L’article 121-6-2 du code de l'action sociale et des familles

L’article 121-6-2 du code de l'action sociale et des familles

« Lorsqu'un professionnel de l'action sociale, définie à l'article L. 116-1, constate que l'aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne ou d'une famille appelle l'intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la commune de résidence et le président du conseil général. L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux personnes qui transmettent des informations confidentielles dans les conditions et aux fins prévues au présent alinéa.

Lorsque l'efficacité et la continuité de l'action sociale le rendent nécessaire, le maire, saisi dans les conditions prévues au premier alinéa ou par le président du conseil général, ou de sa propre initiative, désigne parmi les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille un coordonnateur, après accord de l'autorité dont il relève et consultation du président du conseil général.

Lorsque les professionnels concernés relèvent tous de l'autorité du président du conseil général, le maire désigne le coordonnateur parmi eux, sur la proposition du président du conseil général.

Le coordonnateur est soumis au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

Par exception à l'article 226-13 du même code, les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille sont autorisés à partager entre eux des informations à caractère secret, afin d'évaluer leur situation, de déterminer les mesures d’actions sociales nécessaires et de les mettre en oeuvre. Le coordonnateur a connaissance des informations ainsi transmises. Le partage de ces informations est limité à ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission d'action sociale.

Le professionnel intervenant seul dans les conditions prévues au premier alinéa ou le coordonnateur sont autorisés à révéler au maire et au président du conseil général, ou à leur représentant au sens des articles L. 2122-18 et L. 3221-3 du code général des collectivités territoriales, les informations confidentielles qui sont strictement nécessaires à l'exercice de leurs compétences. Les informations ainsi transmises ne peuvent être communiquées à des tiers sous peine des sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal.

Lorsqu'il apparaît qu'un mineur est susceptible d'être en danger au sens de l'article 375 du code civil, le coordonnateur ou le professionnel intervenant seul dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article en informe sans délai le président du conseil général ; le maire est informé de cette transmission. » (Article L121-6-2 du Code de l'action Sociale et des familles)

Commentaires sur le 121-6-2 du code de l'action sociale et des familles

Deux précisions avant d’évoquer le contenu de ce long article. La lecture qui en est faîte pose parfois question. C’est donc par un débat sur le sens de cet article que je débuterai. Je rappellerai ensuite que cet article fait l’objet d’un détournement dans certains contrats locaux de sécurité ou zones de sécurité prioritaire.

Un débat juridique

Il existe un débat sur le partage d'informations qu'autorise cet article. La majorité des juristes mentionnent le paragraphe 5 comme autorisant le partage d'informations entre professionnels intervenant auprès d’une même personne. En prenant le 4ème alinéa de l’article 121-6-2 (surligné en gras), il semble découler une autorisation de partage entre professionnels intervenant auprès d’une même personne ou famille, ceci dans toute situation. Marie-Odile GRILHOT BESNARD, 2013, page 90 à 96, ou Jean Pierre ROSENCZVEIG et Pierre VERDIER, 2011, pages 101 à 106, semblent aller dans le sens de cette lecture.

Michel BOUDJEMAI, 2008, pages 131 à 134, apparaît plus réservé: il introduit la question du « coordonnateur ». Il me semble en effet que l’on ne peut lire à part le 4ème alinéa : L’ensemble du texte de cet article vise à mettre en place l’information au Maire (alinéa 1), puis la désignation d’un coordonnateur (alinéa 2). Enfin, une fois le système intervenants sociaux – maire – coordonnateur est rendu possible par la loi, il est créé une possibilité de partage au moins entre intervenants et coordonnateur. Sinon, quel sens aurait la phrase « Le coordonnateur a connaissance des informations ainsi transmises. », placée juste après l’ouverture de la possibilité de partage entre intervenants ? Dans cette formulation, aucun doute possible : un coordonnateur a été désigné. Or, dans la réalité, la quasi-totalité des situations dans laquelle il y a ajustements et articulations des interventions n’ont pas donné lieu à la nomination d’un coordonnateur.

Pour ma part, je pense que la possibilité légale de partage pour toute situation avec plusieurs intervenants n’est pas ouverte par cet article. C’est seulement dans les situations où le maire est informé par les intervenants sociaux et un coordonnateur a été désigné que le partage est légalement possible. 

