L'évolution des organisations matérielles des services, le souci de maîtrise des coûts et/ou les types de locaux mis à disposition pour assurer des entretiens viennent impacter les conditions dans lesquelles les personnes sont accueillies par les professionnels soumis au secret. La situation la plus adaptée est bien entendu celle qui permet de recevoir une personne dans un bureau avec une isolation phonique normale. Après avoir rappelé ce que sont les fondements du secret professionnel, essentiels pour penser la question des conditions d'accueil des personnes, nous examinons deux contextes concrets qui dans certains lieux sont proposés ou imposés : l'accueil en box ouvert et l'accueil dans des bureaux partagés.
Les fondements du secret professionnel pour penser les conditions de l'accueil
Le secret professionnel a deux fondements (voir aussi Les fondements du secret professionnel) :
- Crédibiliser une fonction, c'est à dire faire que l'on ait confiance a priori au professionnel que l'on rencontre, afin de pouvoir se confier en sécurité.
- Protéger la vie privée des personnes : elles peuvent parler à un professionnel sans que les informations circulent vers d'autres interlocuteurs.
Ces deux points sont sécurisés par l'obligation légale de secret qui s'impose au professionnel, passible de poursuites et condamnations s'il ne respecte pas la loi pénale. Le secret professionnel vise donc à faciliter la parole.
A partir de cette obligation légale, il est aisé d'inférer que les conditions d'accueil de la parole de la personne doivent garantir deux choses :
- Le respect de la confidentialité du propos : un lieu qui fait que d'autres personnes ne peuvent aisément entendre ce qui est dit, et parfois même voir qui est en train d'être reçu (nous verrons ce point en détail concernant l'accueil en box).
- La possibilité de son expression : se confier sur des éléments privés voire intimes n'est pas chose évidente pour tous. Cela nécessite parfois d'avoir du temps, pour prendre confiance, laisser s'exprimer des émotions, aborder différents niveaux qui apparaissent dans la situation de la personne, permettre qu'elle se sente écoutée vraiment...
Secret professionnel, confidentialité et contexte de l'entretien sont donc intimement liés.
Secret professionnel commun mais fonctions différentes : les deux types d'accueil
Le fait d'avoir des professionnels qui sont tous soumis au secret professionnel ne signifie pas que leurs contextes de travail doivent être similaires. Ainsi, un technicien de la CAF ou un travailleur social de la CAF, tous deux soumis au secret professionnel, n'ont pas la même fonction. Ils accueillent bien tous les deux des personnes allocataires de la CAF. Mais leurs fonctions se distinguent clairement et c'est bien pour cela que les travailleurs sociaux de cet organisme peuvent recevoir des personnes déjà rencontrées par le technicien. L'entretien est de nature différente, construit moins dans une logique administrative que dans une logique de relation, de compréhension approfondie des spécificités de la situation de la personne, ce qui dépasse la seule question administrative. Comprendre dans quel état et quels questionnements se trouve une femme qui souhaite quitter le domicile avec son enfant en raison d'un contexte de violence conjugale nécessite par exemple un accueil qui respecte que le propos ne soit pas entendu par le public présent (parmi lequel se trouvent potentiellement des voisins par exemple) et qu'elle ait le temps d'aborder des sujets sensibles. La situation est la même pour la secrétaire d'accueil d'un service social et l'assistante sociale du service avec une mission RSA, PMI ou ASE.
Examen de deux situations qui mettent à mal la possibilité de parler
Les organisations, les moyens mis à la disposition du professionnel pour accueillir n'atteignent pas toujours un niveau minimal satisfaisant. Ce phénomène s'accentue avec des services qui sont de plus en plus concentrés en un même lieu. On voit dans certaines villes plusieurs petites antennes regroupées dans un même lieu. Nous ne sommes alors pas loin d'"usines du social". Au regard des éléments observés dans différentes institutions, deux contextes sont interrogés ici : l'accueil en box ouvert et l'accueil en bureau d'accueil partagé.
