
A 40° de fièvre, il faut consulter un médecin. Mais que faut-il faire lorsqu’un procureur est atteint d’articlequarantite, voit de l’article 40 partout et le brandit même dans des situations où il ne s’applique pas ? Une consultation juridique ? Une pause avec une cure thermale en eau froide pour faire retomber la fièvre ?
Ce questionnement amusé vient de situations peu amusantes. Celles où certains procureurs ont invoqué ce fameux article 40 du code de procédure pénale pour signifier à leurs interlocuteurs qu’ils devaient leur signaler divers faits infractionnels. Cette soi-disant obligation tombait comme un couperet, indiscutable, provoquant la déstabilisation de ceux qui, d’un coup, avaient l’impression d’avoir manqué à leur obligation ou, en tout cas, de ne pas avoir le choix si la situation se présentait. Trois exemples récents venus de notre pratique :
- Un directeur associatif qui se voit reprocher par un procureur de ne pas avoir signalé certains faits « alors que l’article 40 du code de procédure pénale » l’y obligeait. Un directeur désemparé par cette affirmation…
- Un auditoire composé de travailleurs sociaux venant du secteur privé et public entendant un procureur leur dire qu’en cas de connaissance d’un simple délit ou d’un crime, ils étaient obligés de lui signaler les faits en vertu de l’article 40 du CPP… Un auditoire qui aura probablement retenu cette « information » énoncée par une autorité.
- Un gendarme qui lors d’un groupe de travail autour de l’élaboration d’une charte de partage d’informations d’un CLSPD expliquait qu’il devrait transmettre à la justice –au nom de l’article 40- toute infraction qui viendrait à être évoquée devant lui. Et ce devant un parterre médusé de professionnels qui réfléchissaient à comment mieux accompagner les victimes de violences conjugales.
Rappel sur l’article 40
L’article 40 ne concerne pas les professionnels du secteur privé associatif. Jamais. Il suffit de lire l’article qui justement précise le périmètre de ceux concernés : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire (…) ». Les « autorités constituées » renvoient à des organes institués par la loi ou la Constitution, investis d’un pouvoir d’autorité publique (Les assemblées délibérantes tels que conseil municipal, conseil départemental, conseil régional ; les exécutifs tels que maire, président de conseil départemental ou régional, préfet ; et les autorités administratives indépendantes comme le Défenseur des droits). Les officiers publics sont des personnes investies d’une délégation de puissance publique, habilitées à établir des actes authentiques (notaires, commissaires de justice par exemple). Et les fonctionnaires sont toutes les personnes relevant du statut général de la fonction publique ou assimilée.
Bref, quelle que soit l’entrée, on ne trouve pas le secteur associatif de la protection de l’enfance ou de l’action sociale. Par conséquent, lorsque le procureur s’adresse au directeur de la structure associative, il se trompe en invoquant un article 40 du CPP… qui ne concerne ni ce directeur, ni sa structure, ni aucun des salariés qui y travaillent. Le fait d’accomplir une mission de service public ne fait pas de l’association un cas contact article 40 !
Et quand ce procureur raconte à l’auditoire que tout le monde doit lui signaler les infractions en vertu de l’article 40 du CPP, elle se trompe pour la moitié des personnes présentes relevant du secteur associatif qui ne sont pas concernés par cet article.
Ici, nous privilégions l’hypothèse de l’erreur car elle suffit à expliquer la situation, sans avoir à invoquer une manipulation, volonté de tromper, affirmation d’un pouvoir sur les professionnels... Ces hypothèses sont possibles, mais elles nécessiteraient des éléments pour les appuyer et ce n’est pas le cas.
Et les fonctionnaires ?
Autre petit rappel utile au passage. Même si les fonctionnaires sont désignés par cet article, rappelons ici que le signalement au procureur de la République est une simple faculté même pour les fonctionnaires et non une obligation. Voir à ce sujet nos articles Travailleurs sociaux : n’ayez plus peur de l’article 40 ! et L’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale.
Vous voulez de l’article 40 ? Deux suggestions aux Procureurs
Si certains procureurs veulent de la dénonciation d’infraction sur la base de l’article 40 du CPP, nous proposons par exemple :
- Que les responsables des cellules de recueil des informations préoccupantes fassent un « article 40 » lorsqu’ils reçoivent des dossiers d’enquête complets de la part des parquets, alors que seule une partie concerne un ou des enfants en danger. Il n’est pas rare que les CRIP reçoivent ce type d’IP, avec de la matière telle que PV d’audition d’un mineur qui n’est pas en danger lui-même, ou d’un majeur qui est simple témoin dans un affaire pénale, voire des PV d’auditions de victimes d’une infraction pénale… par un majeur, ou d’un voisin, etc. Bref, tout ce qu’un dossier d’enquête peut contenir : des dizaines de pages d’informations ainsi balancées sans tri préalable par le parquet. Voilà qui déroge aux conditions posées par le législateur pour qu’une IP ou un partage d’informations soit conforme à la loi et plus particulièrement aux articles L226-2-1 et L226-2-2 du CASF : pas d’information préalable des représentants légaux, pas de tri des informations strictement nécessaires puisqu’il y a ouverture à de nombreuses informations concernant de multiples personnes sans rapport avec la situation d’un enfant en danger, pas de partage relatif à une situation individuelle donc… Bref, en dehors des clous fixés par le législateur donc illégal. Une belle violation du secret professionnel passible des sanctions prévues par le 226-13 du code pénal, une infraction délictuelle qui est bien visée par… l’article 40 du CPP. Et tiens, ajoutons la commission d’une nouvelle infraction lorsque les CRIP transmettent ce dossier en bloc, sans tri, vers des professionnels qui vont investiguer. Là, la violation est produite par la CRIP… Un nouvel « article 40 » à dégainer au plus vite !
- Un autre article 40 pourrait être fait lorsque les procureurs eux-mêmes reçoivent des informations par des professionnels manifestement en violation de secret professionnel. Ils savent qu’il y a violation mais… ils récupèrent l’information qui peut être utile par ailleurs… et taisent l’infraction dont ils ont pourtant la démonstration devant les yeux…
Mais gageons que personne n’osera agir dans ce sens. Car, c’est bien connu, il y a concernant les infractions un véritable double-standard : les infractions des citoyens sont largement moins supportées par les autorités administratives et judiciaires que leurs propres infractions… Pour l’illustrer nous avons ici même pointé un cas de violation du secret professionnel par une professionnelle de la PJJ, violation qui n’a donné lieu à aucun signalement en application de l’article 40 par sa direction, et ce alors qu’ici les conditions étaient réunies. Donc, quand vous entendrez un procureur ou une autorité vous dire « article 40 », souriez intérieurement et vérifiez ce que dit cette autorité. Car des autorités peuvent dire des choses fausses avec l’aplomb et la certitude de celui qui se croit au dessus en savoir et en pouvoir. Or, c’est le savoir sur la loi que vous pouvez vous forger qui peut permettre de déjouer les risques de l’information biaisée, voire les abus de pouvoir.