une personne peut relever ou ne pas relever. Ce n’est pas parce qu’une personne est un sujet de droits qu’elle se limite à ceux auxquels elle peut accéder.

La fonction de « référent de parcours »

Dans la continuité du premier accueil et lorsqu’un « accompagnement global », donc mobilisant plusieurs dispositifs à la fois, est nécessaire, le plan d’action prévoit la désignation par la personne d’un « référent de parcours » chargé de la coordination entre les différents dispositifs. Cette disposition, qui va être expérimentée en 2016, nous semble en contradiction avec la volonté affichée dans le plan de placer la personne au cœur de l’intervention. Nous pouvons aujourd’hui faire le constat que ce n’est pas la multiplication des dispositifs, de la contractualisation, ni la logique de droits et devoirs qui ont permis de reconnaître la personne en tant que sujet, acteur et citoyen pouvant agir sur son environnement. Ceci pour une raison simple : le dispositif étant positionné comme la pierre angulaire de l’accompagnement, la personne étant considérée comme ayant besoin d’aide doit se plier au fonctionnement du dispositif afin d’être aidée. A partir de là, ce n’est pas parce qu’un « référent » fluidifiera les liens entre institutions et entre intervenants que la personne sera davantage actrice. Aussi nous pouvons donc poser la question suivante : ce « référent de parcours » n’est-il pas finalement qu’un outil interinstitutionnel de mise en œuvre simultanée de dispositifs ?

Par ailleurs, nous pouvons légitimement nous interroger sur cette nouvelle fonction de « référent » qui n’est pas sans rappeler la fonction de « coordonnateur » prévue par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et qui ne s’est concrètement jamais mise en œuvre. La différence est certes que le « référent de parcours » ne serait cette fois pas désigné par le Maire. Mais le même système de partage d’informations entre intervenants, prévu à l’article L121-6-2 du CASF, ne va-t-il pas émerger à partir de cette disposition ?

En effet, qui dit « coordination » et « référent », entraîne un partage systématique d’informations entre le référent et les différents intervenants ainsi que des espaces de réunions et d’échanges sur la situation de la personne. Or, pour permettre un tel partage d’informations entre des professionnels soumis au secret, encore faut-il qu’une loi permette de déroger au secret professionnel et donc aux dispositions de l’article 226-13 du code pénal. Il ne suffit pas de nommer un référent de parcours pour qu’aussitôt il ait la possibilité légale de partager des informations à caractère secret avec ses collègues ! S’oriente-t-on donc vers une nouvelle possibilité de déroger au secret professionnel ?

Le plan d’action ne répond pas à cette question mais aborde, toujours dans une visée d’ « accompagnement global » et de « coordination des acteurs », la question du partage d’informations. Complément logique puisque ce qui semble s’organiser, ce n’est pas la personne au centre de l’intervention, mais l’intervention tout autour de la personne…

« Sécuriser et outiller le partage d’informations »

C’est en ces termes que le plan d’action entend faire évoluer la question du secret professionnel. Lorsque l’on lit attentivement le paragraphe II.5 du plan, on peut formuler deux remarques principales :

- L’idée de « consensus national » pour un « bon accompagnement » : l’idée formulée est d’aider les professionnels à construire le partage d’informations qui va permettre un accompagnement pertinent de la personne, autrement dit un « bon accompagnement » comme l’indique le rapport. Or, le modèle d’intervention décrit précédemment met en avant la nécessité d’un référent de parcours dans une logique d’accompagnement global et interinstitutionnel. Nous pouvons donc présumer qu’un « bon » partage d’informations est celui qui va permettre aux différents intervenants d’exercer leurs missions. Autrement dit, nous pouvons largement imaginer, et ceci s’inscrit dans l’idéologie sécuritaire dominante, que « sécuriser » les professionnels signifie les convaincre qu’un partage d’informations est préférable pour la coordination des intervenants et donc pour la personne. C’est bien là que le bât blesse car en raisonnant de manière simpliste, ce plan d’action occulte ce que le secret professionnel permet et donc la possibilité de se taire qui est parfois plus pertinente, à condition qu’elle soit pensée, et soutenue. Or, dans une logique de prise en charge multi-dispositifs, ce qui bien souvent commande le partage d’informations n’est plus l’intérêt propre de la personne ni même parfois la loi mais le besoin des institutions de savoir pour exercer leurs missions au nom de l’accompagnement global et par « bienveillance ». Ajoutons que raisonner en termes de « bonnes pratiques » n’est absolument pas une démarche éthique pourtant prônée dans le rapport. En effet, l’éthique renvoie à une recherche singulière de sens différente à chaque situation et s’inscrivant dans un questionnement permanent de nos actes professionnels au regard des valeurs et des objectifs qui fondent notre intervention.

Nous pensons donc qu’il est davantage nécessaire de redonner des marges de manœuvre institutionnelles aux professionnels tout en les accompagnant dans une démarche d’analyse et de conception de leurs pratiques plutôt que de constituer des comités, fussent-ils locaux, qui vont définir les pratiques à suivre.

