Paradoxe des agendas parlementaires. Viennent d’être votées coup sur coup deux lois importantes relatives au secret professionnel.
Celle du 26 janvier 2016 vient d’assujettir des dizaines de catégories d’institutions au secret professionnel afin de garantir aux usagers de ces établissements le respect de leur vie privée. Sont particulièrement visés les établissements de santé (à l’article L.1110.4 du Code de santé publique).
Celle du 7 mars 2016 (JO 8 mars 2016) relative au droit des étrangers délie du secret professionnel des dizaines d’institutions lorsqu’il s’agit … d’étrangers. Particulièrement les mêmes établissements de santé !
Afin d’assurer que les intéressés n’ont pas présenté des faux documents pour obtenir un titre de séjour ou en obtenir son renouvellement, les préfectures pourront délier du secret professionnel ou de la discrétion les autorités sensées les avoir délivrés.
Il y a plus d’un an nous évoquions les risques d’une telle loi. Malgré les communiqués de l’Association nationale des assistants de service social ou d’un large collectif d’associations comprenant Act up, la FNARS, la fondation Abbé Pierre ou le Gisti, malgré l’avis du défenseur du 23 juin 2015 (n°15-17 http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_avis_20150623_15-17.pdf) rien n’y a fait et les modifications entre le projet initial et le texte final restent marginales. Certes les collectivités locales ont été retirées ainsi que les entreprises de transport mais à bien y choisir il y a plus de violation du secret dans ce qu’un établissement de santé détient que dans celle de la RATP.
Au final, ce texte peut se résumer à 4 mots clés : suspicion, menace, précarité, isolement.
Suspicion
Dans le cadre de leur démarche d’obtention de titre de séjour les étrangers doivent présenter de nombreux justificatifs de leur présence en France (scolarité, factures, soins, etc…). Car contrairement à ce que le terme laisse supposer les sans papiers ne sont jamais sans papier. Ils en ont beaucoup mais malheureusement pas les bons. Et pour obtenir des papiers il faut justifier de nombreux …papiers. La circulaire Valls de novembre 2012 demande ainsi aux travailleurs sans papiers qui entendent être régularisés de justifier qu’ils ont travaillé.
Sauf que cette loi présuppose que les documents présentés sont probablement frauduleux. Le nouvel article 611.2 du Code des étrangers précise ainsi : « Sans que s'y oppose le secret professionnel autre que le secret médical, les préfectures « agissant dans le cadre de l'instruction d'une première demande de titre ou d'une demande de renouvellement de titre » peuvent désormais contrôler « la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites », « l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution d'un droit au séjour ou de sa vérification ».
Ainsi donc, sans réquisition judiciaire, sont par exemple déliées du secret les institutions suivantes :
-les services d’état civil car à l’évidence les actes de naissance ou les livrets de famille que les étrangers présentent sont des faux documents
-les établissements scolaires car il va de soi que le carnet scolaire de leur enfant est falsifié
-les services de connexion internet car prendre un abonnement chez Bouygues, constructeur de l’essentiel des centres de rétention, quand on est sans papier ne peut être qu’une provocation
-les établissements de santé, privés ou publics, car le titre d’admission à l’aide médicale ou la facture hospitalière sont probablement contrefaits
-les organismes sociaux et services de Pôle emploi puisqu’il va de soi que leurs attestations de prise en charge sont sujettes à de forts doutes
-les banques car évidemment une personne irrégulière ne peut avoir de revenus et donc de compte en banque.
Menace
Sous le couvert de simple vérification cette disposition fait peser de lourdes menaces sur les migrants. Les moindres seraient tout simplement que le titre sollicité ne soit pas accordé ou renouvelé.
Au pire le risque est clairement pénal : faux et usage de faux des articles 441-1 à 441.7 du Code pénal. Cette menace qui porte sur celui qui délivre l’attestation ou celui qui s’en prévaut n’est pas théorique et l’expérience des pratiques à l’égard des mineurs isolés peut aisément l’illustrer. A l’instar du conseil départemental du Rhône qui a fait condamner à de la prison ferme de jeunes migrants clamant leur minorité mais finalement considérés comme majeurs, d’autres départements se constituent aujourd’hui partie civile.
Même s’il n’y a pas dans le cas de la présente loi de préjudice financier à l’égard d’une institution il y a fort à craindre que des poursuites soient entreprises à l’encontre de l’étranger ayant présenté des faux documents. Même si ce n’est qu’en vue de l’obtention d’un titre de séjour (qu’il paye au passage jusqu’à 600 euros !).
Pour mesurer cette menace prenons un pas de côté, sortons du droit des étrangers et imaginons d’autres propositions de loi :
- « toute demande de logement (ou de crédit immobilier) entrainera vérification des justificatifs présentés (bulletins de salaire, contrat de travail) sans que puisse s’y opposer le secret professionnel »
- « tout CV donnera lieu à des vérifications auprès des employeurs cités afin de s’assurer la réalité des emplois déclarés ».
Imaginons maintenant les réactions que de telles lois pourraient entrainer.
Alors que de plus en plus la simplification administrative fait passer du culte du justificatif au simple déclaratif, le droit des étrangers fait, lui, du justificatif écrit, désormais contrôlé sans limite, le sésame absolu.
Isolement
Autre risque d’une telle disposition, elle isolera plus encore les étrangers particulièrement ceux en situation irrégulière en informant nombre d’institutions de leur séjour irrégulier. Car contrairement à ce que disent certains communiqués la question n’est pas tant « la délation » à la préfecture. Le schéma est même plutôt inverse : c’est la préfecture qui informera nombre d’institutions du séjour irrégulier de tel ou tel étranger.
Car le service d’état civil n’est pas sensé savoir que l’étranger qui a déclaré la naissance de son enfant est en situation illégale. Pas plus qu’il n’est sensé le savoir –et ce en application de nombreuses décisions du conseil constitutionnel- lors d’un mariage. Ainsi donc la préfecture pourra aviser le maire –au hasard de Béziers-, donc l’officier de police judiciaire du séjour irrégulier d’un de ses habitants.
De la même manière l’établissement bancaire n’a pas à savoir que l’étranger est en situation illégale pour ouvrir un compte. C’est d’ailleurs ce que confirme l’arrêté du 31 juillet 2015 relatif aux conditions d’ouverture d’un compte en banque.
L’école n’a pas plus à connaitre du séjour irrégulier d’un élève ou de ses parents et l’obligation scolaire s’impose à toute exigence de régularité.
Ce sont donc tant d’institutions qui découvriront à l’occasion de ces investigations préfectorales la situation administrative.
Précarité
Pour le défenseur des droits, dans l’avis précité, cette disposition marque « une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles et au secret professionnel ». Alors que l’objectif de la loi est prétendument « la sécurisation du droit au séjour », il est « battu en brèche par ces contrôles inopinés et d’une ampleur sans précédent ».
L’application de cet article va ainsi allonger les délais, déjà longs, de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour. Les services interrogés par la préfecture devront eux-mêmes procéder à des vérifications, certains se poseront des questions éthiques et déontologiques. Pendant ce temps l’étranger sera au mieux sous récépissé, au pire sous simple rendez-vous.
Paradoxe d’une loi qui créé à son article 17 des cartes de séjour pluriannuels afin de diminuer massivement le nombre de rendez-vous en préfecture (suite au rapport Fekl de 2013 au titre désormais tant anachronique : « sécuriser les parcours des ressortissants étrangers ») et qui créé dans le même temps à son article 48 des vérifications, justificatifs par justificatifs, alourdissant à effectif constant le travail des agents de préfecture.