L'accueil en box ouvert contre la confidentialité
Etre visible par toute personne qui passe devant le box, et encore plus quand le bureau est vitré donc transparent permet à chacun d'identifier qui rencontre le travailleur social. Quand, en plus s'ajoute le fait qu'il n'y ait même pas de porte et que l'entretien peut être audible sans trop d'effort par des personnes non-présentes dans le box, il n'est plus possible de parler de confidentialité. Or, l'absence de conditions permettant la confidentialité, revient à une double-négation : celle de la possibilité de parler et celle de garantir une forme de secret autour de ce qui est dit au professionnel... mais entendu par d'autres aussi. On peut certes tracer au sol une magnifique ligne de confidentialité à ne pas dépasser... Chacun a déjà fait le constat que le son et l'image ont la fâcheuse habitude de ne pas s'arrêter à cette ligne.
L'accueil en bureau partagé contre le temps de la parole
De plus en plus d'organisations de travail instituent les bureaux d'accueil partagés. Cela permet en général de mettre plusieurs professionnels dans un même bureau, d'où ils peuvent travailler sur leurs dossiers, rapports, appels téléphoniques. Et occuper le bureau d'accueil partagé lorsqu'ils doivent recevoir une personne. Pour cela, des plannings sont organisés et chacun inscrit le créneau qu'il compte utiliser. Un timing est prévu, souvent 30 minutes. Cette organisation rationnelle vient normer l'accueil en le contraignant dans une amplitude horaire qui induit deux choses : un professionnel qui sait qu'il n'a qu'un temps limité disponible sinon deux personnes sont gênées (le collègue et la personne qu'il va recevoir comme inscrit sur le planning...) et une personne qui peut avoir du mal à déployer ce qu'elle vit car la contrainte de temps est la toile de fond de l'entretien. Ajoutons qu'un entretien que l'on sait limité dans le temps est un entretien ou la forme directive de l'échange est privilégié à une forme ouverte. La première est en effet la plus efficace pour... tenir un timing.
Certes, et heureusement, les professionnels qui voient surgir une question qui nécessite du temps vont proposer une autre séquence de rencontre afin de comprendre et travailler avec la personne. Encore aura-t-il fallu que l'expression de la personne et l'écoute ait permis que soit repéré ce que vit cette personne. L'entretien "timé" réduit la probabilité que cet objectif soit atteint.
La responsabilité du service et du professionnel : créer les conditions de la confidentialité et du secret
Quelles responsabilités des acteurs impliqués dans l'accueil du public ?
Pour le service et l'encadrement, la question de l'accueil et de sa cohérence avec le respect de la confidentialité et du secret professionnel doit être présente de la conception des lieux jusqu'à l'organisation du service. Lorsque les conditions ne sont pas satisfaisantes, il convient de s'interroger sur les voies d'améliorations possibles. Dans l'attente de la réalisation d'un contexte d'accueil satisfaisant, les responsables du service peuvent faciliter et soutenir les professionnels lorsqu'ils développent des pratiques qui garantissent que la personne est respectée comme le sont la confidentialité et le secret. Cela peut parfois prendre des formes originales : réception hors de locaux de l'institution, utilisation d'un bureau à l'origine non-dédié à l'accueil du public, etc. Ce soutien de la part de l'encadrement est d'autant plus nécessaire quand l'affichage institutionnel insiste sur la confidentialité et le secret.
Pour le professionnel, il devra savoir modifier sa pratique voire la celle pratiquée dans le service si les conditions d'accueil ne sont pas satisfaisantes. Par exemple, on pourra demander au préalable à la personne reçue si elle accepte d'être reçue dans les conditions proposées. En cas d'opposition ou de gêne manifeste de la personne, le professionnel pourra proposer un autre cadre. Si la mission du professionnel est de permettre la parole afin d'apporter une aide, il est pleinement dans sa mission et un véritable positionnement professionnel en cherchant à créer les conditions d'émergence de la parole. Ce qui passe par l'assurance de la confidentialité réelle et du secret de l'entretien.
La confidentialité et le secret ne sont pas des labels ni mots creux. Ce sont des engagements qui ne sont tenus que lorsque la pratique incarne ce que les termes recouvrent. C'est donc un engagement qui doit réunir tous ceux qui font vivre l'institution. Secret professionnel et confidentialité sont pleinement les moyens du respect des personnes et de l'efficacité de l'intervention des professionnels dans le cadre des missions qui leur sont confiées.
Laurent Puech
Les conditions matérielles minimales pour assurer le respect de la confidentialité et du secret en travail social.