- La prédominance de l’éthique sur le légal : les dimensions éthique et déontologique du partage d’informations sont mises en avant dans ce plan d’action mais le cadre légal est totalement absent. Cela est particulièrement criant quand le chapitre II.5 nous informe que « les travailleurs sociaux sont amenés à partager des informations avec d’autres intervenants sociaux (professionnels ou bénévoles) ». Cela est affirmé en dehors de toute référence au cadre légal et est donc très hasardeux. De plus, les professionnels apprécieront d’être mis au même niveau que les bénévoles. Cela est très révélateur de la confusion totale qui existe autour de la question du secret professionnel et du partage d’informations. Nous parlons d’éthique, de déontologie, d’outiller les professionnels tout en occultant totalement les fondements légaux qui permettent et encadrent un tel partage d’informations pour les professionnels soumis au secret et en ne faisant aucune distinction entre travailleurs sociaux soumis au secret professionnel, autre travailleurs sociaux et bénévoles.

Un parfait exemple de cette logique consistant à mettre en avant « l’éthique » pour contourner le légal est la prolifération des chartes de partage d’informations dont le plan entend s’inspirer. En effet, nombre de chartes ont été produites incitant les professionnels à s’y référer alors qu’elles ne rappellent pas toujours le cadre légal et encouragent parfois à des pratiques en dehors de tout cadre légal mais ne se gênant pas pour faire référence à « l’éthique des travailleurs sociaux ».

Or, ceci revient souvent à ordonner aux professionnels de suivre une culture institutionnelle définie dans la charte plutôt qu’à se positionner en référence à la loi, donc à leurs marges de manœuvre et aux droits des personnes.

Pour être cohérent et aller jusqu’au bout de la démarche, il est probable que « sécuriser le partage d’informations » se traduise au final par un cadre légal modifié pour que les professionnels qui partagent de l’information ne soient pas passibles de poursuites. Cette logique d’immunité est déjà à l’œuvre dans la loi du 5 novembre 2011. Sécurité pour les professionnels et insécurité pour les personnes ? Il est symptomatique de voir que la question de la sécurisation n’est évoquée ici que concernant les professionnels et le travail en réseau…

Nulle part ne sont pensés et interrogés les effets négatifs du partage d’information systématisé lorsqu’il devient le mode de fonctionnement de certains services et professionnels. Institutions et professionnels ne produiraient donc au quotidien que des actes positifs pour les personnes ? Le partage d’information n’aurait que des bénéfices ? Il ne produirait pas de repli des personnes, ni de transformation de sujets en objets, ne protégerait pas plus les institutions que les usagers, ne répondrait pas mieux au désir d’aide de l’aidant qu’au besoin de soutien de la personne, ne faciliterait pas quelquefois la simplicité du fonctionnement du professionnel, d’abus de pouvoir, de création d’un collectif d’un côté face à une personne de l’autre, d’emballement dans les analyses et décisions, de fausses convergences, etc.

La « pensée bienveillante » de nombre d’acteurs du travail social et médico-social ne suffit pas. On ne peut éluder ces questions qui le sont trop souvent. C’est pourtant bel et bien un point totalement absent de ce plan et de ce qui le sous-tend.

Enfin, le plan prévoit d’ « Élaborer par consensus locaux les conditions du partage d’information dans un cadre déontologique et mener une Conférence nationale de consensus ». C’est là aussi un mode d’organisation qui va permettre de faire remonter les « bonnes pratiques locales », qui sont en réalité les « pratiques pensées comme bonnes mises en œuvre localement ». La probabilité est grande que la matière obtenue par consensus local soit de façon dominante produite par les institutions. Nous avons vu dans les réunions régionales des Etats Généraux du Travail Social combien le déséquilibre était grand entre les différentes parties. Ces conférences locales viendront alimenter la conférence de consensus nationale, qui sera le fondement de la légitimité des changements législatifs qui seront produits à sa suite…

En conclusion, nous pouvons dire que les orientations de ce plan d’action, même si elles mériteraient d’être précisées, indiquent clairement que les évolutions souhaitées par le gouvernement et de nombreux acteurs institutionnels en matière de travail social vont dans le sens d’un partage d’informations organisé, systématisé et implanté dans les cultures professionnelles, institutionnelles et interinstitutionnelles, tout en occultant totalement les éventuelles évolutions légales en matière de secret professionnel.

Ce qui semble pourtant se profiler, c’est que le partage devienne le principe dominant et le secret professionnel l’exception. La forme choisie est douce (pour aider, toujours…), non-frontale (ce ne sera pas imposé d’en haut), démagogique (« sécuriser les professionnels »). Cette stratégie provoquera probablement moins de réactions que les différentes tentatives frontales de modifier la législation tentées par le passé. Elle n’en est que plus redoutable.

Secretpro.fr compte participer aux échanges à venir sur le thème du secret et du partage d’informations. Nous allons constituer un groupe de travail composé de travailleurs sociaux et de juristes qui produira des propositions d’évolution du cadre légal du secret professionnel et d’accompagnement des professionnels dans leur positionnement et leur pratique. 

Pour Secretpro.fr,

Antoine GUILLET, Laurent PUECH