J’ajoute que le non-respect de cet article n’entraîne aucune sanction possible, à la différence d’une violation de secret professionnel. Et que si la situation est une situation de péril, cet article n’a aucun intérêt.

Comment utiliser cet article ?

L'Association Nationale des Assistants de service social (ANAS) a publié des préconisations pour utiliser ce texte dans un objectif réel de travail social et d'aide aux personnes.  Dans son avis technique Loi de prévention de la délinquance : Nouvelles préconisations aux professionnels sur le partage d'informations, l'ANAS analyse notamment les fondementsqui permettent aux professionnels de se positionner. Je cite ci-après des extraits de ce texte très complet :  

"Les arguments du Conseil constitutionnel (1) dans le point n°6 de sa Décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007 donnent des indications très claires de l’interprétation légale et des limites de l’article 8 :

- L’objectif de l’article est défini comme étant « mieux prendre en compte l’ensemble des difficultés sociales éducatives et matérielles, et de renforcer l’efficacité de l’action sociale ». Toute autre utilisation de ce texte est donc à écarter.

- En cas de partage d’informations entre les intervenants leur objectif ne peut être que « évaluer leur situation, déterminer les mesures d’action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre ».

- Ce partage se fait seulement dans la mesure « strictement nécessaire à l’accomplissement de la mission d’action sociale ».

- Le professionnel qui intervient seul n’a à transmettre des informations au maire et au président du Conseil général que « lorsque l’aggravation des difficultés sociales … appelle l’intervention de plusieurs professionnels. »

- Encore, le Maire et le Président du Conseil Général ne doivent recevoir que des informations « strictement nécessaires à l’exercice de leurs compétences. »

La Circulaire N° NOR INT/K/07/00061/C du 9 mai 2007 du Ministère de l’Intérieur (2) reprend le cadre défini dans sa décision par le Conseil Constitutionnel. Elle donne aussi des précisions et des exigences qui sont essentielles pour les professionnels et les personnes :

- Le dispositif « prend appui sur la déontologie et les modes d’intervention des professionnels de l’action sociale » (voir le chapitre consacré aux fondements déontologiques de l’intervention des assistants de service social). Notre déontologie, déjà inscrite dans la définition de notre profession, se voit aussi reconnue par cette circulaire.

- L’article 8 de la loi permet une cohérence des interventions d’origines multiples mais seulement « dans l’intérêt des personnes et des familles tout en conservant les garanties de confidentialité sur les informations à caractère personnel ». La notion d’intérêt de la personne est rappelée à deux reprises. Il est ainsi aussi précisé que « la transmission ou le partage d’informations à caractère secret vise, dans l'intérêt des personnes et des familles, à renforcer l’efficacité ou la continuité de l’action sociale dont elles bénéficient ». Seul l’intérêt des personnes justifie un partage d’information. S’il n’y a aucun intérêt pour celle-ci à ce que le Maire ou le Président du Conseil Général soient informés, le professionnel n’a donc pas à transmettre des informations.

- Il réduit à des situations « d’une gravité particulière » le cadre d’utilisation du partage d’informations. La seule aggravation n’apparaît donc pas comme un élément suffisant.

- Le rôle des professionnels de l’action sociale est fortement affirmé. Il est ainsi précisé que « le dispositif repose sur la compétence des professionnels chargés d’évaluer la situation d’une personne ou d’une famille, de vérifier si elle bénéficie de l’intervention de plusieurs professionnels, et, le cas échéant, de prendre la responsabilité d’informer le maire et le président du conseil général de la situation. » Le professionnel est donc seul en responsabilité quant à l’information ou non du Maire. Il n’a pas à agir sur demande d’un tiers (responsable de service, président de Conseil Général ou Maire).

- Le professionnel est aussi en responsabilité quant à la pertinence du partage d’informations avec d’autres professionnels et le coordonnateur : « Dans le cadre du secret partagé, la décision de partager des informations à caractère secret avec les autres professionnels concernés relève de l’appréciation de chacun des professionnels. »

- Le coordonnateur désigné est lui aussi en responsabilité puisque « la décision de transmettre ou non une information confidentielle au maire et au président du conseil général relève de la seule appréciation du coordonnateur ». Il ne peut être « aux ordres » d’un Maire et transmettre des informations sur commande."

Laurent Puech